SOINS NON PROGRAMMÉS : LES INFIRMIÈRES AU FRONT
ACCÈS AUX SOINS
JE DÉCRYPTE
SYSTEME DE SANTE
Face aux difficultés pour accéder aux soins non programmés, des solutions innovantes se mettent en place : unités mobiles, centres dédiés, etc. Autant d’initiatives qui reposent en grande partie sur les infirmières. Témoignages.
Sur notre territoire, quand on appelle le médecin, on a souvent un rendez-vous à sept jours… Du coup, les gens sont très contents quand ils viennent chez nous, ils nous disent qu’ils ne savent pas comment ils auraient fait si on n’avait pas été là. » Ce constat à la fois désolant et gratifiant est dressé par Peggy Hallé, Idel à Compiègne, dans l’Oise, qui effectue ponctuellement des vacations au centre de soins non programmés monté en août par la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de Compiègne et le centre hospitalier intercommunal de Compiègne-Noyon. L’objectif : désengorger les urgences de l’établissement en prenant en charge les patients qui, sans relever de l’urgence vitale, ont besoin d’une consultation rapide qu’ils ne trouvent pas en ville. Le territoire compiégnois est d’ailleurs loin d’être le seul à chercher des solutions à la prise en charge de tels soins non programmés. En établissement ou en ville, dans le privé ou le public, les initiatives fleurissent en France et ont au moins un point commun : elles ont toutes besoin d’infirmières, voire de beaucoup d’infirmières…
À Compiègne, par exemple, quand le centre est ouvert, trois infirmières sont nécessaires pour assurer l’accueil, les soins et la préparation de la consultation médicale. La première occupe une fonction d’ordre plutôt administratif, mais qui n’en est pas moins cruciale. « Si un patient appelle le Samu par exemple parce qu’il a mal à l’oreille, et que le médecin régulateur estime qu’il peut être pris en charge chez nous, il va me faire le topo, me passer la personne, et je vais planifier le rendez-vous avec elle », explique ainsi Mathilde Blottière, Idel remplaçante qui assure cette fonction environ trois ou quatre fois par semaine. Les deux autres, à l’instar de Peggy Hallé, sont les infirmières effectrices. « Nous recevons le patient de manière individuelle, nous prenons les premiers renseignements (antécédents, traitement actuel, symptomatologie, etc.), détaille cette dernière. Nous anticipons la consultation en prenant la tension, la température, éventuellement en faisant un test covid ou des bandelettes urinaires… »
Détail important : le centre de soins non programmés de Compiègne n’est pour l’instant pas directement accessible aux patients, qui doivent obligatoirement passer par une forme de régulation, via le Samu ou les urgences. Ce n’est pas le cas dans d’autres types de structures accueillant des soins non programmés, qui prennent à la fois des patients « régulés » (que ce soit par les urgences, le Samu, la permanence des soins ambulatoires, ou directement adressés par des médecins généralistes ou spécialistes) et des patients qui se présentent spontanément. Mais si le mode d’adressage change, la composition des équipes, elle, reste fondée sur deux piliers : le médecin et l’infirmière.
À Bouc-Bel-Air, dans les Bouches-du-Rhône, le centre Urgent Care est ouvert 7 jours sur 7, de 9 heures à 19 heures, avec la présence permanente d’un binôme médecin-infirmier. Et si l’on en croit Nathalie Shubin, infirmière au sein de cette structure, y exercer est assurément épanouissant. « C’est une prise en charge aiguë, très concrète, qui permet un contact particulier avec les patients, et qui touche un public varié, des nourrissons jusqu’au grand âge, décrit la soignante. La collaboration avec le médecin est ainsi étroite, c’est un exercice qui n’est pas isolé tout en permettant de prendre des initiatives. » Car si le médecin du centre dispose d’un certain plateau technique, notamment en termes d’imagerie, l’infirmière n’est pas en reste. « On peut faire des perfusions, des bilans sanguins, etc. », énumère-t-elle.
