UN SUIVI PÉRIOPÉRATOIRE CENTRÉ SUR LE RESSENTI DU PATIENT
CHRU STRASBOURG
J’EXPLORE
COORDINATION
Le programme Optimiste, déployé par une petite équipe du CHRU de Strasbourg, place le ressenti du patient au cœur du suivi pré- et postopératoire, pour des interventions en chirurgie orthopédique. Cette approche s’appuie sur l’expertise et les capacités d’analyse des infirmières impliquées.
Un formulaire à la main, Bénédicte Laurent entre dans la chambre de Pascal Bouvier, dans l’unité de chirurgie ambulatoire de l’hôpital de Hautepierre, l’un des deux sites principaux des hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS). « Sur une échelle de 0 à 10, comment évaluez-vous votre capacité à communiquer avec vos proches ? », interroge l’infirmière. Elle déroule ainsi quinze questions, toutes notées sur un barème de 0 à 10, qui permettent au patient d’exprimer son ressenti, sur les plans physique et moral.
Ce questionnaire d’autoévaluation de l’état de santé périopératoire (QoR-15) est une des clés du programme Optimiste, développé par les HUS depuis 2020. Une équipe infirmière dédiée suit de près la récupération postopératoire des patients, qu’ils soient hospitalisés ou de retour chez eux. « Le point de vue du patient est intégré comme un élément des soins, et le score du QoR est utilisé comme une constante, au même titre que la température corporelle ou la pression artérielle. Cette donnée est versée au dossier du patient », précise le Pr Éric Noll, anesthésiste-réanimateur et référent médical du programme.
Le premier contact avec les patients est établi lors de la consultation d’anesthésie préopératoire, pour leur présenter le dispositif et le questionnaire. L’équipe maintient ensuite le lien avec eux le jour même ou le lendemain de l’intervention, puis à J3, à J14 et à J18. « C’est un suivi modulable : nous sommes joignables par téléphone en dehors de ces délais et il peut se prolonger si le besoin s’en fait sentir », précise Manon Eber, IDE investie dans le déploiement et le pilotage d’Optimiste.
Le patient du jour, Pascal Bouvier, vient de subir une petite intervention pour résorber une douleur à la hanche gauche. « J’ai deux prothèses de hanche depuis plusieurs années. En mai, j’ai été opéré pour une infection ostéoarticulaire sur la hanche droite », retrace-t-il. Il a alors bénéficié du suivi Optimiste, lors de ses trois semaines d’hospitalisation puis à son retour à domicile. « Grâce à cet accompagnement, j’ai pu faire part de la douleur qui était apparue sur l’autre hanche. Je n’aurais peut-être pas consulté si rapidement autrement, mais les infirmières en ont informé l’anesthésiste et le chirurgien », apprécie-t-il. Les médecins lui ont proposé des solutions analgésiques non invasives, avant de programmer cette infiltration de corticoïdes.
Si le programme repose sur une équipe de six paramédicaux (une cadre de proximité, une Iade, une infirmière en pratique avancée ou IPA, et trois IDE), une de ses forces réside dans les liens privilégiés établis avec d’autres professionnels. Les équipes de chirurgie et d’anesthésie de l’hôpital sont des partenaires du quotidien, mais le réseau s’étend aussi à des diététiciennes, des psychologues, des travailleurs sociaux, des kinésithérapeutes, au sein et en dehors de l’établissement - sans oublier les médecins de ville et les infirmières à domicile. « Le questionnaire est une porte d’entrée. Ensuite, nous aiguillons les patients dans leur parcours de soins : parfois, il s’agit juste de leur rappeler quelles sont les démarches à entreprendre, mais nous pouvons aussi faire le lien directement avec les professionnels », détaille Manon Eber.
