LA SANTÉ FACE À LA NOUVELLE DONNE ÉNERGÉTIQUE - Ma revue n° 027 du 01/12/2022 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 027 du 01/12/2022

 

SITUATION DE CRISE

JE DÉCRYPTE

ÉCONOMIE DE LA SANTÉ

Adrien Renaud  

La flambée des prix de l’énergie consécutive à la guerre en Ukraine oblige tous les secteurs de l’économie à s’adapter. La santé ne fait pas exception : en ville comme à l’hôpital, les soignants apprennent à travailler en tenant compte de nouvelles contraintes énergétiques.

Comme si la crise du Covid, la crise du recrutement médical et paramédical, ou encore la crise des urgences ne suffisaient pas, le monde de la santé est en train d’apprendre à jongler avec une nouvelle donne : la crise énergétique. Car on ne soigne pas les patients seulement avec des médicaments et des gestes techniques ; pour faire fonctionner le système de santé, il faut aussi de l’essence, du gaz, ou encore de l’électricité. Autant de ressources dont les prix se sont envolés depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février dernier. Pour faire face, un seul remède : les économies d’énergie.

« Le coût de l’énergie, qui ne représentait en général que quelques pourcents dans le budget des établissements, est en train de doubler, voire de tripler », avertit Rudy Chouvel, responsable adjoint du pôle Offres à la Fédération hospitalière de France (FHF). Un constat qu’illustre de manière assez spectaculaire l’exemple du centre hospitalier sud-francilien (CHSF), dans l’Essonne. « Quand nous avons fait le prévisionnel des dépenses d’énergie, nous avons vu qu’il allait y avoir un véritable emballement, explique Loïs Giraud, directeur adjoint en charge des opérations et de l’innovation. Nous allions passer de 3,5 à 12 millions d’euros sur l’année, soit un écart de presque 9 millions qui ne créait absolument rien pour l’établissement. »

GAINS RAPIDES

C’est pour répondre à de telles situations que la FHF a présenté en octobre un guide pratique à destination des établissements qui liste des actions permettant des gains rapides en matière de sobriété énergétique (lire l’encadré « Savoir+ » p. 14). Car, comme le souligne Rudy Chouvel, la santé n’est pas tout à fait une activité comme les autres. « Il n’y a pas beaucoup de secteurs économiques où vous trouvez à la fois des plateaux techniques lourds, de l’hébergement, de la préparation de repas, des bureaux administratifs, etc. », énumère-t-il. Autant d’activités qui ont des besoins spécifiques et pour lesquelles des actions tout aussi spécifiques peuvent être entreprises.

« Notre idée était de donner des idées, précise Rudy Chouvel. Il y a des établissements qui sont déjà très avancés, mais il y en a pour lesquels de petites actions de court terme, qui ne coûtent pas forcément grand-chose, peuvent faire une grande différence. » Le représentant de la FHF cite notamment des opérations de « relamping » (remplacement des ampoules par des LED), ou encore des choses très simples comme l’entretien des filtres, ou « de plus moyen terme » comme la pose de compteurs.

ENTRE CHAUFFAGE ET CLIMATISATION

Il serait néanmoins naïf de croire que les établissements ont attendu le plan de la FHF pour agir. Au CHSF, par exemple, un plan d’économie d’énergie a été mis en place dès le mois d’octobre. « L’axe principal est le chauffage, explique Loïs Giraud. Nous avons décidé de le passer de 25 à 23 degrés dans les services très sensibles (maternité, réanimation, Ehpad, etc.), de 23 à 21 degrés dans les services de soins, de 23 à 19 degrés dans les services administratifs : chaque degré en moins, c’est 7 % d’économie d’énergie. » Par ailleurs, l’établissement a décidé de remplacer 5 000 néons par des LED. « C’est un investissement de 400 000 ou 500 000 euros, mais avec les tarifs d’électricité que nous allons avoir, il permet une réduction de la facture énergétique de 600 000 euros dès la première année », calcule le directeur adjoint.

Outre le chauffage et l’éclairage, de nombreux autres leviers peuvent être actionnés pour économiser l’énergie, estime Philippe Perrin, infirmier, expert en santé environnementale et directeur de l’Institut de formation en santé environnementale (Ifsen). Il cite notamment « l’installation de réducteurs de débit pour l’eau chaude, qui est une grande consommatrice d’énergie dans les établissements ». Celui qui se décrit volontiers comme « éco-infirmier » souligne un point rarement mis en avant : les économies d’énergie ne doivent pas être une préoccupation saisonnière, qui arrive à l’automne et s’en va au printemps. Le réchauffement climatique va selon lui intensifier les besoins en énergie pour la climatisation durant les mois les plus chauds. « Il faudra donc par exemple apprendre à limiter les entrées de soleil direct dans les chambres, notamment en fermant les volets ou les stores quand cela est nécessaire », prévient-il.

