L'infirmière n° 029 du 01/02/2023

 

HYGIÈNE DE VIE

J’EXERCE EN LIBÉRAL

SANTÉ ET TRAVAIL

Laure Martin  

Absence d’horaires fixes, rythme décalé, aléas pendant la tournée : difficile pour les infirmières libérales d’avoir une hygiène de vie totalement irréprochable. Les pistes pour allier alimentation saine, activité physique régulière, sommeil réparateur et gagner en énergie.

Connais-toi toi-même » pourrait bien être la devise de celle - ou de celui - qui cherche une hygiène de vie adaptée à son quotidien et à son métier. Car chacun porte son lot de contraintes. La difficulté pour les infirmières libérales (Idels) ? Trouver une régularité et un mode de fonctionnement stable alors même que leur exercice professionnel les en empêche. « La première règle, peut-être difficile à adopter pour certaines, serait de parvenir à avoir deux jours de repos consécutifs », conseille Carolina Duran, diététicienne et coach sportive à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Et d’expliquer : « En une journée, il est difficile à la fois de récupérer, de se reposer et de s’organiser. La fatigue de l’exercice professionnel est tellement importante qu’elle peut primer sur le reste. Or, l’organisation est justement la clé d’une alimentation équilibrée. »

NON À LA CHARGE MENTALE DU REPAS

Première astuce pour se faciliter la gestion des repas : ne pas hésiter à effectuer ses courses sur Internet. Bien entendu, tout dépend des goûts de chacun, car il est vrai que se rendre dans les commerces permet de choisir ses produits. Néanmoins, réaliser ses courses en ligne élimine une source potentielle de stress, notamment celui d’avoir à pousser le caddie au supermarché pendant sa pause entre deux tournées, ou le soir, donc en étant fatigué, ou encore, comble de l’erreur, en ayant faim. « Avec les courses en ligne, l’Idel peut déjà préparer sa liste de courses, la renouveler à chaque panier en ligne et l’adapter », précise Carolina Duran, qui conseille de faire des grandes courses une fois par mois, afin à la fois de gérer son budget et de s’organiser sur la semaine pour éviter la charge mentale du repas quotidien. « S’organiser pour préparer les repas à l’avance permet aussi d’éviter de commander des plats tout prêts ou de se faire réchauffer une pizza surgelée », renchérit Anthony Belli, coach sportif à Aspach-Michelbach, près de Mulhouse (Haut-Rhin).

Sur leurs jours de congé, les Idels peuvent alors prendre quelques heures pour préparer plusieurs repas pour la semaine, à stocker au réfrigérateur ou au congélateur. « C’est une bonne astuce en termes de temps et de qualité nutritionnelle », indique Carolina Duran. D’un côté, il suffit de préparer du blé, du riz ou des pâtes, si possible complets, de l’autre, du poulet, du bœuf et du poisson, et de les associer dans des contenants avec des légumes. En hiver, les soupes et les veloutés de légumes sont faciles à préparer, avec une tranche de jambon blanc ou de la dinde, du pain et une compote, le tour est joué. Bien entendu, rien n’empêche de temps à autre de manger un sandwich, idéalement équilibré. « Tout est dans la mesure, il suffit que cela ne soit pas quotidien », rappelle Anthony Belli. « Je conseille aussi d’avoir deux à trois idées de menu de secours, faciles à faire lorsqu’on est fatigué », souligne Carolina Duran.

GARE AUX FRINGALES ET COLLATIONS

La tournée débutant tôt, il n’est pas rare que vers 9 heures 30 ou 10 heures, les Idels ressentent un creux dans leur estomac. C’est généralement à ce moment-là que la générosité des patients s’exprime. Ils sont loin d’être les derniers à proposer un café, un thé, un jus avec le petit gâteau qui va avec : le combo gagnant pour amasser les kilos sans pour autant acquérir l’énergie nécessaire pour poursuivre la tournée jusqu’à 13 heures ou 14 heures. « Partager un café avec le patient est un moment de convivialité permettant de discuter d’autre chose que du soin, reconnaît Caroline Duran. Il est important de l’entretenir et de le maintenir. » Les Idels peuvent néanmoins l’adapter : par exemple demander un verre d’eau avec un peu de citron. « C’est d’autant plus intéressant que, bien souvent, elles n’ont pas tendance à boire régulièrement pendant leur tournée et peuvent être en déshydratation », alerte la diététicienne. L’eau est la bonne option également pour éviter la surconsommation de café (pas plus de trois à quatre cafés quotidiens sont conseillés) et de sucre associé. De même qu’il vaut mieux refuser la madeleine, le brownie ou le cookie, bref, ces aliments souvent industriels, trop gras et trop sucrés. Pourquoi ne pas les remplacer par un fruit, source de vitamines, de fibres et d’eau, ou par une barre de céréales, une compote, un yaourt à boire, une poignée d’amandes ou de noix de cajou ou encore des fruits secs. « L’idéal, ce sont les aliments bruts, non transformés, souligne Anthony Belli. Il faut revenir à une alimentation naturelle. »

OUI À UNE ACTIVITÉ PHYSIQUE RÉGULIÈRE

Associée à une alimentation saine, l’activité physique est essentielle pour une bonne hygiène de vie. Si les Idels sont loin d’être sédentaires en raison de leur tournée, cela ne les dispense pas pour autant d’une activité physique, afin de maintenir une bonne masse musculaire. Anthony Belli conseille deux à trois séances de 20 minutes par semaine, plus faciles à intégrer sur les périodes de repos. « Il faut privilégier les exercices polyarticulaires avec le poids du corps, tels que les squats, les pompes et les exercices de gainage comme la planche, recommande-t-il. Ces exercices permettent le renforcement de la sangle abdominale et des lombaires, la clé pour éviter les troubles musculosquelettiques ou TMS liés à la manutention des patients. » Pour quelqu’un de plus statique, il faut ajouter une activité endurante dans la semaine, notamment de la marche, du vélo ou encore de la course à pied.

Carolina Duran conseille pour sa part, une activité intense, au minimum une fois par semaine, pendant 30 à 45 minutes. « Cette activité permet d’évacuer la tension tout en renforçant la sangle abdominale », rappelle-t-elle. Marwen Abaied et Kevin Lesigne, fondateurs de la salle de sport MK’Form à Six-Fours-les-Plages (Var) et éducateurs en activité physique adaptée (EAPA), ont créé un programme propre aux soignants et aux infirmiers libéraux. « Avant d’être coach à MK’Form, j’ai exercé dans un centre gériatrique et en Ehpad, où les problématiques des soignants étaient principalement liées aux TMS, explique Marwen Abaied. Il est important de les sensibiliser à cette question en leur expliquant le fonctionnement de l’anatomie du dos, des muscles et du rachis. » Au sein de la salle de sport, ils coachent de nombreuses Idels et aides-soignantes, en prévention. « Notre objectif est de leur apprendre à utiliser leur dos, leurs jambes et leurs bras, conjointement, et à bien se positionner pour soulever une charge », souligne-t-il.

L’activité physique doit toutefois rester un moment plaisant. Si le renforcement ne séduit pas, la danse, le yoga, le Pilates ou encore la natation sont tout aussi appropriés. « Le fait de suivre une activité qui plaît permet de tendre vers une régularité hebdomadaire, nécessaire pour l’obtention de résultats », analyse Carolina Duran. Il faut idéalement parvenir à le faire au moins trois semaines de suite, afin de créer une habitude. Un coach peut être un plus, surtout que souvent, il peut coupler ses conseils sportifs à des conseils alimentaires.

UN AGENDA DU SOMMEIL

Manger, bouger, mais qu’en est-il de dormir ? « Nous essayons d’inclure le sommeil dans le Plan national nutrition santé, au même titre que manger et bouger, car il s’agit des trois piliers pour être en bonne santé, assure le Dr Marc Rey, neurologue, spécialiste du sommeil et président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV). La gestion du sommeil doit être considérée comme un déterminant de notre santé. »

L’une des premières règles pour bien dormir est de connaître ses besoins en sommeil et sa typologie. Le Dr Rey conseille de remplir un agenda de son sommeil la deuxième semaine de ses vacances et d’y inscrire l’heure de son coucher, l’heure de son réveil et son état de forme. Il faut ensuite comparer cet agenda de vacances avec celui d’un agenda en période d’activité, « afin de mesurer l’écart entre les besoins et ce que l’on fait réellement, donc éventuellement la nécessité de mieux gérer son sommeil », pointe-t-il du doigt. Il existe plusieurs typologies du sommeil : typologie du soir (couche-tard, lève-tard), du matin (couche-tôt, lève-tôt), puis long ou court dormeur. Forcément, une Idel qui est davantage sur une typologie du soir, peut se trouver en difficulté pour effectuer sa tournée du matin car elle risque d’être en privation de sommeil. Il faut donc adapter son comportement afin d’avoir un sommeil répondant aux besoins.

GÉRER UNE PRIVATION DE SOMMEIL

Pour gérer une privation de sommeil et limiter les conséquences sur son activité, il faut d’abord gérer sa nuit et s’assurer de bien dormir. Il est important de prévoir un sas de décompression entre le moment où l’on rentre du travail et celui où l’on va se coucher : faire une marche, lire un livre, écouter de la musique, passer du temps en famille. « Il faut à tout prix éviter de se mettre devant la télévision, ou pire encore, avec un verre de vin, prévient le Dr Rey. La télévision et les écrans sont délétères pour le sommeil, et si le verre de vin donne l’impression de se relaxer, c’est aussi une manière d’entrer dans la dépendance. »

Il est aussi possible d’intégrer une sieste dans son quotidien. Elle peut être de deux types. Tout d’abord, la sieste de 1 heure à 1 heure 30, qui produit du sommeil. « Il s’agit de celle des tout-petits et des personnes en privation de sommeil », indique le Dr Rey. La sieste de 10 à 20 minutes concerne, quant à elle, les personnes, non pas en privation de sommeil, mais devant mettre à l’arrêt leur « système de vigilance ». C’est un moment pour se relaxer et lâcher-prise », précise-t-il. La sieste est d’autant plus importante, que le manque de sommeil ne peut pas se rattraper en dormant plus longtemps les jours de congé, car la qualité du sommeil est différente. Mieux vaut donc accepter de s’organiser différemment. « Cela peut certes être compliqué, mais c’est pourtant essentiel, car en creusant sa dette de sommeil, on augmente les risques de dépression, d’anxiété et de prise de poids, rappelle le Dr Rey. Pendant le sommeil, un travail est réalisé sur nos émotions et en dormant moins, on s’en prive. Le sommeil ne doit pas être envisagé comme une variable d’ajustement. » Les Idels doivent donc en tenir compte et s’adapter. En cas de problème, le premier professionnel vers qui se tourner reste le médecin généraliste.

Info +

DES SITES AVEC QUELQUES CONSEILS

• Le site mangerbouger.fr propose dans sa rubrique « La fabrique à menus » des menus pour la semaine.

• La chaine Gym direct (Canal+) sur Internet propose des séances d’activité physique de 25 minutes environ : www.canalplus.com/c8/gym-direct

• Le site de l’INSV (Institut national du sommeil et de la vigilance) met à disposition des documents et des conseils sur le sommeil, https://institut-sommeil-vigilance.org

ÉTHIQUE ET SOINS AU QUOTIDIEN

Par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale

[Personnes âgées au volant : le seul critère de l’âge ne suffit pas !]

« Mon fils veut m’empêcher de conduire, mais sans voiture, je ne suis plus rien ! » C’est très en colère que ce patient de 78 ans vous accueille ce matin. Devant les troubles de la mémoire modérés dont il souffre, le médecin traitant a préconisé de préférence de petits trajets connus en journée. Ce patient conserve une bonne vision, il a un tonus musculaire adapté à son âge et ne prend pas de médicaments contre-indiquant la conduite. Mais la famille s’inquiète des risques encourus pour lui-même et pour autrui et a demandé une expertise auprès d’un médecin agréé pour les permis de conduire. Ces situations relèvent souvent d’un véritable dilemme pour les proches, mais aussi pour les soignants, où viennent se confronter le désir de protéger et l’atteinte à l’indépendance de la personne âgée.

Car l’arrêt de la conduite peut signifier une perte de vie sociale, l’impossibilité de faire des courses, d’aller à des rendez-vous médicaux… et la nécessité de faire appel à un tiers. Ce qui peut altérer l’image de soi et fait dire à ce patient « Je vais devenir complètement dépendant ! » C’est parfois la conjointe âgée, lorsqu’elle-même ne conduit pas, qui freine la décision car c’est aussi son autonomie, même relative, qui est en jeu. Il y a probablement aussi un phénomène générationnel, peut-être culturel, à prendre en compte, car les personnes qui utilisent des objets connectés ont moins ce sentiment de dépendance à la voiture. Comme dans toute question éthique, il s’agit d’évaluer les bénéfices et les risques et sans doute d’accompagner un cheminement plutôt que de prendre une décision brutale. En prévention de situations qui deviendraient délétères pour ces personnes âgées, il conviendrait d’anticiper les solutions existantes en relais de ces arrêts de conduite lorsqu’elles se justifient. Ce qui n’est pas toujours le cas, car le seul critère de l’âge ne peut à lui seul déterminer ces interdictions.