VACANCES D’ÉTÉ : L’IMPRO N’EST PAS DE MISE
MODE D’EXERCICE
J’EXERCE EN LIBÉRAL
ORGANISATION
Partir en vacances ne s’improvise pas lorsqu’on est infirmière libérale, bien au contraire. Il s’agit, pour exercer son activité, de tout prévoir et de se préparer… jusqu’à l’imprévu.
Acheter un billet d’avion sur un coup de tête pour partir trois jours plus tard dans un endroit rêvé ? Difficile quand on est infirmière libérale ! « Il ne faut jamais oublier qu’en faisant le choix du libéral, nous devenons chef d’entreprise, rappelle François Poulain, Idel à Marseille (Bouches-du-Rhône) et président de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) Infirmiers Provence-Alpes-Côte d’Azur. Certes, cela présente des avantages, mais il y a aussi un côté fastidieux qui consiste à organiser toute sa vie professionnelle et personnelle pour la comptabilité, le paiement des cotisations, le planning de la tournée et l’organisation de ses vacances. » De fait, si les Idels souhaitent partir sereinement en vacances l’été - période à laquelle elles s’absentent généralement le plus longtemps -, elles doivent penser à prendre leurs dispositions dès les mois de mars ou avril, au risque - cependant jamais nul - de devoir sinon rester à leur cabinet. Car celui-ci ne peut en aucun cas être fermé, en raison de leur obligation de continuité des soins.
Dans les cabinets de groupe où les Idels, associées ou collaboratrices, sont nombreuses, elles peuvent instaurer un roulement pour se remplacer sur leurs périodes de vacances respectives. « Dans mon ancien cabinet, nous avions opté pour cette organisation, souligne François Poulain. Avec mon associé, nous nous remplacions mutuellement pendant nos congés. Financièrement, c’était intéressant, car nous ne perdions pas d’argent. En revanche, comme nous n’étions que tous les deux, le rythme était soutenu et à l’issue des trois semaines à un mois de remplacement, nous étions forcément fatigués. » Aujourd’hui, François Poulain ne souhaite plus d’un tel fonctionnement. Ses collaborateurs et lui ont fait le choix de salarier des infirmiers. Ce sont eux, avec des remplaçants, qui assurent les tournées des associés et des collaborateurs pendant leurs congés. « Le salariat reste encore marginal dans les cabinets d’Idels, mais dans les zones surdotées où elles ne peuvent pas s’installer, il s’agit d’une bonne solution pour éviter le recours à des remplaçants réguliers, ce qui est interdit », rappelle le président de l’URPS. De son côté, Anne Kemlin, aujourd’hui Idel à Cleppé dans la Loire, a longtemps exercé à Paris avec une associée et une collaboratrice. Les deux associées s’arrangeaient entre elles et laissaient parfois moins de choix à leur collaboratrice. « Mais dans la majorité des cas, nous étions toutes satisfaites car nous ne souhaitions pas les mêmes périodes de vacances », reconnaît-elle. Pour les plus petites vacances, elles avaient pris l’habitude de s’organiser pour que leur semaine de congé ait lieu pendant leur semaine de repos.
Certains cabinets ont par ailleurs l’habitude de travailler avec les mêmes remplaçants. « Il est important de se constituer un réseau de confiance car il est toujours plus facile de laisser son cabinet à un infirmier avec lequel on a déjà travaillé, conseille Adrien Beata, cofondateur de Hublo, une plateforme de gestion des remplacements. C’est bénéfique pour les patients également, toujours plus sereins de revoir un visage connu. » Alexandra Cervi, Idel à L’Île-Rousse en Haute-Corse, exerce en tant que collaboratrice auprès d’une associée. Son cabinet fait fréquemment appel à deux remplaçantes. « Avec ma consœur, nous nous organisons très simplement, explique-t-elle. Chacune partage ses envies de planning pour les vacances, et nous voyons, entre nous, comment nous arranger, tout en ayant pris la peine de demander à nos remplaçantes, si elles sont bien présentes pendant nos absences. » Dans les Bouches-du-Rhône, Gaëlle Cannat, unique titulaire de son cabinet à Éguilles, fait appel à deux remplaçantes. « J’ai de la chance car elles n’ont pas d’enfants, remarque-t-elle. Comme de mon côté, j’ai deux filles, je peux, en accord avec elles, prioriser les vacances scolaires pour mes congés. » Mais avant de tomber sur « ces perles », elle a vécu des expériences plus compliquées notamment avec une remplaçante qui pouvait l’informer au début de la semaine qu’elle ne viendrait plus travailler deux jours après.
Le carnet d’adresses ne suffit pas toujours et certains cabinets doivent parfois faire appel à des remplaçants avec lesquels ils n’ont pas nécessairement l’habitude de travailler. À l’heure actuelle, les Idels interrogées sont unanimes : il devient de plus en plus difficile de trouver des remplaçants, qui plus est, sérieux et sur lesquels compter. « Les bonnes remplaçantes deviennent rares, regrette Alexandra Cervi. Elles vont, elles viennent, elles annulent des contrats. La génération actuelle d’Idels ne travaille pas de la même manière que la mienne. »
Face à ce constat, il s’avère nécessaire d’anticiper pour avoir le temps, si les premiers contacts ne sont pas fructueux avec un premier candidat, d’en trouver un autre qui convienne pour la période souhaitée. Outre le bouche-à-oreille, tous les moyens sont bons pour les démarcher : petites annonces, sites de remplacements, réseaux sociaux, forums. Les demandes doivent être publiées sur des sites stratégiques. « Il faut aller chercher les gens là où ils sont, conseille Adrien Beata. Les réseaux sociaux restent un bon outil, gratuit, avec une bonne audience. » La multidiffusion ayant son importance, les sites spécialisés sont aussi une bonne solution comme Stéthonet, Calendridel le site de l’Ordre infirmier ou encore celui de Pôle Emploi. « Dans le Var, une vingtaine d’associations locales d’Idels ont été créées dans le but de ne plus être seules et isolées dans nos exercices, rapporte Joëlle Mendy, Idel à Toulon. Lorsqu’on a besoin de trouver un remplaçant pour un congé, on peut envoyer une annonce à l’association. » Dans l’annonce, la demande de remplacement doit être clairement explicitée avec les dates souhaitées, les caractéristiques de la patientèle à prendre en charge, ainsi qu’une présentation du cabinet et du territoire. « La marque employeur a toute son importance, ajoute Adrien Beata. Tout comme, pourquoi pas, les recommandations des anciens remplaçants. »
Lorsque le remplaçant est trouvé, il faut notamment s’assurer qu’il est en règle auprès de la Caisse primaire d’Assurance maladie, de l’Ordre des infirmiers, d’une association de gestion agréée pour les Idels, et qu’il a également souscrit un contrat d’assurance de responsabilité civile professionnelle pour pouvoir effectuer des remplacements. Il faut ensuite établir un contrat mentionnant, entre autres, la période de remplacement, la redevance conservée, la date de règlement des honoraires, ainsi que les obligations de chacun, etc. « Signer un contrat est indispensable, rappelle François Poulain. C’est une façon de se protéger et éventuellement de se donner la possibilité de mener un recours devant l’Ordre pour manquement à la déontologie, si le remplaçant ne vient pas. Mais il est vrai que dans tous les cas, si cela se produit, nos vacances sont gâchées, même avec un recours. » Une expérience qu’il a lui-même vécue…
Lorsque tout est en règle, il est nécessaire que l’Idel donne des consignes aux remplaçants concernant la gestion du cabinet : les adresses des patients, la façon de se rendre à leur domicile, les codes d’accès aux immeubles, les clés, les adresses des laboratoires de biologie médicale et de tous les autres prestataires avec lesquels elle travaille. « L’ensemble des informations sur les patients sont généralement dans les dossiers informatisés et/ou dans le dossier patient à leur domicile », rappelle Gaëlle Cannat.
Il est vivement recommandé d’effectuer une à deux tournées - voire plus si nécessaire - en binôme avec le remplaçant, afin qu’il puisse rencontrer les patients et se familiariser avec la prise en charge. C’est aussi l’occasion de s’assurer qu’il partage les mêmes valeurs. L’esprit d’équipe, le rapport aux patients, leurs propres retours, tout est à prendre en compte. « Il est important pour moi de faire une tournée avec mon remplaçant, notamment parce qu’en Corse, bien souvent, il n’y a ni nom de rue, ni numéro sur les maisons, il faut donc un temps de repérage pour le remplaçant, indique Alexandra Cervi. C’est aussi le moment de le présenter aux patients. Certains d’entre eux ont besoin de repères et souhaitent savoir à l’avance qui va assurer leurs soins et à quel moment. »
Toutefois, les mauvaises surprises peuvent arriver : « L’année dernière, malgré mes consignes, ma remplaçante a refusé des nouveaux patients pendant mon absence, car elle estimait qu’elle allait devoir effectuer trop de kilomètres, s’en étonne encore Gaëlle Cannat. Une telle attitude rejaillit forcément sur l’image du cabinet. J’ai la philosophie de rendre service aux gens et j’ai une entreprise à faire prospérer. » De tels comportements expliquent aussi pourquoi les Idels peuvent difficilement se couper intégralement de l’activité de leur cabinet, et ce même durant leurs congés. « Il est rare que notre téléphone ne sonne pas, car souvent le remplaçant peut avoir besoin d’aide, en convient François Poulain. Finalement, nous gardons toujours un lien avec le travail. » Alexandra Cervi reste, de son côté, joignable pour les nouveaux patients qui appellent pour prendre rendez-vous, et pour le remplaçant si besoin. Mais d’autres, comme Anne Kemlin, transfèrent leur ligne sur les Idels assurant la tournée.
Dernier point à ne pas négliger : les finances ! Comme toutes les professions libérales, les Idels n’ont pas de congé payé, ni de 13e mois. Qui dit vacances, dit absence de revenu. Pourtant, les charges du cabinet continuent de courir et les vacances doivent être payées ! Il faut donc, une fois de plus, anticiper ! « Comme je connais mon chiffre d’affaires moyen, je me verse un salaire mensuel lissé sur l’année, rapporte Gaëlle Cannat. Cela m’oblige à une vraie gestion et me permet de ne pas oublier de mettre de côté pour les charges et les vacances. » Lorsqu’elle exerçait à Paris, Anne Kemlin ne faisait pas appel à des remplaçants et « nous dégagions aussi un chiffre d’affaires important, notamment parce que nous pratiquions des dépassements d’honoraires en lien avec les exigences de nos patients, explique-t-elle. Cela me permettait de mettre de côté pour les vacances. » « Financièrement, nous savons toutes combien de jours nous devons travailler dans le mois pour nous verser le salaire qui nous convient, rappelle Alexandra Cervi. Lorsqu’on décide de prendre une à deux semaines de congé, nous pouvons travailler un peu plus les semaines d’avant ou les suivantes afin de compenser. Pour cette raison, j’anticipe nos plannings de manière à toujours travailler 12 jours dans le mois. Mais il est vrai que c’est plus difficile à organiser lorsqu’on souhaite trois semaines de vacances. Dans ces cas-là, il vaut mieux avoir de l’argent de côté. »
De retour de vacances, interdiction pour l’Idel de chômer. Elle doit récupérer, auprès du remplaçant, les clés des patients, les nouvelles ordonnances, s’informer de l’état de santé des patients afin de garantir la continuité des soins ou encore assurer les facturations pour pouvoir rétrocéder les honoraires. Et si le remplaçant lui a donné satisfaction, conserver ses coordonnées pour faire appel à lui la prochaine fois.
Pendant les périodes de vacances, les Idels peuvent être contactées par des touristes ayant besoin de soins. « Pendant l’été 2022, de nombreux patients nous ont sollicités via les plateformes de prises de rendez-vous en ligne, explique Alexandra Cervi, Idel à L’Île-Rousse (Haute-Corse). Les demandes concernaient principalement des soins aigus. De manière générale, il est difficile de refuser des patients, notamment des vacanciers réguliers, au risque qu’ils ne rappellent pas l’année suivante. » Absorber des patients ponctuels ayant besoin de soins n’implique généralement pas un grand bouleversement de la tournée. Mais dans certains cas, les Idels doivent étendre leurs plages horaires. « J’exerce dans un secteur touristique, je peux donc recevoir régulièrement des demandes de touristes pour des soins aigus, indique Joëlle Mendy, Idel à Toulon (Var). Comme leurs besoins sont pour une période courte, il est facile de les intégrer à ma tournée. Mais il est vrai que l’été, je ne prends pas de pause pendant ma journée de travail afin de pouvoir assurer tous les soins. Et si vraiment je ne peux pas les inclure, j’en informe mon association locale d’Idels pour trouver d’autres infirmières disponibles. » La démarche est identique pour les patients dépendants en vacances, justement parce que la période de prise en charge est limitée dans le temps. À la différence que les Idels peuvent être amenées à prendre contact avec l’infirmière référente, « pour échanger plus précisément sur les besoins du patient et ses habitudes », précise Anne Kemlin, Idel à Cleppé (Loire).
Marieke Motto, infirmière libérale à Peillonnex (Haute-Savoie).
« Avec mon ancienne associée, lorsque l’une de nous partait en vacances, l’autre la remplaçait sur toute la période. Nous ne prenions pas de remplaçant, notamment parce qu’ils sont difficiles à trouver, et ce encore plus pour des cabinets avec un petit chiffre d’affaires comme le nôtre. Depuis, j’ai changé d’associée et cette année, je vais prendre une remplaçante pour mes vacances. Je suis en contact avec une Idel, originaire d’Occitanie, qui souhaite effectuer des remplacements en dehors de sa région pour découvrir de nouveaux territoires. Je lui ai proposé de loger dans ma chambre d’amis, car en Haute-Savoie, il est difficile de trouver un logement à un tarif raisonnable notamment pendant la période estivale. Il est vrai que lorsqu’on cherche un remplaçant, il faut s’y prendre tôt, surtout lorsqu’on a des contraintes comme les miennes. J’ai la garde alternée de ma fille et je souhaite être en vacances pendant cette période. Financièrement, j’ai également anticipé afin de prévoir un budget et mettre de côté. Désormais, lorsque je pars en vacances, je parviens à me reposer totalement sur l’infirmière qui me remplace et à décrocher. Mais pendant des années, cela m’était compliqué. Maintenant, lorsque des patients m’appellent, je laisse sonner, j’écoute le message et je rappelle uniquement si j’estime que c’est nécessaire. Bien sûr, si le remplaçant m’appelle, je lui réponds. Mais avant de partir, je lui laisse une liste de consignes pour que sa tournée se déroule au mieux. »
Par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale
[Directives anticipées : servent-elles l’autodétermination des patients ?]
En dehors des situations d’urgence ou pour lesquelles elles seraient inappropriées, les directives anticipées (lois de 2005 et 2016) s’imposent au médecin et permettent au patient d’exprimer « sa volonté relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’actes médicaux ». L’expression de cette volonté, permet d’éviter l’obstination déraisonnable, elle est prise en compte lorsque la personne n’est plus en mesure d’exprimer ses choix.
Concrètement, pour les personnes malades, ces directives peuvent être un outil de dialogue avec les professionnels de santé. Ceux-ci sont souvent à la recherche de la meilleure façon pour en parler (dialogue empathique, entretiens répétés, etc.). Car aborder les questions liées à sa propre fin de vie oblige à réfléchir sur ses propres convictions, à identifier ses craintes. Sans compter que les choix relatifs à l’arrêt de tel ou tel traitement peuvent être fluctuants, sait-on aujourd’hui ce que l’on souhaitera demain ? Cette démarche informative progressive est importante car comment choisir des techniques dont on ne voudrait pas alors même qu’on ne les connaît pas ? La délivrance de ces informations ne conduit pas systématiquement à recueillir les directives anticipées écrites et formalisées qui font l’objet d’un cheminement personnel respectant la temporalité de chacun.
Toutefois, certaines institutions de soins ou d’hébergement de personnes âgées ou handicapées ont fait de ces directives non plus un droit mais une obligation, par le biais d’outils protocolisés où la singularité des situations se transforme en cases à cocher sur un document. Une contrainte ne faisant parfois même pas l’objet d’une discussion avec la personne concernée, souffrant de troubles cognitifs par exemple, mais uniquement avec la famille qui rédige et signe le document.
L’expression de la volonté de la personne malade devient alors un leurre !