Les économies d’énergie reposent donc à la fois sur des changements systémiques à l’échelle des établissements, et sur des modifications individuelles de comportement. D’où l’importance de l’adhésion du personnel hospitalier. « L’idée n’est pas de définir une stratégie au sein de la direction, et de demander à tout le monde de l’appliquer, explique Loïs Giraud. Nous nous appuyons donc sur un groupe de volontaires aussi représentatifs que possible de l’établissement pour expliquer les mesures prises, mais aussi pour faire remonter l’information, en cas de difficultés pour appliquer telle ou telle disposition, ou si des possibilités d’aller plus loin sont identifiées. » Une démarche que Rudy Chouvel encourage. « Nous avons des retours positifs de la part d’établissements qui, comme les CHU de Clermont-Ferrand ou de Bordeaux, ont mis en place des ambassadeurs du développement durable dans chaque pôle ou chaque service », indique-t-il.

LE MOMENT ET LE FINANCEMENT

Reste que si la nécessité d’économiser l’énergie fait consensus, elle n’est pas sans poser certaines questions, à commencer par celle du moment opportun pour passer à l’action. Pour certains observateurs, l’empressement que l’on observe aujourd’hui du côté des établissements de santé pour améliorer leurs performances énergétiques a un arrière-goût d’occasion manquée. « On aurait pu voir venir cette crise, les établissements se posent aujourd’hui des questions qu’ils se sont déjà posées il y a quinze ans lorsque le prix du baril avait fortement augmenté, note Philippe Perrin. Mais depuis, le prix du baril a baissé, et on a arrêté de se poser ces questions. » Pour ce formateur, un peu d’anticipation aurait par exemple permis « d’améliorer considérablement les performances thermiques des bâtiments, que ce soit lors des rénovations ou des constructions », ou « d’économiser beaucoup sur le transport avec l’achat de véhicules sobres, la mutualisation des déplacements, etc. ».

Un questionnement légitime, auquel les établissements répondent cependant assez facilement. « Ce sont des choses sur lesquelles nous tentions d’avancer depuis un moment, mais ce n’est pas dévoiler un grand secret que de dire que la situation financière des établissements est tendue », défend Loïs Giraud. Celui-ci explique par exemple qu’il y a trois ans, quand l’électricité était moins chère, l’opération de relamping programmée dans le cadre du plan d’économie d’énergie du CHSF n’aurait pas été rentabilisée en un an. L’établissement aurait donc préféré investir les quelque centaines de milliers d’euros qu’elle représente dans un équipement médical. « Il y a donc toujours d’autres dépenses considérées comme plus urgentes, résume-t-il. Simplement, la hausse des prix de l’énergie de ces derniers mois a été un déclic. »

Autre questionnement lié à ce soudain effort de sobriété : la problématique de son maintien dans la durée. Au-delà des gains rapides, la transition énergétique va nécessiter un effort de financement sur le long terme, et donc un certain appui des pouvoirs publics. C’est du moins le propos avancé par la FHF. « Plusieurs projets ont été lancés ces derniers temps par le gouvernement comme le programme Actée [pour “Action des collectivités territoriales pour l’efficacité énergétique”, qui vise à aider à la rénovation énergétique des bâtiments publics, NDLR] ou Résilience 2 [qui vise la sobriété énergétique, NDLR], mais les établissements de santé en sont exclus, déplore Rudy Chouvel. Nous demandons donc la création d’un fonds vert, qui permettrait de financer la transition énergétique dans nos établissements. »

DE LA CRISE ÉNERGÉTIQUE À LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Enfin, se pose la question de l’inscription de la transition énergétique dans le cadre des efforts fournis par les établissements en faveur du développement durable. Il serait en effet dommage de limiter les transformations que la crise énergétique va engendrer au sein des établissements à des questions de gaz, de pétrole ou d’électricité. « Cette crise va nous permettre d’accélérer de manière plus large sur la transition environnementale, veut croire Rudy Chouvel. C’est d’ailleurs une évolution que l’on observe depuis de nombreuses années : les plus anciens ont commencé à parler de transition environnementale à l’hôpital il y a une dizaine d’années, puis cela s’est amplifié avec le Covid, et aujourd’hui plus personne ne peut faire semblant de ne pas entendre : il y a une demande des professionnels médicaux, paramédicaux, des directions, à ce que nous soyons exemplaires. »

Un sentiment relayé avec encore plus d’intensité par Philippe Perrin. « Il faut voir cette crise énergétique comme une opportunité, et même comme une opportunité telle qu’il ne nous en sera plus donné, estime-t-il. Nous avons la possibilité de changer nos comportements en tant qu’individus, en tant que soignants, pour éviter un désastre énergétique, social, climatique qui va rendre les écosystèmes inhabitables demain. » Et l’éco-infirmier d’appeler à voir cette crise non comme une fatalité, mais « comme un carrefour ». Le tout est donc de ne pas rater l’embranchement !

TROIS QUESTIONS À…

Christophe Minghetti, président de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) infirmiers d’Île-de-France.

Il évoque l’impact de la crise énergétique pour les soignants de ville.

Pour les Idels, la crise énergétique, est surtout liée à la question du carburant. Comment s’est-elle manifestée pour vous ?

Le principal problème, déjà, cela a été de trouver du carburant. Je rappelle que pendant trois semaines, cet automne, nous n’avions plus d’essence du fait de la grève dans le secteur pétrolier, et que les Idels n’ont pas été jugées prioritaires dans l’accès aux rares réserves qui étaient disponibles. C’est un véritable scandale, nous sommes les seuls professionnels à encore aller au domicile du patient, nous sommes disponibles 7 jours sur 7. Si le problème se reproduit, et il va malheureusement se reproduire, je demande que nous soyons considérés comme prioritaires. On peut aisément imaginer que quelques stations par département soient approvisionnées en permanence et réservées aux professionnels qui se rendent au domicile.

En dehors de l’accès à l’essence lors de ce type de crise, il y a la question du prix. Comment la profession peut-elle s’adapter ?

Je ne pense pas qu’il faille augmenter l’indemnité kilométrique, car je sais bien que dans les comptes de l’Assurance maladie, si on fait bouger ce genre de curseur, cela se compte rapidement en millions. Il faut en revanche que notre profession soit considérée comme faisant partie des grands rouleurs, comme les taxis. Cela nous permettrait de payer moins de taxes sur l’essence. C’est la seule solution, car à terme, malgré toute la conscience que nous avons, il y a certains patients chez lesquels nous ne pourrons plus passer, parce que cela nous reviendra trop cher.

Le gouvernement parle de rendre les Idels éligibles à la fameuse location de voitures électriques à 100 euros par mois, qu’en pensez-vous ?

Les voitures électriques, c’est l’avenir, mais le problème c’est qu’elles sont encore très chères. Donc à 100 euros par mois, je prends tout de suite, aucun problème ! Seulement, il faut aussi savoir que certaines Idels peuvent faire jusqu’à 200 kilomètres par jour, il leur faut donc des véhicules fiables, avec des batteries qui tiennent la distance.

Savoir +

DE BONNES PRATIQUES À PARTAGER

Dans un guide pratique* à destination des établissements, la Fédération hospitalière de France (FHF) liste une série d’actions « concrètes, peu coûteuses et rapides à mettre en place afin de diminuer leur consommation d’énergie ». Du chauffage (variateurs de débits, régulation de la température, programme horaire avec des régimes réduits, etc.) à l’eau chaude sanitaire (restauration ou ajout d’un calorifuge, optimisation de la température, etc.), en passant par la ventilation (rationalisation des usages) ou encore l’éclairage (« relamping » LED par exemple), l’eau froide sanitaire (chasses d’eau double commandes entre autres) ou la climatisation (paramétrage), tout y passe. Ces actions, précise la FHF, nécessitent l’implication forte des services techniques, mais aussi « de l’ensemble du personnel, puisque le premier levier de réduction des consommations réside dans les habitudes et gestes du quotidien (éteindre les lumières, fermer les portes et fenêtres en sortant d’une pièce, débrancher son chargeur, éteindre son écran d’ordinateur, mutualiser le petit électroménager : machine à café, bouilloire, etc.). »

* FHF, « 20 propositions pour la sobriété énergétique des établissements sanitaires et médicosociaux publics », octobre 2022, en ligne sur : bit.ly/3XnTSU3.