Alors que le métavers semble promettre la transformation future de nos vies, certaines de ses applications concernent directement les soignants. Un espace virtuel qui devient réalité pour les infirmières. Mais comment et jusqu’où ? Le point sur cet univers digital.
Assurément, le métavers fait pour l’heure partie de ces termes dont la définition claire et concrète n’est pas encore actée. Désigne-t-il un monde futuriste où nos avatars numériques vivront, se rencontreront, travailleront pendant que nos corps seront occupés ailleurs ? Est-ce un réseau social total, pour l’instant peu fréquenté, géré par Meta, la maison-mère de Facebook ? Ou propose-t-il des techniques de réalité virtuelle ou de réalité augmentée aux applications multiples, notamment dans le soin ? Le métavers, c’est en fait un peu tout cela à la fois ! « Le métavers est un lieu dans lequel le monde réel est reproduit, connecté, augmenté via la réalité virtuelle, explique le Dr Pierre Simon, ex-président de la Société française de télémédecine reconnu comme l’un des meilleurs experts français en matière de santé numérique. Cela ouvre des pistes dans le domaine de la santé, notamment en matière de médecine préventive ou thérapeutique, de formation et de recherche. » Mais attention : le métavers n’a pas le même degré de maturité dans chacun de ces trois domaines. Et chacun d’entre eux ne transformera pas le quotidien des soignants de la même manière.
Pour ce qui est de la prise en charge thérapeutique, l’un des exemples les plus connus concerne la psychiatrie. « On peut utiliser le métavers dans l’accompagnement de certaines pathologies comme les troubles anxieux, le stress post-traumatique, les phobies, indique Sylvain Boussemaere, coordonnateur général des soins au centre hospitalier intercommunal des Vallées de l’Ariège et membre fondateur de la Société francophone de simulation en santé (Sofrasims), dont il a été vice-président jusqu’en 2021. Avec un casque, par exemple, on peut avoir des programmes qui permettent d’habituer progressivement le cerveau à se confronter à ses phobies et à les dépasser, tout en gardant la possibilité d’enlever l’appareil si cela ne va pas. » L’ex-infirmier cite également des casques qui permettent par exemple de distraire l’attention de jeunes enfants au moment de poser une perfusion, et qui facilitent ainsi la réalisation de certains gestes.
Dans le domaine de la recherche, certaines pistes existent aussi. « On peut penser à des infirmières virtuelles pour diriger et surveiller les soins, éduquer le patient, créer de la présence, prévoit Pierre Simon. C’est en cela que le métavers peut soulever des questionnements éthiques : il peut conduire à supprimer de la présence humaine, alors que nous cherchons au contraire à rester dans le cadre de la relation humaine. » De telles applications impliquant des soignants faits non pas de chair et d’os, mais de codes informatiques constituent toutefois des programmes expérimentaux qui doivent encore apporter la preuve d’un service rendu, tempère ce néphrologue.
Il est cependant un domaine dans lequel le métavers est bien présent pour tous les soignants, infirmières comprises : celui de la formation, qu’elle soit initiale ou continue. « Les méthodes d’enseignement par simulation font partie du métavers, rappelle Pierre Simon. C’est une méthode d’apprentissage très puissante, elle peut se faire à distance et on peut imaginer des projets à l’échelle de la planète entière. » Les applications sont nombreuses, et elles sont déjà mises en œuvre sur le terrain. « Beaucoup d’Ifsi [institut de formation en soins infirmiers, NDLR], notamment dans les CHU, ont remplacé Oscar, le fameux mannequin anatomique, par de grandes planches anatomiques virtuelles qui permettent d’aller voir tous les détails du corps humain », illustre Sylvain Boussemaere.
Au-delà de cette approche passionnante, mais quelque peu scolaire, les dispositifs de type « chambre des erreurs » peuvent via des casques de réalité virtuelle prendre une dimension nouvelle. « Au lieu de créer des chambres dans le monde réel, ce qui suppose de bloquer une chambre, d’être en présentiel, etc., on fournit aux participants des lunettes et on crée une chambre virtuelle avec un scénario », détaille l’Ariégeois. Une approche qui peut également être déclinée sous forme de serious game. « Nous avons des outils qui permettent à chacun, formateur et étudiant, de choisir un avatar et de jouer selon un scénario préétabli : vous prenez votre service le matin dans tel service de soin, vous devez gérer et prioriser vos activités, faire face aux imprévus, etc., explique le coordinateur des soins. L’un des avantages, c’est que l’on peut faire varier le niveau de difficulté : du niveau néophyte à celui des étudiants de troisième année d’Ifsi. »
D’autres acteurs du secteur travaillent à la création d’un hôpital virtuel, qui fonctionnerait comme le jumeau numérique d’un établissement physique. C’est notamment le cas de la start-up rennaise Simango, spécialisée dans la formation en ligne des professionnels de santé. « L’idée de l’hôpital virtuel, c’est d’avoir un lieu numérique où soignants et patients peuvent trouver non seulement de la formation, ce que propose notre société, mais aussi de l’éducation thérapeutique, certains traitements comme les traitements des phobies, ou encore de la téléconsultation », explique le Dr Vincent-Dozhwal Bagot, cofondateur de l’entreprise.
Pour lui cependant, l’hôpital virtuel qui opérerait dans le métavers ne peut être proposé par un seul acteur, et il n’est pas pour demain. « Nous voulons être les leaders de cet hôpital virtuel, mais cela ne peut être réalisé que dans le cadre d’un consortium », précise-t-il. Et de lister les nombreux paliers à franchir pour y arriver : une disponibilité sur tous supports et pas uniquement via des casques de réalité virtuelle, des connexions wifi fiables et disponibles partout, une interopérabilité permettant à plusieurs services de se connecter à la même plateforme, des technologies de type Non-fungible token (NFT) permettant d’assurer la traçabilité, la durabilité, et l’authenticité des objets que l’on manie dans cet univers virtuel, etc. « En résumé, nous n’y sommes pas encore, mais nous travaillons à la création d’un véritable univers professionnel », sourit Vincent-Dozhwal Bagot.
Alors l’infirmier du futur soignera-t-il dans le métavers ? Probablement en partie, même s’il est encore difficile de dire à quelle échéance ce futur est susceptible d’advenir. Par ailleurs, en plus des considérations techniques d’interopérabilité et de connexion, des problèmes non négligeables sont susceptibles de survenir avant l’avènement de ce monde numérique. « Il y a des aspects éthiques, mais aussi des aspects de cybersécurité, auxquels il faudra faire encore plus attention si le métavers se développe, avertit Sylvain Boussemaere. Actuellement, beaucoup de choses restent encore à régler concernant les données de santé, que ce soit au niveau national ou international, et il s’agit de freins potentiels. » Ce n’est pas parce que le métavers est virtuel que les considérations qui nous préoccupent dans notre monde concret ne s’y appliquent pas.
Le rapport* de la mission exploratoire effectuée pour le compte du gouvernement par Camille Franc¸ois, chercheuse à Columbia University, Adrien Basdevant, avocat au barreau de Paris, et Re´mi Ronfard, chercheur à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), aborde tous les aspects du métavers dont celui de la santé.
Les auteurs citent notamment les avantages en termes de formation des professionnels de santé, les possibilités thérapeutiques comme le traitement des phobies… Ils explorent également des domaines aux confins de la santé. Ils envisagent ainsi des applications dans l’accompagnement des adolescents (exploration des différentes facettes de leur personnalité par exemple) ou du handicap (expériences sans contraintes physiques et sans discriminations dans le métavers).
Ils cherchent également à jauger les impacts du métavers en termes de santé publique, rappelant que la réalité virtuelle peut avoir des effets indésirables : cinétose (mal des transports), fatigue visuelle, fatigue musculaire, charge mentale… Les auteurs proposent donc d’évaluer sérieusement ces effets, notamment dans tous les usages qui nécessitent une utilisation prolongée des visiocasques. De manière plus générale, ils attirent l’attention sur « l’impact de ces univers virtuels sur nos corps et nos cerveaux » et pointent « la nécessité de préparer, en amont de la massification de leur utilisation, des règles et des outils de modération performants et adaptés ».
* Adrien Basdevant, Camille François, Rémi Ronfard, Mission exploratoire sur les métavers, octobre 2022, téléchargeable sur vie-publique.fr. bit.ly/3yOxM29.
Le Pr Boris Hansel, endocrinologue à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), est le coresponsable pédagogique, avec le Pr Jean-Pierre Nataf, du premier diplôme universitaire (DU) sur le métavers en santé, proposé par l’université Paris Cité. Et pour lui, aucun doute : les infirmières ont tout à gagner à s’inscrire.
Pouvez-vous présenter le DU « métavers en santé » ?
Il s’agit d’un DU qui se situe dans la continuité de celui sur la santé connectée que nous proposons depuis quatre ans. Mais il aborde des questions plus récentes, et notamment les nouvelles technologies qui sont en train d’émerger, et qui ne sont pas du tout de la science-fiction : la réalité mixte, les jumeaux numériques, le web 3.0… Derrière ces concepts, il y a déjà des applications pratiques que le soignant doit connaître.
En quoi ce DU peut-il intéresser spécifiquement les infirmières ?
Il y a plusieurs aspects. Tout d’abord, l’infirmier a sa place dans tous les projets, quels qu’ils soient, car il apporte un regard différent de celui que peut avoir le médecin, ou, dans notre cas, du startuper. Si je décide de faire un projet de téléportation d’un bloc opératoire, par exemple, j’ai besoin de la vision infirmière de ce qu’est ce bloc. D’autre part, beaucoup d’infirmiers sont impliqués dans la formation, qui est l’un des domaines où le métavers a le plus d’applications. Si je fais de l’enseignement en tant qu’infirmier, je ne peux pas ne pas m’intéresser à l’utilisation du métavers. Enfin, même s’il n’est pas lui-même dans le développement d’un projet, l’infirmier va avoir face à lui des patients qui seront soignés dans le métavers. Par conséquent, de la même manière qu’il faut s’intéresser à la télémédecine, au télésoin, il faut s’intéresser au métavers.
En quoi l’exercice infirmier va-t-il être transformé par le métavers ?
En ce qui concerne la formation, il y a différents outils utilisant le métavers qui sont déjà utilisés. Mais comme je le soulignais, que l’infirmier soit ou non directement impliqué dans des projets de jumeau numérique ou encore des techniques de réalité mixte, il va se retrouver en contact avec des processus thérapeutiques utilisant le métavers. En psychiatrie par exemple, des outils de réalité virtuelle sont déjà employés, et un infirmier dans cette branche a besoin de savoir ce que les patients font. De la même manière, de plus en plus d’infirmiers vont être amenés à présenter ces outils à leurs patients, notamment dans le cadre de l’éducation thérapeutique du patient.