Bien que, comme ses consœurs de Compiègne, Nathalie Shubin soit libérale, l’exercice dans les centres de soins non programmés est aussi possible en tant que salarié. La preuve avec la clinique Bouchard, de Marseille : en septembre, celle-ci a ouvert en son sein un centre de soins non programmés où les médecins sont libéraux, mais où les infirmiers, eux, sont salariés. « Nous faisons beaucoup de pansements, de bilans, etc., et nous pouvons profiter du plateau technique qu’offre la clinique pour l’imagerie, le labo, les spécialistes qui sont sur place, etc., témoigne Laurent Solis, recruté spécialement pour la création de la nouvelle structure. C’est donc comme un service d’urgences, mais sans le “speed” qu’on peut avoir quand on a des urgences vitales. »
Pour répondre aux demandes de soins non programmés, les infirmiers ne se contentent pas seulement de rester entre les quatre murs d’un établissement ou d’un centre dédié. C’est ce que prouvent les unités mobiles de télémédecine, qui se développent dans toute la France avec l’association Sauv Life : adossées au centre 15, elles permettent d’envoyer au domicile d’un patient un infirmier équipé d’une mallette de télémédecine. « Quand j’arrive chez un patient, je commence par faire un bilan avec les paramètres vitaux, l’historique de la maladie, les traitements en cours, etc., décrit Victorien Pineaud, infirmier qui effectue des vacations régulières dans l’unité positionnée auprès du Samu de Paris. C’est ni plus ni moins que le travail d’un IOA [Infirmier organisateur de l’accueil, NDLR], mais à domicile. Puis le médecin réalise la téléconsultation via la mallette, qui est équipée de matériel adapté [électrocardiogramme, stéthoscope connecté, échographe, etc., NDLR]. S’il y a besoin d’utiliser le stétho, par exemple, c’est moi qui manipule l’instrument en suivant les instructions du médecin. Cela permet aux patients, souvent âgés, de ne pas avoir à se déplacer, et même si cela ne règle qu’une partie du problème, cela participe à désengorger les urgences. »
On le voit, il existe de multiples modalités selon lesquelles la profession est impliquée dans les nouvelles formes de prise en charge des soins non programmés. Mais à cette diversité répond une constante : la satisfaction des infirmières concernées, qui se sentent unanimement utiles dans les fonctions qu’elles occupent. « Il y a quelques jours, nous avons eu une enfant de six ans qui avait une otite séreuse, l’oreille coulait, il lui fallait un antibiotique rapidement, se souvient Peggy Hallé. Ses parents étaient arrivés depuis un an à Compiègne, mais n’avaient pas trouvé de médecin traitant, personne ne pouvait les prendre. Ils nous ont beaucoup remerciés : la seule alternative, pour eux, c’était les urgences et des heures d’attente. » Autre exemple, cette fois-ci à Marseille : « Je me souviens d’un patient qui est venu nous voir de façon spontanée, parce qu’il avait entendu parler de notre accueil des soins non programmés à la télé, raconte Laurent Solis. Il ne voulait pas aller aux urgences parce qu’il savait que ça allait lui prendre beaucoup de temps, et il a eu raison : cela faisait cinq ans qu’il n’avait pas de suivi, et on lui a découvert une embolie. »
Reste que le sentiment d’offrir un service salutaire à une population mise aux abois par la crise de la démographie médicale n’est pas sans s’accompagner de quelques difficultés matérielles. C’est ainsi que Nathalie Shubin, en tant qu’Idel, peine à trouver son compte dans la nomenclature des actes que l’Assurance maladie lui permet de facturer. Celle-ci est en effet avant tout conçue pour le suivi des maladies chroniques, et beaucoup moins pour le traitement d’épisodes aigus tels que ceux qui se présentent au centre Urgent Care. « Il y a beaucoup d’actes que nous faisons, et que nous ne pouvons pas coter, déplore la Provençale. Nous accueillons le patient, nous l’installons, nous prenons sa tension, nous faisons parfois un électrocardiogramme… Tout cela, ce sont des actes gratuits. Bien sûr, nous faisons aussi des sutures et des pansements ainsi que, parfois, des perfusions, mais ce n’est pas suffisant. » L’infirmière souligne toutefois qu’au sein de la toute nouvelle Fédération nationale des centres de soins non programmés (FNCSNP), qui a vu le jour cet été, un travail est en cours pour étudier la possibilité de négocier avec l’Assurance maladie un forfait permettant de couvrir cette nouvelle dimension de l’activité infirmière.
