LES INJECTIONS ILLÉGALES D’ACIDE HYALURONIQUE SUR LE BANC DES ACCUSÉS
ENTRETIEN
JE DÉCRYPTE
SANTÉ PUBLIQUE
Les injections sauvages d’acide hyaluronique, produit très utilisé en chirurgie esthétique, se multiplient. Le Dr Adel Louafi, président du syndicat des chirurgiens esthétiques*, lance l’alerte sur ce qui est en train de devenir un problème majeur de santé publique.
Adel Louafi : C’est un acide qui existe naturellement dans l’organisme. En chirurgie esthétique, on peut utiliser de l’acide hyaluronique de synthèse notamment pour restaurer des volumes (joues, tempes, notamment), ou pour les augmenter (lèvres, fesses, pommettes, par exemple). Ces injections peuvent être réalisées uniquement par des chirurgiens esthétiques ou des médecins formés à l’anatomie de la face et à l’utilisation de ces produits. Il faut rechercher les contre-indications médicales, déterminer le type de produit à utiliser… Il y a des produits spécifiques en fonction de la zone, du but recherché, il faut les injecter à une profondeur donnée… C’est pour cela que c’est un geste qui n’est pas délégable, même à une infirmière. C’est d’ailleurs la position officielle de l’ANSM [Agence nationale de sécurité du médicament, voir encadré, NDLR]
A. L. : Oui, ce sont des personnes qui n’ont aucune qualification professionnelle, ou qui sont masseuses, esthéticiennes, coiffeuses… Je parle au féminin parce que sur des centaines de signalements, nous n’en avons eu qu’un concernant un homme. À ma connaissance, il n’y a pas de professionnels de santé impliqués, et en tout cas pas d’infirmières. En revanche, il y a beaucoup d’injectrices sauvages qui se font passer pour des infirmières ou des médecins.
A. L. : C’est justement le problème. L’acide hyaluronique n’est pas un médicament listé, c’est un dispositif médical, et il est accessible à tout le monde, au même titre que les compresses ou les thermomètres. Il s’agit certes d’un dispositif médical invasif, de classe 3, comme les prothèses mammaires, mais il n’y a pas de règle spécifique qui en interdise la vente à quelqu’un qui ne serait pas médecin. Certes, les pharmaciens commencent à être vigilants, car ils ont une obligation déontologique de refuser la vente dans certaines conditions, mais à ce jour, il n’y a pas d’interdiction légale.
A. L. : Oui, bien sûr, mais beaucoup d’injectrices semblent préférer la vente en pharmacie, qui permet de payer en espèces et de ne pas laisser de traces.
A. L. : Il faut d’abord souligner que les chirurgiens utilisent ces produits depuis quarante ans, et que jusqu’en 2018, il n’y avait jamais eu de complications graves, c’est-à-dire de complications nécessitant une hospitalisation ou laissant des séquelles définitives. Or ces complications graves ont explosé, notamment après le confinement, ce qui correspond au moment où on a vu se multiplier les propositions d’injections illégales en ligne. En 2022, une cinquantaine d’événements graves ont été signalés, et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : nous estimons qu’environ 10 % seulement des complications sont recensées.
A. L. : Elles sont de trois ordres. Il y a d’abord les infections, qui peuvent aller du simple abcès jusqu’à la fasciite nécrosante, voire, dans des cas extrêmes, au choc septique nécessitant une hospitalisation en réanimation. Il y a par ailleurs les nécroses : si une artère est touchée, elles peuvent toucher le nez et remonter sur le front. Une jeune fille a ainsi dû avoir une greffe de la face. Enfin, le troisième type de complications est lié aux infections virales, de type hépatite C ou HIV, car nous avons eu plusieurs témoignages de réutilisation d’aiguille et de seringue. Nous avons connaissance d’au moins un cas d’hépatite C où aucun autre facteur d’explication que l’injection d’acide hyaluronique n’a été décelé…
A. L. : La première chose à faire, c’est de communiquer, d’alerter le grand public au quotidien, avec les patients, sur les réseaux… Et si des infirmières sont témoins de pratiques manifestement illégales, elles peuvent faire un signalement, soit à l’ARS [agence régionale de santé, NDLR], soit au procureur de la République, soit, ce qui est probablement le plus simple, au Conseil de l’Ordre des médecins.
A. L. : L’argument économique ne tient pas. Quand bien même les chirurgiens diviseraient leurs tarifs par deux pour s’aligner sur ceux des charlatans sans diplômes, ceux-ci diviseraient leurs tarifs par quatre car cela ne leur coûte rien : ils utilisent de l’acide hyaluronique de très mauvaise qualité, parfois périmé, et n’ont donc presque aucun coût. Ce serait une course sans fin. Il faut simplement faire en sorte que les injections soient réalisées dans des conditions sanitaires normales : l’injection d’acide hyaluronique est une activité médicale invasive qui comporte des risques, et les maîtriser a un coût. C’est pourquoi la seule solution est d’interdire la vente libre d’acide hyaluronique.
* Syndicat national de la chirurgie plastique, réparatrice et reconstructrice (SNCPRE)
Dans un communiqué diffusé en juillet dernier, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) précisait qu’à cette époque de l’année, elle avait déjà reçu pour 2022 « une quarantaine de déclarations d’effets indésirables suite à des injections d’acide hyaluronique visant à combler les rides ou à modifier le volume corporel ». Elle tenait à rappeler que « ces pratiques réalisées par des non-médecins sont dangereuses et interdites ». En effet, précisait l’agence, seuls les médecins sont à même de maîtriser le geste, de le réaliser dans les conditions d’asepsie adéquates, etc. « Il est nécessaire que les personnes souhaitant recourir aux produits injectables de comblement des rides échangent avec leur médecin si elles ont besoin de clarifications ou d’informations complémentaires sur ce sujet », concluait le communiqué.