DE L’ÉCOCONCEPTION DES SOINS À L’ATTRACTIVITÉ DES MÉTIERS
DÉVELOPPEMENT DURABLE
J’EXPLORE
PRATIQUE INNOVANTE
Dans son numéro daté de mars, L’Infirmièr.e relayait un projet d’écoconception des soins mis en place au sein du centre hospitalier Paul Coste Floret à Lamalou-les-Bains (Hérault). Cette démarche se poursuit et prend même de l’ampleur avec une nouvelle orientation. Explications.
Quand on commence, on ne s’arrête plus… Engagé depuis 2011 dans une démarche de développement durable, l’établissement de soins de suite et de réadaptation (SSR) Paul Coste Floret a franchi une nouvelle étape en 2019 en lançant un projet d’écoconception des soins. Ce dernier portait sur un soin d’hygiène et de confort pour un patient post-AVC avec des actes de la vie journalière (AVJ), réalisé aussi bien par les infirmières, les ergothérapeutes que par les aides-soignants. Des indicateurs ont alors été définis pour permettre d’évaluer les pratiques au regard des différents piliers du développement durable : social, économique et environnemental (voir figure ci-contre). Depuis juin 2020, à la suite d’un audit mené par l’agence d’accompagnement Primum non nocere, les préconisations portant sur la réduction de la consommation d’eau, des déchets ou encore sur le stockage du matériel ont été prises et appliquées par l’équipe. L’identification de problématiques d’ergonomie, de manutention et d’organisation du soin a également conduit à des ajustements.
Entre fin août et début septembre 2022, le comité de pilotage (Copil) travaillant sur l’écoconception des soins s’est réuni afin de s’interroger sur la suite à donner à ce projet. « Trois décisions ont été prises au cours de cette réunion », fait savoir Laurence Fontenelle, coordinatrice des projets au sein de la direction générale. Le Copil s’est d’abord interrogé sur la pertinence de refaire un tour d’audit sur le même soin afin de mesurer des écarts, aussi bien positifs que négatifs, dans les pratiques. « Les membres du Copil ont tout de suite adhéré à cette mesure », indique-t-elle. L’audit a débuté fin octobre pour environ deux mois sur la base de la grille utilisée pour le premier audit. « Mener un audit nous demande un temps de travail supplémentaire, reconnaît Sylvie Pigeon, infirmière au sein de l’établissement et membre du Copil Écoconception des soins. Mais comme la finalité est d’améliorer nos pratiques, cet investissement en temps nous permet de mesurer nos progrès et nos points faibles et à terme, d’être plus efficaces. » Et d’ajouter : « Pour les soignants, cette démarche est gratifiante. Notre direction accepte notre questionnement sur le sens de nos actions et de nos soins, afin d’être dans l’efficience, d’allier qualité et sécurité des soins. C’est important pour nous, pour nos patients, et c’est plus valorisant que d’appliquer des protocoles sans réfléchir. » De son côté, Laurence Fontenelle se dit « plutôt confiante » sur les résultats auxquels l’audit aboutira, notamment parce que « les points les plus inquiétants en termes d’organisation du personnel ou d’usage de produits nocifs [comme les produits d’entretien et de désinfection, NDLR], ont déjà été levés, confie-t-elle. De plus, dans la continuité du travail que nous avons mené pour l’obtention de notre label Très haute qualité sanitaire, sociale et environnementale (lire l’encadré p. 48), nous avons dû maintenir un haut niveau d’exigence par rapport aux indicateurs issus du premier audit. »
Sa seule crainte porte sur le surcoût non maîtrisé, mais qui aurait pu être anticipé, de l’énergie. « En raison de la hausse des prix, je sais déjà que nous aurons des écarts sur cet axe », reconnaît-elle. La problématique pourra être approfondie avec le conseiller en transition énergétique et écologique en santé (CTEES), intervenant au sein du groupement hospitalier de territoire (GHT) depuis le printemps 2022. « Il est présent pour nous accompagner dans la maîtrise de nos énergies, afin de réfléchir aux évolutions possibles », explique Laurence Fontenelle.
À ce jour, 150 CTEES sont amenés à intervenir au sein des établissements sanitaires et médico-sociaux, afin de les aider dans leur transition énergétique et écologique, et ainsi réduire l’empreinte carbone. Les postes sont financés par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) dans le cadre du Ségur de la santé.
Le Copil s’est par ailleurs interrogé sur l’opportunité d’étendre le dispositif d’écoconception des soins et le protocole élaboré par l’équipe à un autre soin dispensé au sein de l’établissement. « Les membres du Copil ont certes reconnu l’intérêt de cette mesure, mais ils estiment qu’elle n’est pas prioritaire », rapporte Laurence Fontenelle. Une considération qui a conduit à une troisième décision. Les membres du Copil souhaitent également réfléchir sur la problématique liée à la pénurie en ressources humaines et au manque d’attractivité des métiers hospitaliers, à laquelle font actuellement face les établissements hospitaliers et la mettre en regard de la politique Responsabilité sociétale des entreprises ou des organisations (RSE/RSO) de l’établissement. « Il leur semble pertinent de mener une enquête sur le lien entre un établissement appliquant une politique de développement durable RSE et son attractivité afin de savoir si cet engagement ajoute de la valeur aux métiers », raconte Laurence Fontenelle. Le Copil a ainsi acté la mise en place d’une étude afin d’évaluer ce lien. « Notre établissement ne souffre pas actuellement de pénurie en termes de ressources humaines, rapporte-t-elle. Néanmoins, nous ne pouvons pas nier le contexte général ambiant de crise d’attractivité des métiers. Chaque année, les Instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) perdent de leurs effectifs, sans parler de la crise des vocations chez les directeurs d’établissement. Il faut se poser des questions profondes sur cette problématique et sur la nécessité de revoir les modèles d’organisation, afin notamment de permettre plus de souplesse. »
Ces différents points seront abordés dans le cadre d’un questionnaire adressé à l’ensemble du personnel de l’établissement au premier trimestre 2023. Les questions vont être élaborées au sein du Copil Écoconception des soins, auquel la psychologue du travail sera associée. « Nous représentons plusieurs professions hospitalières, et si nous élaborons le questionnaire en pluriprofessionnalité, nous devrions aboutir à des questions suffisamment pertinentes pour chaque corps de métier et ainsi en tirer une analyse et des conclusions », assure Sylvie Pigeon. Le résultat final sera validé, avant son envoi, par le Copil Développement durable RSE et par le Copil Qualité de vie au travail.
Après avoir testé la grille d’évaluation au sein du centre hospitalier Paul Coste Floret, Laurence Fontenelle entend lancer un appel à participation à d’autres établissements par l’intermédiaire du Comité pour le développement durable en santé (C2DS), dont elle est la vice-présidente. « Cela permettra d’amener de la valeur ajoutée à l’échantillonnage », estime-t-elle. L’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH), qui avait participé au financement du projet d’écoconception des soins, se félicite de ces nouvelles orientations, d’autant plus qu’elle accompagne les établissements sur ces questions d’attractivité des métiers. Laurence Fontenelle prévoit d’ailleurs de solliciter un financement pour la conduite de cette nouvelle initiative.
L’établissement a obtenu le 23 septembre 2022 le label Très haute qualité sanitaire, sociale et environnementale (THQSE) avec un score de 96 % (niveau or). Ce label implique des objectifs multiples : améliorer la qualité de vie, augmenter les performances, coconstruire une vision à long terme, structurer la démarche, limiter l’impact environnemental, mettre en réseau les acteurs, valoriser les actions, essaimer les bonnes pratiques et reconnaître les efforts. Un organisme évaluateur externe est chargé de l’audit sur site (Socotec). « Au-delà d’avancer sur un plan d’actions et d’agir dans le temps, ce label est l’aboutissement et la reconnaissance de onze ans de travail pour le développement durable et la politique RSE de l’établissement, se félicite Laurence Fontenelle. Il s’agit désormais d’un point de repère par rapport à un référentiel et à un benchmark. C’est aussi la reconnaissance d’un travail collectif, pour les professionnels. Cela permet de valoriser leur pratique, leur engagement et leur sérieux. »