« À leur sortie d’hospitalisation, nous ne revoyons les patients que six à huit semaines plus tard. Dans cet intervalle, ils sortent un peu des radars, alors qu’il y a des éléments intéressants à suivre, expose le Pr François Bonnomet, spécialisé dans la chirurgie orthopédique et traumatologique du membre inférieur. Le programme Optimiste permet de déceler des complications, mais même dans les cas où la récupération se passe normalement, il est intéressant pour nous d’avoir des retours sur l’évolution de la douleur et des capacités de nos patients. »
Ces critères non chirurgicaux permettent aux praticiens d’avoir d’autres indicateurs sur les suites de leurs interventions. Les données recueillies affinent aussi l’information transmise aux autres patients avant l’opération : ces derniers seront donc mieux préparés à leur propre récupération postopératoire.
Les chirurgiens notent un autre intérêt du programme : répondre au besoin accru des patients de se savoir suivis. « Il y a une vraie attente de leur part, à laquelle Optimiste répond. Une partie de nos patients sont dans des situations d’isolement social important, et le lien établi avec des psychologues et des travailleurs sociaux est précieux », remarque le Dr Yves Ntilikina, chirurgien du rachis.
Une consultation spécialisée dans la prise en charge de la douleur postopératoire a également été ouverte il y a quelques mois. « L’objectif est d’intervenir avant que la douleur ne devienne chronique, et d’agir sur tous les leviers : la prescription puis le sevrage d’antalgiques, mais aussi les mécanismes émotionnels, cognitifs et sociaux, d étaille le Dr Thomas Perrin, anesthésiste au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, qui assure cette consultation hebdomadaire liée au programme Optimiste. Dans le futur proche, de plus en plus de personnes âgées, avec des terrains complexes, auront besoin de chirurgie fonctionnelle. Nous devons apprendre à repérer les facteurs d’évolution défavorables pour leur proposer un meilleur suivi. » À cet effet, l’anesthésiste a schématisé les courbes de récupération, à partir des scores obtenus au QoR-15 (voir graphique ci-dessus) : « Cela permet de déclencher rapidement notre vigilance, dans le cas où un patient semble décrocher par rapport à l’évolution classique. »
Les médecins apprécient tous de pouvoir associer un suivi très individualisé à l’activité chirurgicale intense et technique propre à un gros CHU. Ce mécanisme vertueux repose entièrement sur les compétences et l’expertise de l’équipe infirmière. « Nous avons recruté des profils particuliers, commente Habiba Moussa, cadre supérieure du pôle anesthésie-réanimation. Nous cherchions des soignants qui aient à la fois une expérience clinique et technique, afin de repérer les difficultés, et de bonnes compétences relationnelles. »
Une partie de l’équipe partage son temps de travail entre le programme Optimiste et des services de soins. C’est le cas de Louise, qui a conservé un mi-temps dans un service de soins continus en ortho-traumatologie. « Les deux terrains d’exercice se complètent. Optimiste me permet de mieux comprendre le parcours patient sur un temps plus long, et comme les entretiens se font par téléphone après la sortie d’hospitalisation, cela m’encourage à affiner mes questions », remarque-t-elle. À la clé, une réflexion plus poussée sur les différentes situations, qui alimente aussi son travail en service de soins. « Avec mes autres patients, je pousse l’interrogatoire plus loin pour avoir une vision plus large de leur état de santé et de leur ressenti. »
Pour son collègue Stéphane, qui a 25 ans de métier, notamment en psychiatrie et en gérontologie, et qui a rejoint l’équipe récemment avec sa nouvelle casquette d’IPA, le programme Optimiste est une opportunité pour la profession. « C’est une mise en valeur de l’entretien infirmier qui s’était peut-être un peu perdu dans certains services. Les rendez-vous peuvent durer trente ou quarante minutes, voire davantage, et ce sont des relations de soin dans lesquelles nous sommes pleinement investis », complète-t-il.
Car le questionnaire n’est qu’une base de travail. Si les questions sont standardisées, les réponses sont souvent étoffées et c’est à l’occasion de ces échanges que des difficultés sont mises en évidence. « Notre travail consiste vraiment à analyser, à creuser pour comprendre les problématiques, puis à mettre des solutions en œuvre », insiste Bénédicte Laurent, une autre infirmière de l’équipe. Ces solutions peuvent être d’ordre médical, mais aussi psychosocial. « Au démarrage du projet, nous n’avions pas de réseau partenarial structuré. Le lien avec les soins de ville et avec des professionnels du champ médico-social s’est construit petit à petit, à partir des besoins exprimés par les patients et de nos différentes expériences », retrace Manon Eber. Filipa Roy, la cadre de proximité, insiste sur la valorisation de l’expertise infirmière : « Le programme repose sur la maturité professionnelle et les capacités d’analyse et de diagnostic des infirmières. »
Dans les parcours des professionnels, ces possibilités sont autant de portes qui s’ouvrent. « Je m’apprêtais à quitter la fonction publique hospitalière en 2020 quand on m’a proposé de participer au déploiement d’Optimiste. J’ai été convaincue de rester », sourit Manon Eber. Aujourd’hui détachée de l’équipe pour suivre un master en pratique avancée, l’infirmière n’en est pas moins l’investigatrice principale d’un essai randomisé sur le point de démarrer, qui cherchera à objectiver l’intérêt du programme.
Pour l’équipe, le but est en effet de démontrer la viabilité d’Optimiste, afin que cette prise en charge puisse se déployer plus largement. Deux autres hôpitaux de la région, à Colmar et à Mulhouse, ont déjà fait part de leur intérêt. Leurs équipes ont été accompagnées par les soignants strasbourgeois. Le programme semble promis à un bel avenir…
Depuis son démarrage en 2020, le programme de prise en charge Optimiste a bénéficié du soutien de l’agence régionale de santé (ARS) Grand Est. « Nous sommes financés par le fonds d’intervention régional (FIR) de l’ARS, et notre dispositif a pu voir le jour grâce à l’article 51 », récapitule le Pr Éric Noll, anesthésiste-réanimateur à l’origine du projet. L’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale de 2018 permet d’expérimenter de nouvelles organisations en santé, et vise à favoriser l’innovation en dérogeant à certaines règles de financement et de structuration des soins du droit commun. Une aubaine pour l’équipe, qui doit désormais faire la preuve de sa viabilité, notamment au travers de publications scientifiques. Éric Noll complète : « L’enjeu pour nous est de démontrer la pertinence de notre programme, afin qu’il soit pérennisé. »
Marie-Gabrielle Mithouard a 78 ans. Elle habite à une centaine de kilomètres de Strasbourg et vient de se faire poser une prothèse de genou sur la jambe gauche. Elle est l’exemple type des patients qui peuvent bénéficier du programme Optimiste. Depuis mai 2020, plus de 4 000 patients ont été suivis, au cours de quelque 23 000 entretiens. Tous ont subi une intervention chirurgicale osseuse, que ce soit dans le cadre d’un geste programmé ou d’une urgence.
« Nous essayons d’identifier, parmi les patients, ceux pour qui le suivi sera le plus bénéfique », explique Manon Eber, infirmière investie dans la mise en œuvre du programme. Éloignement géographique, conditions de vie, pathologies préexistantes : plusieurs critères entrent en ligne de compte. « Pour certains, le suivi sera assez routinier. Il arrive même qu’ils nous disent qu’ils n’en ont plus besoin. Dans d’autres cas, Optimiste est un vrai facteur d’amélioration des capacités de récupération, notamment quand il y a des problématiques de douleurs chroniques préexistantes, poursuit-elle. À mesure que nous développons notre expertise, nous cherchons à identifier les terrains complexes le plus en amont possible. » Pour d’autres encore, le suivi Optimiste sera la présence bienveillante qui leur évitera de basculer dans l’angoisse. Marie-Gabrielle Mithouard témoigne : « J’ai un peu mal, mais on m’a expliqué que c’était normal au lendemain de l’opération. Je repartirai chez moi rassurée de savoir que je peux appeler si j’ai une question ou un souci. »