L'infirmière n° 029 du 01/02/2023

 

JE RECHERCHE

REVUE DE LA LITTÉRATURE

ALEXANDRE DONGUY*   CHRISTELLE PENNECOT**  


*Étudiant Infirmier en pratique avancée, mention santé mentale, CHU Dijon, UMDPC santé. alexandre.donguy@gmail.com
**IDE, Ph.D, cadre supérieure par intérim, coordonnatrice de la recherche paramédicale CHU Dijon et responsable Master IPA Bourgogne.

Selon les chiffres de la santé publique en France, « La moitié des personnes présentant un premier épisode psychotique cessent le traitement durant les six premiers mois ». Le risque majeur de la rupture de soins est une récidive précoce du trouble psychotique qui se manifeste par une décompensation psychotique nécessitant une hospitalisation et pouvant aboutir au développement d’une schizophrénie. L’anosognosie ou la non-reconnaissance des troubles, est un symptôme qui favorise l’inobservance des thérapeutiques et du suivi. La mission principale de l’infirmier en pratique avancée est de permettre la continuité des soins. Son rôle dans la prévention de la rupture de soins est majeur en raison de sa capacité de suivi d’un patient chronique sur le long terme. Les dernières recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), et plus largement de la littérature scientifique, ont posé une base fondamentale au suivi des patients atteints d’une maladie chronique : ils deviennent des partenaires de soins. Ce partenariat permet la rencontre entre le savoir théorique et le savoir expérientiel. Il ne peut être instauré que dans un cadre de confiance, d’écoute, de compréhension et parfois de compromis. C’est le concept d’alliance thérapeutique(1). Ainsi posons-nous la question suivante : en quoi l’instauration d’une alliance thérapeutique entre les soignants en psychiatrie et un patient atteint d’un premier épisode psychotique peut-elle éviter le risque de rupture de soins ?

MÉTHODOLOGIE

MOTS-CLÉS ET ÉQUATIONS DE RECHERCHE

Une recherche préliminaire avec deux ouvrages apportant des notions de base en santé mentale (2,3) a permis de dégager les mots et expressions clés issus de la question de départ. Nous utilisons également L@BUchezvous et mesh.inserm.fr pour obtenir une traduction scientifique des mots-clés en anglais.

→ Concepts mobilisés : adhésion thérapeutique (compliance to care) et alliance thérapeutique (therapeutic alliance)

→ Population : soignants (caregivers), psychose ou schizophrénie (psychotic disorders or schizophrenia), premier épisode psychotique (first psychotic episode)

→ Contexte : santé mentale ou psychiatrie (mental health Or psychiatry)

→ Problème de santé : rupture de soins (non-adherence)

→ Objectif de santé : continuité des soins (continuity of care)

Six équations principales de recherche associant les mots-clés ont été développées avec l’opérateur boléen « AND » et ont été testées en anglais et en français. Afin d’obtenir le maximum de références pertinentes, les équations de recherche ont été élargies en associant l’opérateur « OR » pour les mots-clés principaux ayant un synonyme :

→ Équation 1 : (« alliance thérapeutique » OR/OU adhésion thérapeutique) AND/ET « soignants » AND/ET (psychose OR/OU schizophrénie)

→ Équation 2 : (« alliance thérapeutique » OR/OU adhésion thérapeutique) AND/ET « premier épisode psychotique »

→ Équation 3 : (« alliance thérapeutique » OR/OU adhésion thérapeutique) AND/ET « premier épisode psychotique » AND/ET « rupture de soin »

→ Équation 4 : « rupture de soin » AND/ET (« psychose » OR/OU « schizophrénie »)

→ Équation 5 : « rupture de soin » AND/ET « premier épisode psychotique »

→ Équation 6 : « continuité des soins » AND/ET (« psychose » OU/OR « schizophrénie ») AND/ET (« santé mentale » OR/OU « psychiatrie »)

L’ensemble de ces équations de recherche a pour objectif d’identifier dans la littérature scientifique récente des éléments de réponse sur l’alliance thérapeutique entre les soignants et les patients atteints d’un premier épisode psychotique, en santé mentale. Nous cherchons à définir la rupture de soins, ses causes, ses conséquences, sa prise en charge dans l’objectif de la prévenir, selon les dernières données.

BASES DE DONNÉES QUESTIONNÉES

La revue de la littérature a été effectuée en questionnant les moteurs de recherche scientifiques Pubmed et Lissa ainsi qu’un bouquet d’éditeurs d’articles scientifique - le Cairn, ScienceDirect et Elsevier, via la faculté de Dijon. Lissa est un moteur de recherche scientifique francophone plutôt orienté sur les soins en santé mentale et la psychiatrie. Pubmed met à disposition l’ensemble des dernières recherches internationales sur tous les thèmes de la discipline médicale. Le bouquet d’éditeurs, outre des articles très actuels, donne accès à des archives permettant de comparer des théories, concepts, pratiques et leurs évolutions au fil des époques. Cairn est reconnu pour ses publications dans le domaine des sciences humaines. Cette revue de littérature a été réalisée sur la période du 3 au 5 mai 2022.

RÉSULTATS

Au total, 350 articles ont été sélectionnés sur les trois moteurs de recherche avec l’utilisation systématique des six équations de recherche. La sélection s’est faite en trois étapes : la lecture des titres (350 titres retenus), le tri des résumés (97 résumés retenus) et la lecture du corps scientifique - introduction, méthodologie, résultat et discussion (46 articles retenus). Dans la plupart des cas, les articles sont trop généraux et non centrés sur la problématique de recherche : l’alliance thérapeutique et la rupture de soins chez le jeune patient lors d’un premier épisode psychotique. Sur les 46 articles restants, après lecture intégrale, nous en retenons seulement 26 qui traitent spécifiquement de notre sujet d’étude. Ils vont nous permettre d’apporter des éléments de réflexion sur la problématique posée en introduction.

Ne sont pas comptabilisés six articles retrouvés en commun avec les équations de recherche 4 et 5 sur les trois moteurs de recherche et le bouquet d’éditeurs cités plus haut. Les équations de recherche ayant l’expression « premier épisode psychotique » sont les plus pertinentes.

Le diagramme de flux PRISMA (ci-contre) illustre la sélection des articles retenus pour répondre à notre question de départ.

DISCUSSION

Le cadre contextuel est partagé par la totalité des articles. Tous les auteurs révèlent que le suivi des jeunes patients présentant un trouble psychotique débutant est ponctué de ruptures de soins (2, 4, 5) avec un pourcentage de rechute de 50 % dans les deux ans. Les réhospitalisations multiples et précoces ont un coût pour le système de santé. Les rechutes multiplient le risque d’entrée dans la schizophrénie. Pourtant, des thérapeutiques de nouvelle génération sont capables de stabiliser les symptômes et le trouble psychotique(6). Cet état des lieux est le point de départ des recherches. Les articles sélectionnés étudient et proposent une évolution des pratiques favorables à la personne arrivant en soin et au système proposant le soin.

La revue de la littérature révèle un accroissement des recherches dans le domaine de l’alliance thérapeutique et de la rupture de soins ces dix dernières années. Cette évolution s’explique par la nouvelle place occupée par le patient : celle de « patient partenaire ». Un terme régulièrement retrouvé dans les articles (1,7,8,9). Les auteurs démontrent qu’une alliance thérapeutique est essentielle à la continuité des soins. Elle se définit comme une collaboration mutuelle, un partenariat entre le patient et le soignant dans le but d’accomplir des objectifs communs(8). C’est à la fois un mode de relation et un mode d’organisation. L’objectif fondamental commun est le maintien de la qualité de vie. Les recherches sont unanimes et convergent vers une idée d’équilibre entre :

→ un traitement nécessaire à la stabilisation du trouble et des symptômes ;

→ et un traitement qui ne présente pas d’effets secondaires pénibles(10), motif d’arrêt de traitement.

Un seul article évoque la gestion autonome de la médication (GAM)(10) qui induit le plus haut niveau d’autonomie du patient, en lui laissant le pouvoir décisionnaire (empowerment). Un collège de psychiatres international(11) qui questionne la GAM traite en particulier de la question du dosage médicamenteux voire de l’arrêt des traitements antipsychotiques en lien avec leurs effets indésirables (observance). Leurs retours à propos de la GAM font ressortir l’appréhension d’un arrêt de traitement. Celui-ci peut être perçu comme inutile par la population soignée, en particulier chez le jeune patient qui n’a pas l’expérience de la maladie, et pour lequel le risque de rupture de soins est majeur. Actuellement en cours d’étude, la GAM rencontre des réticences chez les professionnels faute de travaux réalisés à grande échelle.

Une autre solution existe : l’administration d’un seul traitement antipsychotique, dispensé par voie injectable. Elle est indiquée chez le jeune patient dès son premier épisode psychotique. Elle semble faire consensus, trois articles recommandant cette pratique pour sécuriser l’observance (12, 13, 14). La philosophie de ce soin contraste avec la GAM mais rassure les professionnels de santé.

Les articles mettent en évidence différents facteurs (9,15) sources de risque de rupture de soins. Ils sont liés « au patient et son environnement, au trouble psychiatrique en lui-même, au traitement, à la relation thérapeutique avec le clinicien ». Le travail du thérapeute sur ces facteurs permet d’éviter la rupture de soins.

De nombreuses études tentent d’évaluer les facteurs de risque des ruptures de soins à l’aide d’échelles. L’angle de recherche porte sur un dépistage dans le cadre d’une prévention primaire. Certains travaux révèlent que la seule réalisation de l’évaluation avec le patient donne lieu à une séance de psychoéducation informelle se révélant efficace par la suite dans la lutte contre la rupture de soins.

Les résultats généraux rapportent qu’un patient autonome(4), qui a une capacité d’insight (compétence d’autoévaluation et de reconnaissance du trouble), qui décrit une bonne qualité de vie, etc., a moins de risques de rupture de soins.

Outre l’opportunité d’un dépistage de ce dernier, les résultats convergent vers la nécessité d’une prise en charge précoce et adaptée au patient avec un « programme partenaires de soins »(1) dont peut être responsable l’infirmier en pratique avancée de par le « case management »(5). Les nombreux résultats de programmes ou d’actions menés, rapportés dans cette revue de la littérature, montrent que tous sont le fruit d’un travail en partenariat du thérapeute avec le patient, travail rendu possible par l’instauration d’une alliance thérapeutique. Citons :

→ les directives anticipées en psychiatrie (DAP)(7) ;

→ le programme Parachute (un programme d’éducation thérapeutique) intervenant dans la prise en soins du premier épisode psychotique(16) ;

→ la psychoéducation, l’approche psychoéducative du soignant (9,17) et l’éducation thérapeutique(18) ;

→ l’alliance thérapeutique multiple (ATM)(19) avec tous les dispositifs de suivis extrahospitaliers et l’intégration des proches.

CONCLUSION

La revue de littérature fait le point des connaissances sur la rupture de soins. Elle propose différents axes de recherche pour la prévenir :

→ le dépistage du risque de rupture de soins avec le patient psychotique ;

→ le diagnostic du degré d’autonomie du patient, sa capacité d’insight, ses facteurs protecteurs ;

→ l’alliance thérapeutique, compromis entre observance et qualité de vie ;

→ l’alliance thérapeutique et la gestion autonome médicamenteuse (GAM) ;

→ la formulation de directives anticipées en psychiatrie (DAP) ou d’autres programmes/actions tels que le plan de crise conjoint (PCC).

Elle met en évidence un ensemble d’actions possibles par l’instauration d’une alliance thérapeutique facilitant elle-même le partenariat avec le patient.

La revue de la littérature a également mis à jour un nouveau concept intégrant le patient partenaire : la gestion autonome de la médication. Nous orienterons notre recherche sur cette nouvelle pratique qui divise la communauté scientifique :

Dans quelle mesure la GAM à la suite d’un premier épisode psychotique permet-elle de réduire les risques de rupture de soins ?

RÉFÉRENCES

  • 1. Flora L., Lebel P., et al., « L’expérimentation du programme partenaires de soins en psychiatrie : le modèle de Montréal », Santé mentale au Québec, 2015;40(1):101-17. doi : 10.7202/1032385ar.
  • 2. Bonsack C., Pfister T., Conus P. « Insertion dans les soins après une première hospitalisation dans un secteur pour psychose », L’Encéphale, 2006;cahier 1(679-85):680. doi : 10.1016/S0013-7006(06) 76219-4.
  • 3. Koenig M., Le rétablissement dans la schizophrénie : un parcours de reconnaissance, PUF, 2016.
  • 4. Plancke L., Amariei A., Flament C., Dumesnil C. « La réhospitalisation en psychiatrie. Facteurs individuels, facteurs organisationnels », Santé Publique, 2017;29(6):829-36. doi : 10.3917/spub.176.0829.
  • 5. Martin J. « Premier épisode psychotique : diagnostic et spécificité de la prise en soin ». EMC - Psychiatr, 2021;37(2):1-16.
  • 6. Vanelle JM. « Nouvelles perspectives dans la prise en charge des psychoses ». L’Encéphale, 2005;31(6, Part 2):5-6.
  • 7. Maître E. « Les directives anticipées psychiatriques (DAP): propositions pour un modèle en France ». Ann Méd Psychol, 2018;176(4):387-90. doi : 10.1016/j.amp.2018.02.008.
  • 8. Blaine V. de, Morvillers JM. « De la relation à l’alliance thérapeutique auprès d’adolescents et jeunes adultes présentant un risque de transition psychotique : le point de vue de professionnels de santé mentale. Une étude exploratoire ». Recherche en soins infirmiers, 2021;(145):122-31. doi : 10.3917/rsi.145.0122.
  • 9. Charpentier A., Goudemand M., Thomas P. “Therapeutic alliance, a stake in schizophrenia”, L’Encéphale, 2009;35(1):80-9.
  • 10. Martínez-Hernáez Á., Pié-Balaguer A. et al. “The collaborative management of antipsychotic medication and its obstacles: A qualitative study”, Soc Sci Med, 2020;247:112811. doi : 10.1016/j.socscimed.2020.112811.
  • 11. Cooper RE., Hanratty É., et al., “Mental health professionals’ views and experiences of antipsychotic reduction and discontinuation”, PloS One, 2019;14(6). doi : 10.1371/journal.pone.0218711.
  • 12. Baweja R., Sedky K., Lippmann S. “Long-acting antipsychotic medications”, Curr Drug Targets, 2012;13(4):555-60.
  • 13. Stevens GL., Dawson G., Zummo J., “Clinical benefits and impact of early use of long-acting injectable antipsychotics for schizophrenia”, Early Interv Psychiatry, 2016;10(5):365-77. doi : 10.1111/eip.12278.
  • 14. Benoit M., Bellivier F., Llorca PM., et al. « L’initiation thérapeutique dans les épisodes psychotiques et maniaques : recueil des attitudes françaises par Focus Group », L’Encéphale, 2012;38(3):266-73. doi : 10.1016/j.encep.2012.03.004.
  • 15. Abdel-Baki A., Ouellet-Plamondon C., Malla A. “Pharmacotherapy challenges in patients with first-episode psychosis”. J Affect Disord. 2012;138 Suppl:S3-14. doi : 10.1016/j.jad.2012.02.029.
  • 16. Skalli L., Nicole L. « Programmes pour premiers épisodes psychotiques : une revue systématique de la littérature ». L’Encéphale. 2011;37:S66-76. doi : 10.1016/j.encep.2010.08.004.
  • 17. Phan SV. “Medication adherence in patients with schizophrenia”, Int J Psychiatry Med, 2016;51(2):211-9. doi : 10.1177/0091217416636601.
  • 18. Bralet MC. « Éducation thérapeutique et rétablissement ». Ann Méd Psychol. 2017;175(8):730-5. doi : 10.1016/j.amp.2017.08.005.
  • 19. Har A. « La construction des alliances thérapeutiques multiples lors du premier épisode d’hospitalisation d’un patient souffrant d’un trouble psychotique émergent ». Perspect Psychiatr. 2020;59(1):30-43. doi : 10.1051/ppsy/202059030.

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt

COORDINATION :

VALÉRIE BERGER

IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins, CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maîtresse de conférences associée temporaire, université de Bordeaux

valerie.berger@chu-bordeaux.fr

CAROLINE SERNICLAY

Cadre de santé, coordinatrice paramédicale de la recherche en soins, CHU de Reims, pilote de la CNCPR

cserniclay@chu-reims.fr

EN PARTENARIAT AVEC LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE