L'infirmière n° 026 du 01/11/2022

 

ÉQUIPE MOBILE

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

Éléonore de Vaumas  

Les aidants familiaux font depuis quelques années l’objet d’une attention particulière. À Charleville-Mézières, une équipe mobile, portée par un duo d’infirmières spécialisées en santé mentale, leur offre depuis trois ans un accompagnement adapté.

Lorsqu’elle décroche son téléphone, Manon Lazuckiewiez ne sait pas qui d’une association, d’un professionnel du soin ou d’un usager va se trouver à l’autre bout du fil. Sa seule certitude : l’appel concerne une famille en difficulté face à la maladie d’un proche. « Quand la maladie s’immisce dans la sphère familiale, c’est souvent un tsunami pour tous les membres de la famille, mais en particulier pour les proches aidants dont l’implication auprès du malade a d’importantes répercussions sur leur vie quotidienne », explique l’infirmière clinicienne spécialisée en pratique avancée (ICS-IPA) et cofondatrice de l’équipe mobile d’accompagnement des aidants (EMAA). Mis en place voilà trois ans à Charleville-Mézières (Ardennes), le programme a démarré auprès des proches aidants de patients suivis en psychiatrie. Depuis janvier dernier, il est aussi accessible à toutes les spécialités somatiques du département ardennais. « D’autres services tels que la pédiatrie et l’oncologie nous ont sollicitées, si bien que nous avons décidé d’élargir notre champ d’action à tout le secteur sanitaire car nous nous sommes rendu compte que les problématiques liées au niveau de fardeau étaient très similaires », détaille Bérangère Saingery, l’autre moitié du duo d’infirmières formé de longue date avec Manon Lazuckiewiez. Anxiété, rumination, colère, culpabilité, incompréhension des symptômes, difficulté à concilier son rôle d’aidant et sa vie personnelle, sociale et professionnelle… sont quelques-unes des problématiques communes à tous les aidants, quelle que soit la pathologie de leur proche. Des aidants qui partagent également une propension à se mettre au second plan. « La plupart considèrent qu’ils ne sont pas la priorité et, de ce fait, ne se font pas dépister. Nous, au contraire, souhaitons leur offrir un espace individuel ou familial d’écoute, d’échange et d’aide spécifique », poursuit l’infirmière en pratique avancée.

APPORTS THÉORIQUES

Pour mettre au point leur projet, les deux infirmières se sont appuyées sur le modèle de Gottlieb, en fonction duquel les soins infirmiers qui en découlent sont centrés sur les forces : celles que l’aidant a développées et celles qui sont à sa portée mais qu’il n’utilise pas. « Les gens ne se rendent pas forcément compte de tout ce qu’ils ont déjà mis en place. Notre rôle est de les aider à en prendre conscience et d’ouvrir d’autres portes si elles existent », expose Manon Lazuckiewiez. Dans sa pratique, l’équipe mobile se fonde aussi sur la théorie développée par Callista Roy. Celle-ci amène à évaluer et accompagner l’adaptation de l’aidant à son nouveau rôle, en tenant compte des facteurs qui influencent (estime de lui-même, relations avec son environnement, sa propre santé, sa qualité de vie, etc.). « Trouver l’équilibre entre tout ça peut être complexe. Cette théorie permet d’établir une grille de lecture spécifique de la situation de l’aidant dans toutes ces dimensions pour qu’il puisse mieux faire face aux changements qu’il est appelé à vivre », décrypte l’IPA au sujet de cette approche encore novatrice en France. Concrètement, l’accompagnement proposé par l’EMAA se décline en trois consultations gratuites, d’1 heure à 1 heure 30, durant lesquelles le proche aidant est reçu seul ou accompagné d’un autre membre de sa famille. « La première fois, ils ont souvent besoin de déverser tout ce qu’ils vivent. On les laisse s’exprimer car ils ont rarement l’occasion de le faire dans d’autres circonstances. Il faut aussi pouvoir répondre aux plus urgentes de leurs questions et faire preuve de pédagogie pour rendre moins obscurs notre système de santé et ses différents services », explique Bérangère Saingery.

RÉPONSE À CHOIX MULTIPLES

Exutoire pour les aidants, cet entretien fournit surtout de précieuses informations sur leurs besoins et leurs vulnérabilités aux infirmières. Matière qui sert de point de départ aux IDE pour élaborer des réponses, parfois multiples, suggérées à l’aidant lors des deux séances suivantes. « On a chacune notre boîte à outils qu’on a construite au cours de notre expérience professionnelle. De sorte qu’on peut proposer des choses très différentes (relaxation, agenda du sommeil, techniques de cohérence cardiaque, programme de psycho-éducation pour les familles, etc.). On a aussi un important réseau d’associations et de professionnels vers qui on peut les orienter », complète Bérangère Saingery. La venue, au troisième rendez-vous, d’une personne d’une association en lien avec la pathologie de leur proche peut aussi être proposée, l’idée étant de prolonger l’accompagnement en offrant un relais, dont les aidants se saisissent s’ils le souhaitent. Dans tous les cas, ces derniers ont la possibilité de solliciter à nouveau l’EMAA pour des consultations thématiques. Menées à tour de rôle et en individuel cette fois, celles-ci visent à répondre spécifiquement à une nouvelle difficulté, quelle qu’en soit la nature. « Les gens nous rappellent parce que la maladie de leur proche a évolué et qu’ils veulent comprendre ce que cela signifie. Certains ont aussi besoin qu’on les aide à gérer un problème de communication intrafamiliale ou encore leur deuil quand le proche est décédé… C’est plus facile pour eux car ils nous connaissent et nous font confiance », s’ébaudit Manon Lazuckiewiez. Confiance d’autant plus facilitée que l’équipe mobile n’est rattachée à aucun service et fonctionne sans prescription médicale, ni traçabilité d’actes. « Avec nous, les personnes s’autorisent un discours qu’ils n’auraient pas s’ils étaient face à un médecin, qui plus est en présence de leur proche. De même, ils apprécient d’être écoutés par une infirmière, ce qui est plus facilitant pour eux que d’aller voir un psychothérapeute. Globalement, ils sortent vraiment apaisés de ces consultations », constate sa coéquipière. Mobile, l’EMAA navigue les jours ouvrés entre le centre hospitalier de Belair à Charleville-Mézières, où elle a son point d’ancrage, le domicile des aidants et les services sanitaires des quatre autres hôpitaux du département. En leur sein, le duo y est généralement accueilli dans les salons réservés aux familles.

ENSEMBLE AVEC LES AIDANTS

Seules à proposer de telles interventions sur le territoire, les deux IDE sont parvenues, en peu de temps, à fédérer tout un réseau de professionnels jusqu’alors peu habitués à coopérer. « Rien n’était fait quand on a commencé. S’il y avait quelques structures (Unafam, centres Ressource, Ligue contre le cancer, etc.), celles-ci ne proposaient pas de spécificités par rapport aux aidants, rembobine l’IPA. Aujourd’hui, les médecins, les services de soins et les associations sont plutôt contents qu’on existe. C’est un vrai travail d’échange et de collaboration. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à nous adresser des personnes. » Ces trois derniers mois, en effet, l’EMAA a réalisé une cinquantaine de premiers entretiens et une centaine de consultations thématiques. À cet agenda bien rempli s’ajoute aussi une demande croissante de participation à des colloques pour présenter leur dispositif. Mais il est un projet que les deux soignantes chérissent particulièrement actuellement : essaimer à d’autres départements. De quelle manière ? « On envisage de faire de la formation pour que d’autres EMAA puissent se monter un peu partout en France », informe Manon Lazuckiewiez. S’il leur reste un peu de temps, le duo aimerait également lancer un projet de recherche paramédicale en 2023. De quoi asseoir encore un peu plus l’importance d’agir auprès des aidants dans l’intérêt des personnes malades.

À chacun son parcours aidants

D’autres structures de soins spécialisés développent leur propre parcours aidants. Ce, dans l’objectif d’améliorer la qualité de vie des proches aidants (PA) et, indirectement, des patients. Telle est notamment l’ambition du centre Léon Bérard (CLB) à Lyon (Rhône-Alpes) qui, depuis janvier 2022, a instauré un parcours « proche-aidant » maison, coordonné par une infirmière. « L’idée est de mettre en valeur tout ce qu’ils font dans le parcours des malades atteints d’un cancer, mais aussi de répondre à leurs propres besoins », indique Clémence Bouffay, la référente. Le premier contact étant établi, par mail ou par téléphone généralement, celle-ci fixe une consultation « proche-aidant », en duo avec un oncologue pour évaluer les besoins médicaux, sociaux et d’information de la personne. Si besoin, cette dernière peut être orientée vers une consultation de prévention primaire consacrée aux facteurs de risque du cancer, ou vers tout autre forme de soutien (répit, psychologique, etc.). Le but, avant tout, est d’encourager le PA à ne pas « s’oublier ».

Lire aussi « Cancéro : à Lyon, un parcours de soins pour les proches aidants », sur espaceinfirmier.fr, 11/10/22.