De manière générale néanmoins, les soins non programmés demeurent pour les infirmières une équation relativement précaire. Le centre compiégnois, financé à titre expérimental sur des fonds accordé par l’Agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France, n’a ainsi que peu de visibilité à long terme. « C’est vrai que c’est une structure qui a un certain coût, il faut une équipe avec un médecin et trois infirmières, donc on va devoir trouver une façon de pérenniser cela », indique Mathilde Blottière. « Pour l’instant, le projet va jusqu’en décembre, et nous ne sommes pas sûrs de pouvoir continuer », ajoute sa collègue Peggy Hallé.
Au-delà des questions de financement, beaucoup d’infirmières engagées dans les soins non programmés estiment qu’elles pourraient offrir encore plus de services à la population… si on leur en donnait les moyens. Quand on demande à Laurent Solis, de la clinique Bouchard, ce qui lui permettrait d’améliorer le service qu’il rend à la population, il commence par dire que « tout se passe très bien car tout le monde pousse dans le même sens », mais évoque rapidement la question du secrétariat. « Pour l’instant, l’activité ne permet pas d’avoir une secrétaire, mais j’espère que nous allons rapidement en avoir une, car la facturation n’est pas vraiment notre domaine », confesse-t-il. De la même manière, si Victorien Pineaud se dit extrêmement satisfait de son expérience au sein de l’équipe mobile de télémédecine parisienne, il souhaiterait avoir les moyens de faire davantage de choses. « Il arrive fréquemment que lors de la téléconsultation, les médecins prescrivent des bilans sanguins, qui sont à réaliser dans les plus brefs délais, illustre-t-il. Ce serait bien d’avoir dans notre mallette le matériel pour prélever des échantillons. » Le Francilien ajoute qu’il aimerait pouvoir délivrer certains médicaments prescrits, renouveler un traitement, majorer un antidouleur…
Enfin, l’existence d’une régulation pour accéder à certains de ces centres de soins non programmés est, de l’avis de nombre de professionnels, une situation préjudiciable aux patients. « Je comprends l’utilité d’avoir un premier tri, mais beaucoup de patients ne viennent pas nous voir tout simplement parce qu’ils se disent qu’ils ne vont pas appeler le 15 alors que ce qu’ils ont ne leur semble pas gravissime, regrette Peggy Hallé du centre compiégnois. On pourrait donc imaginer d’avoir un numéro direct, que les patients pourraient appeler avant de venir nous voir. » Autant d’éléments qui doivent sonner de manière étrangement familière à ceux qui, depuis des années, lisent les plateformes de propositions et autres comptes rendus d’états généraux infirmiers : l’amélioration des conditions de travail évoqué à Marseille, l’élargissement des compétences demandé à Paris et l’accès direct de la population réclamé à Compiègne font en effet l’objet de revendications de longue date de la part de la profession.
Lire sur espaceinfirmier.fr « Les centres de soins non programmés, alternative aux urgences, s’organisent », avec l’interview du Dr Maeva Delaveau, présidente de la Fédération française des CSNP, le 23/09/22, et « Sauv Life : des équipes paramédicales à l’appui des urgences », avec l’interview du Dr Lionel Lamhaut, fondateur de Sauv Life, le 25/08/2022.
Parmi les solutions à la problématique des soins non programmés qui, dans le domaine préhospitalier, impliquent un recours accru aux infirmiers, on peut également citer le cas des équipes paramédicales de médecine d’urgence (EPMU). Composées d’un IDE et d’un aide-soignant conducteur, ces dernières sont expérimentées depuis 2021 dans plusieurs établissements de la Sarthe : elles sont positionnées dans des zones éloignées du Mans, où est basé le Samu 72, ce qui leur permet d’intervenir rapidement et d’effectuer les premiers gestes en attendant l’arrivée d’une équipe médicalisée. « Avec en moyenne 22 minutes d’avance de l’EPMU par rapport au Smur, ces nouveaux modes d’activité permettent une prise en charge précoce et parfois salvatrice des patients en détresse vitale sur nos territoires éloignés de nos antennes Smur », notait en août dernier dans un communiqué le CH du Mans.