L'infirmière n° 031 du 01/04/2023

 

FIN DE VIE

JE DÉCRYPTE

Laure Martin  

Treize organisations représentant 800 000 soignants ont publié, le 16 février, un avis « éthique et pratique » sur les conséquences d’une potentielle légalisation autour de la mort administrée. Questionnant une telle évolution de la législation, elles dénoncent cette pratique qui « ne relève pas du soin ».

Nous nous sommes engagés dans cette réflexion collégiale car il est selon nous important, avant d’envisager une nouvelle loi, de continuer à expliquer l’étendue de la législation actuelle sur l’accompagnement de la fin de vie et les limites de son application liées au manque de moyens dédiés », souligne Évelyne Malaquin-Pavan, présidente du Conseil national professionnel infirmier (CNPI). C’est dans cet esprit que 13 organisations représentant 800 000 soignants(1) ont signé un avis « éthique et pratique » sur une éventuelle légalisation autour de la mort administrée. En effet, un avis du 13 septembre 2022 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a soulevé la possibilité d’envisager une législation autour de l’aide active à mourir, avec toutefois un certain nombre de réserves.

APPLIQUER LES DROITS EXISTANTS

« Notre niveau de réflexion est de fait double, avec tout d’abord une demande sociétale sur le droit à mourir que nous entendons, reconnaît Évelyne Malaquin-Pavan. Mais il convient aussi de réunir toutes les pièces du puzzle, prenant en compte ce qu’impliquerait cette évolution législative… ne serait-ce que par rapport aux personnes vulnérables qui, confrontées à une forme d’impuissance, pourraient être amenées à ce choix contraint afin de ne plus peser sur leurs proches, comme nous l’entendons sur le terrain. »

Les soignants représentés par ces treize organisations signataires entendent ainsi mettre en exergue l’importance de tenir compte de la singularité des réponses à apporter à chaque personne. D’autant plus que, même si la législation évolue, « certains patients seront forcément toujours hors du cadre de la loi », remarque Anaïs Varlet-Bécu, infirmière libérale (Idel) à Moyenmoutier (Vosges). « Si les textes actuels étaient correctement appliqués, nous pourrions effectivement offrir une prise en charge singulière aux patients, insiste Maxence Gal, Idel à Sanary-sur-Mer (Var). Avant de créer de nouveaux droits, les droits actuels doivent déjà être pleinement appliqués. » L’absence de cotation dédiée pour les Idels, l’inégale répartition des équipes mobiles de soins palliatifs sur le territoire ou encore le manque de formation sont autant d’exemples concrets des limites dans la mise en œuvre des textes existants.

L’ÉTHIQUE SOIGNANTE FRAGILISÉE

Les professionnels de santé estiment par ailleurs que cette évolution possible « questionne fondamentalement la pratique et l’éthique soignantes ». « Considérer comme prioritaire la mise en œuvre de la mort médicalement administrée en réponse à une demande sociétale serait susceptible de davantage fragiliser des équipes soignantes confrontées au quotidien à des décisions complexes », pointent du doigt les treize organisations.

« Notre travail consiste à soigner nos patients et, en parallèle, on va nous demander d’accomplir un geste létal, dénonce Sophie Chrétien, infirmière exerçant au sein du pôle Recherche, développement et qualité des soins à la maison médicale Jeanne Garnier à Paris (XVe). On nous demande donc de tuer quelqu’un, on nous voit comme de simples exécutants. Je suis loin d’être certaine que l’ensemble des professionnels impliqués dans la fin de vie se sentent en capacité de le faire. » Cette dimension du vécu des soignants est donc, selon eux, insuffisamment analysée et prise en compte. « Lorsqu’un patient me formule une demande d’euthanasie, j’ai le pouvoir de dire “non”, ce qui me permet de travailler à la mise en place d’autres solutions, témoigne Anaïs Varlet-Bécu. Cette temporalité est capitale car le soin n’est pas instantané et, dans une écoute d’accompagnement pas-à-pas, je n’ai, de fait, jamais eu de demande d’euthanasie qui perdure. »

Alors que la convention citoyenne sur la fin de vie juge que l’accès à l’aide active à mourir doit être ouvert, les treize organisations estiment prioritaire d’améliorer significativement le cadre d’accompagnement des personnes en fin de vie, d’un point de vue qualitatif et quantitatif, et demandent aux décideurs, s’ils souhaitent faire évoluer la loi, « de laisser le monde du soin à l’écart de toute implication dans une forme de mort administrée ».

Note

1. Société française de soins palliatifs pédiatriques, Association francophone des soins oncologiques de support, Association nationale française des infirmier.e.s en pratique avancée, Association pour la clarification du rôle du médecin dans le contexte des fins de vie, Conseil national professionnel de gériatrie, Conseil national professionnel infirmier, Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile, Association nationale des médecins coordonnateurs en Ehpad et du secteur médico-social, Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, Société française du cancer, Société française de gériatrie et gérontologie, Syndicat national des professionnels infirmiers, Groupe de soins palliatifs Unicancer.