LE PATIENT AU CŒUR DE L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE
JE ME FORME
RELATION DE SOIN
*infirmier, M. Sc (recherche en sciences de l’éducation), cadre de santé, formateur consultant
**infirmière puéricultrice, Ph. D en sciences infirmières, maîtresse de conférences en sciences infirmières (CNU 92)
En France, en 2018, 20 millions de personnes sur une population d’environ 67 millions ont eu recours à des soins liés à une pathologie chronique. L’éducation thérapeutique du patient (ETP) s’inscrit dans une vision globale ou holistique (du grec holos qui veut dire « tout », « entier ») de la santé. Cette vision trouve sa source dans la philosophie grecque antique avec Hippocrate qui énonce que la santé est une harmonie, un équilibre. Dans cette idée, l’Organisation mondiale de la santé (OMS)(1) a défini en 1946 la santé comme un bien-être physique, mental et social et pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité. La personne est un être biopsychosocial. La santé correspond à une conception individuelle, subjective. L’ETP, centrée sur le patient, s’adosse également à la Charte d’Ottawa de 1986, qui précise que la promotion de la santé a pour but de « donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer(2) ». L’ETP connaît en France un essor significatif et s’intègre aussi bien en secteur hospitalier que libéral. Elle est d’ailleurs encadrée. Depuis la loi Hôpital, patients, santé et territoire (HPST) de 2010, pour mener des programmes d’ETP, un professionnel de santé a l’obligation de se former pendant au moins 40 heures sur le sujet. Outre les compétences spécifiques que tout éducateur de santé doit développer pour dispenser ou coordonner un programme d’ETP(3), il est indispensable de maîtriser les concepts fondamentaux de l’ETP reliés directement au patient, ainsi que de savoir les lui expliquer (cf. vignette clinique), dans un partenariat soignant-soigné. C’est là l’objet du présent article qui se propose de développer sept grands concepts présentés dans la figure 1 ci-contre.
L’autonomie est définie par la capacité à se gouverner soi-même. Elle présuppose pour le patient la capacité de jugement, c’est-à-dire la capacité de prévoir et de choisir et la liberté de pouvoir agir, accepter ou refuser en fonction de son jugement.
→ Ne pas confondre : en ETP, l’autonomie ne recouvre pas les notions utilisées notamment chez la personne âgée de perte d’autonomie qui correspond davantage à une entrée en dépendance.
L’avènement du patient autonome correspond à sa capacité de s’affirmer dans son environnement, son milieu de vie. Le patient est dans ce cadre un sujet ouvert sur le monde et non un malade enfermé dans un système de santé. La qualité de vie prime sur la durée de vie. En pratique, l’ETP est un moyen de permettre au patient d’exister, de se manifester, de développer des stratégies d’adaptation (coping), de reprendre le pouvoir sur sa maladie chronique (empowerment). Dès lors, il n’est pas tant question d’éduquer le patient à ses soins, mais plutôt de se centrer sur un sujet singulier vivant une maladie chronique(4). Le patient autonome correspond également à un être en devenir, capable d’apprendre et de développer des compétences de deux types : autosoins et adaptation (voir tableau 1) « L’éducation thérapeutique du patient (ETP) est destinée à aider une personne atteinte de maladie(s) chronique(s) et/ou rare(s), ainsi que son entourage, à maintenir ou acquérir les compétences dont elle a besoin pour mieux se soigner et mieux vivre son quotidien(5). » Cette approche vise le développement chez le patient d’un « prendre soin de lui-même » ou self care(6).
→ En pratique :
→ en ETP, on parle davantage de « prise en soin » que de « prise en charge », qui tend à réduire le patient à un objet passif de soins, à un poids ;
→ il est question d’autosoins quand le patient réalise lui-même ses soins. Cette compétence relève d’une démarche éducative où l’aspect technique des soins entre en jeu, sur les plans de l’automesure, de l’autotraitement et de l’autosurveillance.
Afin que les patients soient en mesure de développer des compétences d’autosoins, trois conditions sont nécessaires, à savoir, que les patients auxquels ces techniques sont proposées :
→ en connaissent les principes d’exécution ;
→ se sentent en capacité de se les appliquer sans l’intervention extérieure d’un soignant ;
→ et [soient] “suffisamment” motivés pour intervenir sur leur corps de manière régulière, tout au long de leur vie(7) ».
Le statut de patient autonome implique pour l’infirmière une posture particulière, celle d’accompagnant. « L’accompagnement est le processus pendant lequel deux personnes, partenaires temporairement, deviennent compagnons […]. L’accompagnateur, c’est celui qui va faire en sorte que l’autre chemine à sa façon […]. L’accompagnateur est personne ressource(8) […]. » En pratique, il s’agit pour l’infirmière d’être avec le patient, à côté, un peu en retrait, jamais au premier plan, de prendre part à son projet, son orientation, mais en lui laissant le choix, en bref, d’être au service du patient. L’infirmière est alors bien davantage un éducateur de santé qu’un auxiliaire médical. « Dans la relation d’éducation, ce qu’on cherche à faire, c’est par le savoir mais pas seulement, faire que l’autre aille vers du bien-être (et non pas du mieux-être) et que, en fin de compte, l’autonomie, étant inscrite au cœur même de l’éducation, c’est l’autre qui évaluera le bien-être dont il est porteur. Sinon, on est dans l’instruction(8). »
Ainsi, si le patient tend à acquérir les connaissances et les techniques pour autogérer sa maladie, l’ETP vient-il provoquer une révolution culturelle dans la relation de soin, car l’infirmière doit partager ses connaissances et former le patient à des actes qui d’ordinaire constituent son domaine privilégié. À terme, pratiquer l’ETP pour un(e) infirmier(e), c’est s’effacer peu à peu jusqu’à disparaître.
Le concept de patient autonome est concomitant des concepts de patient acteur et de patient partenaire.
Le partenariat correspond à une « collaboration entre plusieurs acteurs et/ou collectivités cherchant à mettre en place un projet, un événement commun, tout en gardant leur autonomie(9) ». Cette notion de partenariat avec le patient est relativement récente en France, mais existe déjà au niveau international depuis les années 1970, où elle était développée aux États-Unis dans le cadre de la prise en soin des personnes diabétiques en milieu défavorisé(10). En éducation thérapeutique, le ou les objectifs du patient ne sont pas ceux de l’équipe d’ETP, ils convergent et le patient n’a pas le même référentiel de compétences que les soignants. Le partenariat ici « c’est quand on a besoin de l’autre, mais qu’on n’a pas les mêmes objectifs. Chacun a besoin que l’autre atteigne ses objectifs pour atteindre les siens. Si les objectifs sont communs, ce n’est pas du partenariat, c’est de la coopération. Donc l’accompagné a ses objectifs, l’accompagnateur a les siens(8). » Dans le cadre d’un programme d’ETP, la relation de partenariat s’établit avec le patient, son entourage, ses proches et avec l’équipe pluriprofessionnelle de santé. Il s’inscrit dans une dynamique de projet (dans le sens d’une représentation mentale d’une situation future que l’on pense pouvoir rendre réelle(11), celui du changement vers une qualité de vie améliorée. Ce partenariat se fonde sur un bilan éducatif partagé (BEP), se déroule selon un programme établi en collaboration entre tous les acteurs, s’évalue et se réajuste dans la même dynamique. Il y a donc une forme de contractualisation, impliquant un lien de confiance, un haut degré d’implication, où le patient est le décideur principal et où l’éducateur de santé prend une posture d’accompagnant. Il y a dans le partenariat une dynamique du mieux faire ensemble(12). Les savoirs de chacun, patients et soignants sont reconnus.
Pour l’infirmière, le partenariat implique de(13) :
→ créer un climat d’écoute active et bienveillante pour faciliter l’expression et la compréhension de ce qui est important pour lui ;
→ échanger des informations mutuelles pour s’accorder ensemble. Accéder par un dialogue structuré aux connaissances, aux représentations, aux ressentis du patient, à ses besoins, attentes et préférences ;
→ évaluer les besoins éducatifs et s’accorder avec le patient (BEP) ;
→ contractualiser entre le patient et l’équipe d’ETP sous forme d’un programme d’ETP ;
→ personnaliser les soins ;
→ développer et renforcer les compétences du patient à partager des décisions avec les soignants et à s’engager ;
→ reconnaître les efforts du patient ;
→ analyser, comprendre ces difficultés et rechercher des solutions avec le patient ou ses proches ;
→ faciliter l’expression du patient sur ses difficultés ;
→ réaliser une continuité des soins dans le temps ;
→ apporter des réponses évolutives dans le temps en fonction des besoins individuels et des circonstances ;
→ évaluer régulièrement la situation avec le patient et son entourage.
Le partenariat peut aussi dépasser le cadre d’une relation soigné-soignant et s’entrevoir dans une relation soigné-soigné, par exemple dans des échanges entre patients experts et patients novices via des réseaux associatifs(14). Le patient partenaire peut encore être impliqué dans la recherche, des actions de formation.
À partir du concept de patient partenaire s’est développé celui d’alliance thérapeutique.
L’alliance thérapeutique est un concept issu du champ disciplinaire de la psychothérapie (dans la lignée des travaux de Freud qui l’a défini le premier en 1913). Elle s’inscrit dans une collaboration, un partenariat, entre le patient et le thérapeute (aujourd’hui élargi systématiquement à une équipe d’ETP pluriprofessionnelle) dans le but de réaliser les objectifs fixés. « L’alliance thérapeutique correspond à une approche clinique et désigne le processus interactionnel qui lie le patient et le thérapeute autour de la finalité et du déroulement de la thérapie. Souvent synonyme de relation thérapeutique, elle croise aussi le concept de relation d’aide abordé dès la formation initiale infirmière(15). »
Dans les années 1970, Crozier et Friedberg(16), sociologues des organisations, ont défini la notion d’acteur comme étant celui qui joue un rôle avec une certaine marge de liberté. Concrètement, le patient acteur agit et son action se porte tant au niveau des choix et des décisions concernant son projet de vie et son programme d’ETP (par exemple, à tout moment, il peut stopper le programme d’ETP), que dans sa participation active à des ateliers individuels ou collectifs. « L’ETP conçoit le patient comme un acteur dans sa maladie et se propose même d’apprendre aux patients non seulement à effectuer des techniques de soins, mais à acquérir la capacité de prendre eux-mêmes des décisions thérapeutiques(17). »
→ En pratique : pour l’infirmière, rendre le patient acteur consiste notamment à s’appuyer sur des méthodes pédagogiques actives comportant sept principes fondamentaux(18) : l’action, l’activité en groupe, l’interactivité, la réflexivité, la métacognition, l’autoévaluation et l’accompagnement.
En réalité, en ETP, il serait plus juste d’évoquer la notion de patient auteur qui selon Ardoino(19) correspond à celui qui s’autorise en fonction de ses désirs. La notion d’auteur se rapproche alors mieux du concept d’autonomie de l’ETP.
Il faut bien distinguer deux concepts de l’ETP : l’expérience patient et le patient expert qui sera abordé plus loin. L’expérience patient se fonde sur le vécu subjectif et donc personnel que le patient a de sa maladie. L’expérience est cependant différente du vécu, elle correspond au travail du patient à partir de son vécu(20). Elle fait sens pour lui et contribue à une boucle de rétroaction entre l’expérience brute, la réflexion sur cette expérience source de nouvelles expériences, etc.(21). L’expérience est ici comprise comme un acquis et un mode d’acquisition liant le faire et le connaître. Le concept d’expérience remet en cause la domination de la théorie sur la pratique, l’application de savoirs dans l’activité, au profit de l’apprentissage dans l’activité même(22).
→ En pratique : le patient peut utiliser l’expérience de sa maladie chronique pour mieux se connaître et également pour agir et ainsi gérer au mieux sa maladie.
La prise en compte de l’expérience patient est incontournable en ETP.
La reconnaissance de l’expérience du patient peut être historiquement rattachée à la naissance, en 1935 aux États-Unis, des groupes de parole des alcooliques anonymes. L’expérience du patient est reconnue comme un facteur favorisant l’accompagnement d’autres patients. Aujourd’hui, l’ETP requiert donc l’inclusion dans les programmes d’ETP de patients intervenant soit au niveau du BEP, soit lors des ateliers individuels ou de groupes. Un patient s’identifiera davantage à un pair porteur d’une maladie similaire qu’à un soignant, si engagé qu’il soit. Un patient intervenant met au service de l’équipe d’ETP et des autres patients ses savoirs expérientiels, c’est un « pair aidant ».
→ En pratique : un patient intervenant est un patient volontaire pour apporter et partager son expérience de la maladie chronique auprès d’autres patients au sein d’un programme d’ETP.
Sur le terrain se posent les questions de la reconnaissance et de la légitimité de l’expertise du patient et de la transmission de ses savoirs expérientiels au niveau d’une démarche d’ETP. Depuis 2010, il existe un diplôme universitaire (DU) de patient expert (université de la Sorbonne, Paris). « C’est une innovation universitaire visant à concevoir et animer des parcours diplômants à destination des personnes atteintes d’une maladie qui désirent transformer leur expérience vécue de la maladie en expertise au service de la collectivité(23). » Cette reconnaissance confère au patient expert une posture de nouvel acteur clé du système de santé. « En France, il n’existe pas de définition officielle du patient expert ; elle varie selon les domaines d’expertise considérés, les fonctions et les circonstances […] Un consensus existe toutefois sur ce que le terme recouvre : le patient expert désigne celui qui, atteint d’une maladie chronique, a développé au fil du temps une connaissance fine de sa maladie et dispose ainsi d’une réelle expertise dans le vécu quotidien d’une pathologie ou d’une limitation physique liée à son état(24). » La notion s’étend aux parents des patients trop jeunes pour remplir ce rôle.
À l’instar du patient intervenant, le patient expert est avant tout un « pair aidant ». La formation du patient expert s’inscrit dans une dynamique pédagogique où les soignants et les patients partagent les mêmes activités d’apprentissage et de formation(25).
→ En pratique : ce qui différencie un patient intervenant d’un patient expert, est que ce dernier a réalisé une formation diplômante et développé des compétences spécifiques, notamment en lien avec un savoir-être et des approches pédagogiques.
Le statut de patient expert est encore en cours d’élaboration et est amené à se développer, avec notamment la construction de référentiels métiers ou de référentiels professionnels, mais il est déjà possible d’entrevoir son champ d’action qui s’avère très large :
→ Pair aidant/émulateur pour les échanges et partages d’expérience directs avec les malades et leurs proches quelle qu’en soit la forme (permanences : par téléphone ou en présentiel, rencontres, tchat). C’est la base de l’expertise du patient expert.
→ Pair formateur : coconstruction de programmes d’éducation thérapeutique et animation d’ateliers avec les soignants, vulgarisation des informations médico-scientifiques, coaching, témoignages au cours de formations médicales ou paramédicales ou lors de colloques médicaux ou scientifiques.
→ Ressource en tant qu’usager représentant des malades pour l’organisation des soins et la gouvernance des hôpitaux, la rédaction de fiches pratiques ou de protocoles de soins en collaboration avec les médecins, la co-construction ou relecture de protocoles d’études scientifiques.
→ Ressource pour de nombreuses instances publiques ou apparentées : des pools de malades experts sont recensés à l’Agence européenne des médicaments, à la Haute Autorité de santé (HAS), dans les maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH) dans les comités de protection des personnes (CPP), ou autres (European Neuromuscular Centre [ENMC], Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé [ANSM]…). « Ces institutions ou associations recherchent toutes des patients experts et affichent leur volonté de mettre les malades au centre des dispositifs, pour garantir un minimum de démocratie sanitaire et éviter de lourdes erreurs(24) ».
Pour conclure, cette approche conceptuelle est importante pour toute infirmier(ère), de secteur hospitalier, privé ou publique, ainsi qu’en exercice libéral, déjà inscrit(e) dans une démarche d’ETP ou souhaitant s’y investir. Cette clarification sémantique nous semble incontournable pour se forger une culture d’éducateur de santé où le patient est au cœur du dispositif d’apprentissage. « Nul ne peut prétendre favoriser l’apprentissage de l’autre et mettre en place les conditions pour qu’il apprenne, s’il ne cherche pas lui-même à élaborer, à construire et à expliciter une conception personnelle de l’apprentissage(26) ».
* chercheure associée au Réseau de recherche en interventions en sciences infirmières du Québec (RRISIQ), membre invitée du Centre d’innovation en formation infirmière (Cifi), cadre de santé formatrice.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.
Madame Y., 48 ans, d’origine tchétchène, se rend à la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) à l’occasion de son suivi trimestriel du diabète de type 2, traité par Metformine et insuline auto-administrée. Le diagnostic du diabète a été posé à l’âge de 40 ans. Elle a déjà participé à un programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP), mais la consultation ce jour-là révèle une prise de poids de 3 kilos en trois mois (IMC = 33,6 : obésité modérée), avec des oublis dans la prise de la Metformine, ainsi que des signes de perturbation de l’estime de soi (« dit se sentir inutile »). L’infirmière lui propose de suivre un nouveau programme d’ETP avec la participation d’un patient expert, pour renforcer sa posture de patiente partenaire et améliorer l’alliance thérapeutique. Madame Y. écoute l’infirmière, puis, après un silence, lui demande de clarifier toutes ces expressions qu’elle mélange et peine à comprendre, d’autant qu’elle ne maîtrise pas parfaitement le français.