LES INFIRMIÈRES ET L’UTILISATION DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AUX URGENCES
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REVUE DE LA LITTÉRATURE
Ces dernières années, dans le contexte des services des urgences, l’ensemble des équipes paramédicales ont dû assumer des tâches multiples et parfois complexes : prise en charge des patients polypathologiques, gestion et organisation des flux, difficulté de triage à l’accueil, manque de médecins de ville et de lits d’aval à l’hôpital, patients qui doivent être pris en charge rapidement… entraînant un engorgement des services d’urgence avec un allongement important du temps d’attente et un retard de prise en charge. Au regard de ces problématiques, la solution ne se trouverait-elle pas dans l’utilisation de l’intelligence artificielle ?
L’histoire de l’intelligence artificielle (IA) n’est pas si lointaine. En 1955, deux jeunes mathématiciens, John McCarthy et Marvin Lee Minsky, souhaitaient créer une discipline scientifique « afin de mieux comprendre l’intelligence en la décomposant en fonctions cognitives si élémentaires que des machines pourraient être construites pour les simuler une à une »(1).
Sara Castellanos, rédactrice technologique pour le Wall Street Journal définit l’IA comme « les techniques utilisées pour apprendre aux ordinateurs à apprendre, raisonner, percevoir, déduire, communiquer et prendre des décisions similaires ou meilleures que les humains »(2).
Le déploiement de l’IA, rappelle Gruson, est « source d’améliorations potentielles littéralement extraordinaires pour notre santé »(3).
En effet, dans le domaine de la santé, cette révolution est en marche et les possibilités de l’IA ouvrent de nombreuses perspectives comme la construction d’une thérapeutique personnalisée, la détection précoce et fine des symptômes, la formulation d’hypothèses diagnostiques, l’exploration des résultats d’imagerie ou de biologie, etc.
Tous les pays du monde se sont lancés dans la course à l’intelligence artificielle, dont la Chine et les États-Unis sont les principaux leaders, comprenant les enjeux géostratégiques que ces nouvelles technologies vont apporter.
Le rapport Villani(4) montre que l’IA pourrait avoir de nombreuses applications dans le secteur de la santé mais ces transformations ne se feront qu’avec l’obtention des données massives et fiables. Ainsi la qualité de leurs annotations et leur recueil par les soignants sont-ils primordiaux.
Cette transformation ne pourra pas se faire sans l’implication et l’engagement des professionnels de santé.
Ainsi pouvons-nous nous interroger : quelle serait l’utilité de ces technologies intelligentes auprès des professionnels de santé infirmiers aux urgences ?
L’objectif de cette revue de littérature est de faire un état des lieux de l’utilisation et de l’intérêt de l’intelligence artificielle, pour la profession infirmière aux urgences.
Pour répondre à cette problématique, nous avons au préalable identifié des mots-clés en lien avec notre question de recherche. L’identification des mots-clés nécessaires à l’interrogation des bases de données a été réalisée par la méthode PICO (Population, Intervention, Compare to, Outcomes) :
- P : Infirmier, profession paramédicale
- I : Intelligence artificielle, algorithmes, urgence, soins infirmiers
- C : Service d’urgence sans intelligence artificielle
- O : Efficacité
Le site HeTOP (Health Terminology/Ontology Portal) a permis de traduire ces mots-clés en anglais et d’en retrouver les synonymes dans la liste des MeSH (Medical Subject Heading) :
- Nurses
- Allied health occupations
- Artificial intelligence
- Algorithms
- Emergency
- Nursing, care
- Efficiency
Une équation de recherche a été posée sur le moteur de recherche Pubmed (spécialisé en médecine et en biologie) avec les MeSH correspondant aux mots-clés les plus représentatifs de notre thématique : Nursing AND Artificial intelligence AND Emergency.
Celle-ci a permis d’effectuer une sélection des articles d’abord par la lecture des titres, puis des résumés (abstracts) et enfin par la lecture des textes intégraux (notamment la partie « Matériels et méthodes » et « Résultats »).
Les critères d’inclusion impliquaient que tous les articles associent à la fois les infirmières, le service des urgences et l’intelligence artificielle entre les années 2000 et 2022. Les critères d’exclusion correspondaient à tout article qui ne réunissait pas l’un de ces trois termes MeSH évoqués précédemment.
Une lecture critique des articles a été réalisée à l’aide des recommandations de la Haute Autorité de santé ou HAS(5).
Le diagramme de flux synthétise le processus de sélection des articles qui a été réalisé (voir ci-contre).
Cette revue de littérature a permis d’extraire trois articles avec les critères définis ci-dessus.
Les résultats de la première étude réalisée par Liu and al.(6) ont prouvé la pertinence de l’intelligence artificielle dans les soins. Un système intelligent a été mis en place aux urgences et avait pour but d’optimiser l’information médicale et le processus de gestion des soins infirmiers afin de réduire le temps de triage aux urgences. Des données médicales (électrocardiogramme ou ECG, saturation pulsée en oxygène ou spO2, etc.) et autres informations sur le patient ont été transmises à un système intelligent aux urgences qui les a comparées et résumées afin d’aider les soignants à prioriser ou non la prise en charge. Grâce à ce système, le temps de triage des patients a considérablement diminué passant de 19,21 minutes en moyenne à 8,16 minutes, ce qui a permis une meilleure efficacité de prise en charge des patients et un meilleur taux de survie.
Le deuxième article est un rapport d’expérience par Gonçalves(7) datant de 2020 et concerne l’utilisation d’une intelligence artificielle pour identifier une septicémie. Grâce à de nombreuses données telles que la fréquence respiratoire, cardiaque, le débit urinaire, etc., le robot Laura™ aurait la capacité, par des calculs statistiques complexes, d’indiquer quels patients pourraient présenter un risque élevé, moyen ou faible de développer une septicémie. Cet outil permettrait donc de prioriser les patients à risque de s’aggraver et donc d’avoir une meilleure prise en charge.
Enfin, un des articles publiés par Chee and al(8) montre les limites des applications technologiques qui ont été notamment testées pour le Covid-19 dans les services de soins actifs compte tenu de leur portée limitée (biais, taille de l’échantillon inadapté, etc.).
Si l’on se réfère aux études de Liu, Gonçalves et Chee, l’IA aiderait à mieux organiser les soins et les prestations de santé, identifierait les patients à risque, faciliterait une intervention précoce pour les infirmières, permettrait l’anticipation des besoins du patient ou de toute situation urgente grâce à des données récoltées. D’après les études, ces données récoltées sont de tous ordres : fonction pulmonaire, habitudes de marche, données hémodynamiques, biologiques, ECG, etc.
L’IA pourrait révolutionner les soins pour les patients tant sur la qualité que sur la sécurité et semblerait facilitatrice pour le travail infirmier aux urgences.
Même si cette revue de littérature pouvait s’étendre à d’autres moteurs de recherche, quelques interrogations restent en suspens. Très peu d’études concernent spécifiquement les soins infirmiers aux urgences en lien avec l’intelligence artificielle. La majorité des études sont réalisées en Chine ou dans les pays anglo-saxons ce qui questionne l’attrait de l’intelligence artificielle auprès du public infirmier français. La thématique serait-elle considérée comme trop récente ou trop complexe ?
Les perspectives de recherche dans le domaine de l’intelligence artificielle sont pourtant immenses.
L’objectif de cette revue de littérature était de constituer un état de l’art sur l’utilisation de l’IA par les infirmières dans un service d’urgence. De façon générale, il ressort de cette littérature que ces aides technologiques amélioreraient la qualité d’intervention et l’efficacité dans le travail infirmier.
Nous rentrons dans une nouvelle ère technologique. L’IA est une révolution dans le milieu de la santé qui ne se produira pas demain mais est déjà en cours. La formation des professionnels de santé paramédicaux ainsi que celle des étudiants en santé seront des conditions nécessaires à l’utilisation de ces systèmes intelligents. Sans aucun doute en France, les infirmières seront mises au défi de ces transformations en participant à la création d’outils technologiques et en anticipant l’impact de leurs effets dans les soins et dans l’interaction soignant-soigné, mais aussi, sur les questions éthiques que l’intelligence artificielle va susciter.
ARTICLE RÉALISÉ PAR :
PIERRE RODA Infirmier formateur à l’Ifsi, membre du comité d’éthique du CHU de Toulouse
SÉBASTIEN COUARRAZE Maître de conférences en Sciences Infirmières à la faculté de Santé, université Toulouse III Paul Sabatier et Laboratoire Cerpop, UMR 1295 Inserm
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt
COORDINATION :
ALEXANDRA USCLADE Coordinatrice paramédicale de la recherche, CHU de Clermont-Ferrand, membre du bureau de la CNCPR ausclade@chuclermontferrand.fr
CAROLINE SERNICLAY Cadre de santé, coordinatrice paramédicale de la recherche en soins, CHU de Reims, pilote de la CNCPR cserniclay@chu-reims.fr
EN PARTENARIAT AVEC LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE