L'infirmière n° 032 du 01/05/2023

 

JE DIALOGUE

Laure Martin  

En tant que porte-parole de la chaire de design d’expérience soignants de la Maison des sciences de l’homme Paris-Saclay, Alexis Bataille-Hembert, infirmier, entend participer à l’accompagnement des soignants dans la recherche de solutions concrètes pour améliorer pleinement leurs conditions de travail.

Vous avez obtenu l’année dernière votre diplôme d’État infirmier. Pouvez-vous raconter votre reconversion ?

Alexis Bataille-Hembert : J’ai embrassé un parcours soignant dès mes 15 ans, puisque j’ai suivi un brevet d’études professionnelles (BEP) carrières sanitaires et sociales et un baccalauréat sciences et technologies de la santé et du social (ST2S). Dans ce cadre, j’ai effectué mon premier stage auprès de personnes âgées et, d’emblée, j’ai été confronté à la réalité du métier de soignant, aussi bien dans ses aspects positifs que négatifs. Dès cette période, le métier d’aide-soignant m’a beaucoup plu. Après l’obtention de mon baccalauréat, je suis devenu agent de service hospitalier (ASH) de nuit avant de passer le concours d’aide-soignant. J’ai exercé ce métier quelques mois dans des structures et au domicile de patients, mais je nourrissais aussi un rêve depuis toujours : intégrer l’armée. J’ai alors envoyé mon dossier au service de santé des armées (SSA) et j’ai rejoint l’hôpital d’instruction des armées (HIA) du Val-de-Grâce à Paris en septembre 2013. Après plusieurs mutations et une opération extérieure en Guinée, j’ai terminé ma carrière de militaire actif en septembre 2019. Entre-temps, afin d’organiser la suite de mon activité professionnelle, j’ai préparé le concours d’infirmier dans le civil. Dans les armées, les aides-soignants et les infirmiers collaborent quotidiennement et de fait, en tant qu’aide-soignant, je me sentais limité en termes de connaissances et de pratiques. J’ai ressenti l’envie et le besoin d’évoluer. J’ai fait le choix d’un Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) civil car je voulais m’ouvrir à d’autres spectres en termes d’exercice professionnel et accéder à des services et des spécialités qui ne sont pas nécessairement présents dans l’armée, notamment l’addictologie, l’hospitalisation à domicile (HAD) ou encore les centres pénitentiaires. Mes études ont toutefois été une transition brutale du monde militaire au civil. Je me suis retrouvé avec des personnes plus jeunes, sur des terrains de stage où je devais retrouver une place d’étudiant tout en sollicitant mon expérience d’aide-soignant. Depuis que je suis diplômé, je n’ai pas eu l’occasion d’exercer en tant qu’infirmier car Galileo Global Education [groupe français d’enseignement supérieur indépendant, NDLR] m’a proposé un poste en tant que chargé d’affaires publiques, spécialisé dans les questions de santé.

Depuis février, vous êtes aussi le porte-parole de la chaire de design d’expérience soignants de la Maison des sciences de l’homme Paris-Saclay. Quel est son objectif ?

A. B.-H. : La chaire, rattachée à la Maison des sciences de l’homme Paris-Saclay, a été créée en 2020. Elle consiste en un programme de recherche-action et d’enseignements pluridisciplinaires nés pendant la crise de la Covid-19, sur la base des expériences difficiles vécues par les soignants. Après avoir rencontré Géraldine Hatchuel, titulaire de la chaire, je lui ai proposé de l’accompagner pour porter la voix des activités menées. L’objectif est d’investiguer la qualité de vie professionnelle des soignants et la prise en soins des patients. Comme toute chaire, son ambition est d’avoir une orientation académique et universitaire sur l’expérience soignants, dans le cadre d’activités autonomes ou en collaboration avec des établissements.

Actuellement, nous cherchons à la faire connaître, à développer sa présence au travers de différents événements, à accompagner la mise en œuvre d’ateliers collaboratifs, à mettre en exergue l’intelligence collective pour l’amélioration du travail quotidien des soignants, et par là-même, des soins. Nous transformons les concepts et les données brutes en perspectives opérationnelles. Car à travers ses travaux, la chaire permet de réintroduire la notion d’humain au centre des organisations de soins, en insistant en particulier sur la recherche de solutions aux besoins concrets exprimés par le terrain. Elle intervient notamment en réponse aux enjeux structurels et conjoncturels rencontrés par les établissements de soins post-Covid autour de la baisse de l’attractivité, de la fidélisation des professionnels, des souffrances éthiques, physiques et psychologiques au travail, des problématiques organisationnelles. Elle entend agir pour apporter un mieux-être physique, mental et social aux professionnels de santé en codéveloppant des solutions expérientielles en réponse aux problématiques du quotidien, en améliorant la prise de conscience de leurs vulnérabilités ou encore en contribuant au renouvellement des pratiques managériales dans les établissements de soins.

Pouvez-vous donner quelques exemples concrets ?

A. B.-H. : Généralement, soit la chaire répond à des appels à projet, soit une structure de soins la sollicite, pour mettre en place des ateliers ou des dispositifs de recherche-action, afin de réfléchir à des axes d’amélioration de situations considérées comme problématiques.

La chaire est intervenue en 2022 au sein des Hospices civils de Lyon (HCL) pour une expérimentation pilote dans des unités gériatriques, sur des travaux de recherche et des ateliers de design de l’expérience soignants. Nous avons été amenés à rassembler des soignants pour des échanges, des ateliers collaboratifs, des exercices d’improvisation, des tables rondes, des réflexions collectives, autour de thématiques en lien avec leur activité professionnelle avec, par exemple, la mise en place de sas leur permettant de décompresser à la sortie de leur journée de travail, un cahier des familles et des aidants pour décharger les soignants de la charge informationnelle pesant sur leur quotidien ou encore une salle de pause et de bien-être pour favoriser les moments de respiration. Nous avons aussi mené une journée de l’expérience soignants à l’hôpital Foch à Suresnes (Hauts-de-Seine) et réalisé une étude ethnographique auprès de 15 soignants afin de démontrer ce qui, dans la pratique, est considéré comme irritant ou motivant.

À l’issue de ce travail, nous produisons des prototypes de solutions, des comptes rendus scientifiques, des articles scientifiques et des actions de plaidoyer.

Votre leadership infirmier se traduit plus récemment au travers de votre participation à une mission ministérielle…

A. B.-H. : J’ai en effet été nommé mi-mars, avec le Dr Philippe Denormandie et le Dr Marine Crest-Guilluy, par Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la Santé et de la Prévention, chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, afin de réfléchir à des actions pour améliorer la santé des professionnels de santé, hospitaliers et libéraux. L’urgence et les enjeux sont bien réels. Aujourd’hui, les paramédicaux, mes pairs, méritent un engagement total. À travers cette mission bénévole, l’idée est d’avoir la capacité d’incarner, au global, la vision des paramédicaux, donc de porter des sujets cliniques, de soins, d’innovation, lors des réunions, des visites, afin de coconstruire une stratégie nationale de la santé des professionnels de santé.

Cette nomination est l’occasion d’affermir la posture de leadership paramédical à travers la vision politique, institutionnelle et professionnelle de l’objet de notre mission. Le choix de la ministre me concernant est surtout un beau message envoyé à tous les paramédicaux. Nous ouvrons sans doute une porte supplémentaire sur le pouvoir d’agir des paramédicaux, et cela au plus haut niveau.

POURQUOI LUI ?

Depuis son adolescence, Alexis Bataille-Hembert s’intéresse aux soins. D’abord agent de service hospitalier puis aide-soignant, il a fait le choix de devenir infirmier afin d’évoluer dans sa pratique. Il œuvre désormais à la reconnaissance du leadership infirmier et entend participer à l’incarnation de la vision des paramédicaux dans le système de santé, et ce, au plus haut niveau.

BIO EXPRESS

Janvier 2013 Diplôme d’aide-soignant à l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) de la Croix-Rouge à Calais (Pas-de-Calais).

Septembre 2013 Aide-soignant à l’hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce (Paris).

Juillet 2022 Diplôme d’État d’infirmier à l’Ifsi de la Croix-Rouge à Calais.

Février 2023 Porte-parole de la chaire de design de l’expérience soignants.

Mars 2023 Nomination à la mission ministérielle « Santé des Soignants ».