L'infirmière n° 026 du 01/11/2022

 

JE RECHERCHE

REVUE DE LA LITTÉRATURE

Anthony Auger*   Valérie Loizeau**  


*Infirmier en pratique avancée, consultation adolescents de Lormont, CH Cadillac. anthony.auger@ch-cadillac.fr
**Infirmière cadre de santé, coordination de la recherche, CHI Poissy Saint-Germain, université Sorbonne Paris Nord, Nursing Sciences Research Chair, Health Education and Promotion Laboratory (LEPS), (EA 3412), UFR SMBH.

La prévalence des troubles dépressifs chez les adolescents est estimée à 5 % de la population générale durant cette période de la vie. Or, « la dépression est la principale cause de maladie et de handicap chez les garçons et les filles âgés de 10 à 19 ans » (Organisation mondiale de la santé, OMS, 2015). La majorité des jeunes adultes présentant des troubles psychiques en ont déjà souffert à l’adolescence et les épisodes dépressifs de plus de six mois à cette période ont significativement plus de risques de réapparaître à l’âge adulte. Le diagnostic et le traitement des troubles dépressifs chez l’adolescent sont des enjeux majeurs de santé publique du fait de leur important retentissement psychosocial, des comorbidités associées et des risques d’abus de substances et de suicide.

Dans ses dernières recommandations de bonnes pratiques (2014), la Haute Autorité de santé (HAS) préconise de réaliser en première intention une psychothérapie chez les adolescents présentant un épisode dépressif caractérisé (EDC). Bien qu’il existe des traitements fondés sur des données probantes pour les troubles dépressifs chez les jeunes, seulement 25 % des adolescents en bénéficient et moins de la moitié d’entre eux obtiennent une rémission complète(1).

En France, l’accès aux spécialistes (pédopsychiatres) est plus difficile du fait de la diminution progressive des professionnels en exercice. Les médecins généralistes sont donc en première ligne pour dépister et prendre en charge les adolescents atteints de troubles dépressifs. Mais ils ne disposent que d’un temps limité pour surveiller l’évolution de la maladie du patient.

En raison de la complexité de la dépression et de la forte possibilité de récidive à plus ou moins long terme, des stratégies devraient être élaborées pour améliorer l’observance du traitement des troubles dépressifs et le respect des lignes directrices des recommandations de l’HAS. Dans ce contexte, la mise en place de la pratique infirmière avancée en pédopsychiatrie devrait contribuer à l’amélioration des prises en soins des adolescents souffrant de troubles dépressifs. La collaboration entre les médecins généralistes, les infirmiers en pratique avancée mention Psychiatrie et Santé Mentale (IPA PSM) et les pédopsychiatres permettrait de prendre en charge de façon plus efficiente davantage d’adolescents ayant besoin d’un traitement.

Aussi, nous posons la question suivante : en quoi la mise en place par l’IPA PSM d’un modèle de soins collaboratifs avec le médecin généraliste et le pédopsychiatre pourrait améliorer la prise en charge des adolescents souffrant de troubles dépressifs en soins primaires ?

MÉTHODOLOGIE

Cette revue de la littérature a été réalisée selon les recommandations du modèle Prisma(2,3). Les bases de données utilisées dans cette revue de littérature sont Pubmed (sciences biomédicales), Scopus (sciences de la santé et sciences sociales) Cinahl (sciences infirmières et paramédicales) et PsycArticle (psychologie).

Le thesaurus a été réalisé à la fois à l’aide de termes MeSH (Medical SubjectHeading), pour plus de précision, et avec l’utilisation de mots-clés, pour ne pas se priver d’articles plus récents qui n’auraient pas encore été indexés par les documentalistes des moteurs de recherche.

Les mots « adolescents » et « troubles dépressifs » ont été retenus en premier, le mot-clé « soins intégratifs » a été associé à « soins collaboratifs » et les différents intervenants concernés par la question de départ (pédopsychiatre, médecin généraliste et IPA) ainsi que le mot-clé « soins primaires » ont été ajoutés dans les équations de recherche. À partir des synonymes les plus utilisés dans la littérature scientifique, les descripteurs ont été traduits en anglais grâce au portail multiterminologie de la santé : HeTOP (Health Terminology/Ontology Portal, URL : www.hetop.eu)(4). Les équations de recherche ont été posées en fonction des bases de données (voir tableau ci-dessus).

Pour être inclus dans cette revue, les articles devaient concerner les adolescents (moins de 21 ans) atteints de troubles dépressifs sans pathologies associées et être rédigés en anglais ou en français. L’exclusion des références non pertinentes a été effectuée sur le titre de chaque article en fonction des critères de non-inclusion (pathologie principale étudiée autre que la dépression, population adulte, sujet ou type d’article).

RÉSULTATS

Au total, 226 articles ont été importés dans le logiciel de gestion des références bibliographiques Zotero. Le tri par doublons a permis d’achever la sélection totale des articles, ramenant à 164 articles. Ces derniers ont été triés par lecture du titre et résumé, et conservés ou éliminés selon les critères d’inclusion et de non-inclusion préétablis. Au final 8 articles ont été inclus après lecture intégrale (voir Diagramme de flux, p. 48).

Toutes les études retenues(5-12) ont été réalisées aux États-Unis, entre 2005 et 2018. Il y a une étude de cohorte rétrospective(5), trois essais cliniques randomisés(6-8), trois études pilotes(9-11), et une analyse secondaire des données d’un essai clinique randomisé(12).

L’objectif des études était d’évaluer, dans les modèles de soins collaboratifs, la faisabilité et l’acceptabilité(9-11), l’efficacité(7,8), le coût et le rapport coût/efficacité(6), les prédicteurs de l’accès aux soins(12) et les critères de jugement(5).

Les données issues de ces études ont été extraites à partir des dossiers de santé électronique du patient(5,6), lors d’un entretien d’évaluation en présentiel(7,9,11), téléphonique(8,9,12), ou par questionnaire auto-administré(8-10,12).

Dans les études incluses, les soins collaboratifs se mettent en place autour d’une intervention spécifique, dont plusieurs types ont pu être identifiés : la Thérapie cognitivo-comportementale (TCC)(8,10,12), la psychothérapie interpersonnelle (TIP)(11), l’entretien motivationnel(5) et un modèle de soins collaboratifs mis en place par un gestionnaire de cas(6,7,9).

DISCUSSION

D’après cette revue de la littérature, les soins collaboratifs pour les adolescents dans l’environnement des soins primaires ont entraîné une diminution des symptômes dépressifs par rapport aux soins habituels(7,8,11). Ils ont conduit à une augmentation du taux de rémission et à une meilleure réponse au traitement(5). Il a été démontré que ce modèle de soins est réalisable et hautement acceptable pour les adolescents et les parents(9,11) et que les interventions de soins collaboratifs améliorent l’observance des traitements et diminuent la réticence à poursuivre un traitement médicamenteux(12).

On peut noter également une disparité quant aux formations des soignants prodiguant ces interventions. Il pouvait s’agir de gestionnaires de soins formés en TCC(8,12), de cliniciens de niveau maîtrise(6,7) ou bien d’infirmiers. Dans ce cas, il s’agissait d’infirmiers spécialisés et formés aux entrevues motivationnelles(5) ou à la gestion des cas(9) ou encore d’infirmiers en pratique avancée(6,7).

Cette revue de la littérature présente les apports potentiels directs de la mise en place d’une intervention de soins collaboratifs. Elle met en évidence aussi que l’amélioration des services de soins passe par la formation des intervenants dans la gestion de la dépression chez les adolescents ainsi que dans l’acquisition et le développement de compétences spécifiques. Dans les études, on a pu voir que les compétences mobilisables par les fournisseurs de soins collaboratifs font partie de celles acquises durant la formation des IPA, telles que : l’analyse des situations(5), l’évaluation des adolescents(8,12), l’adaptation du projet de soins, de suivi et d’accompagnement des adolescents(6,7,9), l’évaluation de l’adhésion, de l’alliance thérapeutique et de l’efficacité des techniques thérapeutiques(6-9,11,12) ainsi que la mise en œuvre de médiations à visée thérapeutique (en étant formé au préalable)(8,10-12). Cette revue a aussi révélé le manque de données probantes inhérentes à la pratique infirmière avancée dans les modèles de soins collaboratifs. Il est donc nécessaire que les IPA s’impliquent dans la construction et la diffusion de ces données.

Une des principales limites de cette revue de la littérature est l’origine géographique des articles, ceux-là provenant exclusivement des États-Unis. On peut donc s’interroger sur la transférabilité des modèles de soins décrits en France. Un des biais possibles pour plusieurs études concerne la taille de l’échantillon. En effet le taux de « perdus de vue » particulièrement important chez les adolescents entraîne fréquemment une perte de la population cible au cours des procédures de sélection, de recrutement et d’inscription. C’est le cas pour la moitié des études de cette revue(7-9,11). Ce qui peut générer une diminution de la puissance statistique et compromettre la généralisation des résultats. Les conditions de réalisation des études peuvent également entraîner un biais pour les études n’impliquant qu’un seul groupe d’intervention(9-11) ou lorsque l’intervention n’est pas menée en aveugle(5).

Toutes les références incluses ont été publiées dans des revues ayant des facteurs d’impact supérieur à 2,385. Par ailleurs, même si quatre articles faisaient état d’études randomisées(6-8,12), schéma d’étude le plus robuste en recherche scientifique, trois autres avaient des schémas d’études pilotes à partir d’un petit échantillon(9-11) et une étude de cohorte rétrospective non réalisée en insu(5).

Une des forces de cette revue concerne le travail autour des différents synonymes de l’équation de recherche, ce qui a permis de réduire le risque de laisser passer des travaux concernant les mots-clés de la recherche. On peut ajouter que les critères d’inclusion et de non-inclusion choisis sont pertinents compte tenu des connaissances cliniques actuelles.

CONCLUSION

Cette revue identifie un certain nombre de programmes de soins collaboratifs qui sont efficaces dans le traitement des adolescents atteints de troubles dépressifs. Cependant aucune intervention n’a été retrouvée en France et peu étaient centrées sur la pratique infirmière avancée. Même si les compétences nécessaires pour proposer ce type de soins correspondent à celles que les futurs IPA PSM doivent acquérir durant leur formation initiale, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour confirmer la reproductivité de cette mise en place par un IPA.

Il pourrait être intéressant de réaliser une recherche sur l’amélioration clinique des adolescents atteints de troubles dépressifs après une intervention de soins collaboratifs menée par un infirmier de pratique avancée dans un contexte français.

RÉFÉRENCES

  • 1. Kennard B, Silva S, Vitiello B, Curry J, Kratochvil C, Simons A, et al. “Remission and Residual Symptoms After Short-Term Treatment in the Treatment of Adolescents With Depression Study (TADS)”. Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry. déc. 2006;45(12):1404-11.
  • 2. Page MJ, Moher D, Bossuyt PM, Boutron I, Hoffmann TC, Mulrow CD, et al. “PRISMA 2020 explanation and elaboration: updated guidance and exemplars for reporting systematic reviews”. BMJ. 29 mars 2021;n160.
  • 3. Page MJ, McKenzie JE, Bossuyt PM, Boutron I, Hoffmann TC, Mulrow CD, et al. “The PRISMA 2020 statement: an updated guideline for reporting systematic reviews”. BMJ. 29 mars 2021;n71.
  • 4. Grosjean J, Merabti T, Dahamna B, Kergourlay I, Thirion B, Soualmia LF, et al. “Health multi-terminology portal: a semantic added-value for patient safety”. Stud Health Technol Inform. 2011;166:129-38.
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  • 12. Rapp AM, Chavira DA, Sugar CA, Asarnow JR. “Integrated Primary Medical-Behavioral Health Care for Adolescent and Young Adult Depression: Predictors of Service Use in the Youth Partners in Care Trial”. Journal of Pediatric Psychology. 1 oct 2017;42(9):1051-64.

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt

COORDINATION :

VALÉRIE BERGER IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins, CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maître de conférences associée temporaire, université de Bordeaux. valerie.berger@chu-bordeaux.fr

CAROLINE SERNICLAY Cadre de santé, coordinatrice paramédicale de la recherche en soins, CHU de Reims, pilote de la CNCPR. cserniclay@chu-reims.fr

EN PARTENARIAT AVEC LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE