L'infirmière n° 030 du 01/03/2023

 

EXERCICE LIBÉRAL

JE DÉCRYPTE

SYSTÈME DE SANTÉ

Laure Martin  

Négocié dans le cadre des avenants 6 et 8 à la convention nationale des infirmiers, le bilan de soins infirmiers (BSI) remplace progressivement, depuis le 1er janvier 2020, la démarche de soins infirmiers (DSI) dans le suivi à domicile des patients dépendants. Les premiers retours sont mitigés.

En fonction des syndicats représentatifs de la profession, l’état des lieux concernant le déploiement du bilan de soins infirmiers (BSI) est en demi-teinte. Depuis septembre 2022, le BSI est appliqué à tous les patients dépendants de 85 ans et plus, l’objectif étant d’évaluer l’état de santé du patient via des indicateurs pour établir un plan de soins infirmiers qui sera ensuite transmis au médecin. À ce plan de soins correspond un forfait journalier. Pour les prises en charge légères, il s’agira du BSA, un forfait fixé à 13 euros. Les prises en charge intermédiaires seront facturées en BSB, à 18,20 euros. Et pour les patients lourds, le BSC, à 28,70 euros, sera appliqué. La généralisation du BSI, prévue pour avril 2023, implique de nouvelles discussions entre l’Assurance maladie et les syndicats. Pour Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière, « l’idée était bonne à l’origine, car l’objectif était de se baser sur les problématiques des patients pour déterminer un forfait de prise en charge, explique-t-elle. Mais dans son évolution, celui-ci n’est devenu qu’un outil comptable, au service de l’Assurance maladie, qui ne reflète pas complètement l’état et les besoins des patients. »

DE BONNES SURPRISES

« Lorsqu’on nous a annoncé le BSI, nous avons d’abord pensé à un nouveau micmac administratif, en raison de tous les indicateurs à remplir, confie Julien Grizzetti, infirmier libéral (Idel) dans les Hauts-de-Seine. Cependant, si la mise en place du BSI prend du temps au lancement, à l’usage, l’outil est beaucoup plus simple que la DSI [démarche de soins infirmiers, NDLR]. » L’infirmier estime que les indicateurs ont été bien pensés. Un point de vue partagé par Emmanuelle Samba, Idel dans le Val-d’Oise, selon qui l’outil pose les bonnes questions pour correctement orienter les patients vers le bon forfait. Pour Cécile Gomiero, Idel à Toulouse, bêta-testeuse du BSI, l’ensemble des cases à cocher l’ont, dans un premier temps, « effrayée, se rappelle-t-elle. Mais l’outil en lui-même est tellement plus intéressant et novateur que la DSI. Il permet de voir tous les actes que nous réalisons pour les patients et qui n’étaient pas mis en valeur auparavant. »

L’autre objectif affiché du BSI est de mettre un terme à la notion de temps associée aux actes infirmiers de soins (AIS), souvent génératrice d’indus ; la cotation d’un AIS 3 n’étant possible que pour la réalisation de 30 minutes de soins à domicile, et surtout pas moins. « Cette notion de demi-heure mal comprise ou mal appliquée, aboutissait parfois à des surcotations de la part des infirmières », indique Julien Grizzetti. Si jusqu’à présent, l’infirmier prenait peu en charge des patients dépendants, en partie par crainte de cette notion de temps, la mise en place du BSI et la facturation au forfait, le conduisent à moins hésiter. En outre, le BSI a une validité d’un an, et peut être ajusté – et rémunéré pour – deux fois par an, là où la DSI n’était valable que trois mois. Les relations avec les médecins, de fait moins sollicités, s’en trouvent améliorées.

DES INDICATEURS MANQUANTS

Pour autant, tout n’est pas rose dans la mise en œuvre du BSI. Si les Idels reconnaissent l’intérêt des indicateurs pour évaluer la charge en soins des patients, ils regrettent leur manque d’exhaustivité, qui permettrait une évaluation plus globale de l’offre de soins dispensée. « Le BSI englobe de nombreux points, notamment les problèmes financiers du patient, son alimentation, sa douleur, mais l’absence du volet psychiatrie et de la relation d’aide, qui relève du rôle propre infirmier, est un vrai manque, considère Cécile Gomiero. Le temps que nous consacrons aux patients, à leurs aidants et à leur famille est donc non rémunéré. » C’est le cas également des problématiques sociales, psychosociales ou encore de l’environnement du patient. « Certaines questions en lien avec la dépendance sont difficiles à retranscrire avec les indicateurs, qui ne permettent pas de décrire largement la prise en charge offerte », regrette Thomas Ayessa, Idel à Floirac (Gironde). Il s’estime toutefois davantage reconnu dans son diagnostic infirmier depuis le questionnaire.

UNE PERTE DE REVENUS ?

Autre problématique au cœur des débats : la perte de revenus des Idels depuis le passage au BSI. Elle se manifeste autour de plusieurs axes avec, tout d’abord, la « disparition » de certaines cotations d’actes, désormais intégrées aux forfaits journaliers. Par exemple, dans le cadre de la préparation et de l’administration des médicaments, « l’évaluation du stock ou encore la vérification des ordonnances sont considérées comme intégrées et ne sont donc pas rémunérées », dénonce Ghislaine Sicre. La nomenclature prévoit toutefois la possibilité de coter, en plus du BSI, des actes à taux plein et d’autres en demi (AMX) notamment les perfusions, les prélèvements sanguins, les pansements complexes, la surveillance de l’insuffisance cardiaque ou de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou encore des injections. D’ailleurs, les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) ont des interprétations variables sur d’autres cumuls possibles ou non. À titre d’exemple, si l’Idel prévoit un passage par jour dans le cadre du BSA, mais qu’un autre passage est prévu le soir hors BSA, notamment pour l’administration des médicaments, certaines Idels vont pouvoir coter cet acte en plus, tandis que d’autres ne pourront que facturer un déplacement, leur CPAM considérant que cet acte fait partie intégrante du BSA. « Nous devons absolument travailler à une harmonisation nationale », souligne John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil).

LA PRISE EN CHARGE LOURDE POSE QUESTION

Toujours en lien avec la rémunération, le montant du BSC fait couler beaucoup d’encre. « Certes, pour les patients légers, nous pouvons gagner davantage avec le forfait, comparé à une cotation en AIS, mais pour autant, cela ne compense pas la perte que nous subissons avec le BSC », soutient Ghislaine Sicre. Conséquence ? « Nous constatons une dégradation des prises en charge, car certaines Idels refusent désormais des patients très dépendants. » Thomas Ayessa confirme et se dit perdant avec le BSC. « Pour les soins très lourds, on se surprend presque parfois à se demander si nous devons les refuser car la prise en charge est difficile et nous avons l’impression de perdre de l’argent, reconnaît-il. Peut-être faudrait-il réfléchir à un « BSD » pour inciter les soignants à s’occuper de ces patients ? » La Fédération nationale des infirmiers (FNI) reconnaît des indicateurs manquants. « Néanmoins, le delta entre les quatre AIS 3 [soit 31,80 euros, NDLR] pour deux heures de soins journaliers chez les patients lourds, et le BSC n’est pas si élevé », estime Daniel Guillerm, président de la FNI, qui n’a pas eu de retour terrain concernant une sélectivité des patients de la part des Idels. Pour les patients très lourds, il les encourage à formuler des demandes spéciales de financement auprès de leur CPAM pour permettre leur maintien à domicile. De son côté, le Sniil s’interroge sur l’opportunité de la mise en place d’un forfait majoré pour ces patients, notamment en fin de vie ou polyhandicapés. « Déjà avec quatre AIS 3, nous n’étions pas suffisamment bien payés pour ces prises en charge », pointe du doigt John Pinte. Et de conclure : « Cette question dépasse l’outil BSI en tant que tel, l’enjeu étant de savoir quelle rémunération les tutelles souhaitent attribuer à la prise en charge de la dépendance et au maintien à domicile. »

Comment gérer le forfait au quotidien ?

Selon le mode d’organisation des cabinets, la facturation et le versement du forfait peuvent poser problème. C’est notamment le cas des cabinets où les tournées du matin et du soir ne sont pas assurées par le même Idel, car le forfait ne peut être facturé que par un seul infirmier. « Nous souhaitions que le forfait puisse être scindé en deux, rapporte John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Mais nous n’avons pas obtenu gain de cause. » Pour faciliter la rémunération, le Sniil encourage les Idels à répertorier, sur un tableau, les passages de chacun pour ensuite alterner de façon équitable la facturation. « Mais ce n’est pas simple, nous en avons conscience, ajoute-t-il. Sinon, il faut revoir l’organisation du cabinet pour que les tournées du soir et du matin soient réalisées par le même infirmier. » Pour être sûr de ne pas commettre d’erreur, Thomas Ayessa et ses collègues ont pris conseil auprès d’un avocat. « Nous en avons ensuite discuté entre nous afin d’être le plus logiques et équitables possible, explique-t-il. Nous essayons de rapporter notre intervention à une cotation en AIS et en fonction, nous faisons entre nous une rétrocession du forfait. Mais cela reste compliqué. »