RÉUSSIR SON PROJET EN AROMATHÉRAPIE
THÉRAPIE NON MÉDICAMENTEUSE
VIE PRO
COMPÉTENCES
Isabelle Sogno-Lalloz* Guilhem Jocteur**
*thérapeute, formatrice en aromathérapie et gérante
**docteur en pharmacie
***formateur en aromathérapie et gérant
Efficace, à faible coût et présentant peu de risques pour les patients, l’aromathérapie cumule les avis favorables. La pratiquer ne s’improvise pas pour autant. Quelques conseils pour mener son intégration dans les soins en toute sécurité.
Dans les produits domestiques comme dans les soins, les huiles essentielles semblent devenues incontournables. Leurs propriétés sont nombreuses et semblent apporter une réponse à toute sorte de problème. À condition de bien les connaître et d’en faire bon usage. Les intégrer dans une pratique infirmière professionnelle est une initiative qui peut être couronnée de succès (lire « Une IDE experte en approches complémentaires à l’AP-HP », L’Infirmièr.e n° 25), mais demande une solide préparation.
L’aromathérapie est l’utilisation des essences, huiles essentielles et hydrolats aromatiques à des fins thérapeutiques et de bien-être. Concentrés de principes actifs issus de la distillation de plantes aromatiques médicinales, ces produits apportent bien plus que de belles odeurs. Leurs nombreuses propriétés et les différentes voies d’administration offrent un large panel d’interventions possibles. En établissement de soins ou en cabinet libéral, elles peuvent être utilisées en olfaction/diffusion, dans le cadre de thérapies non médicamenteuses (TNM) ou encore dans des protocoles de soins.
En voici quelques exemples :
- diffusion d’huiles essentielles : gestion des mauvaises odeurs, désinfection de l’air, création d’ambiance agréable, apaisement à la tombée de la nuit, aide au sommeil, stimulation en journée ;
- intégration dans les approches multisensorielles (type Snoezelen), toucher détente aromatique, stimuli olfactifs avec travail sur la mémoire ;
- protocoles d’aromathérapie clinique pour soins de bouche, prévention d’escarre, mycose, gestion de la douleur, des nausées, plaies malodorantes, etc.
En France pour l’heure, la reconnaissance de la pratique est peu affirmée. L’aromathérapie est classée comme pratique de soins non conventionnelle par le ministère de la Santé. Seule la Haute Autorité de santé (HAS) la cite comme une approche non médicamenteuse potentiellement efficace dans le traitement des troubles du comportement, dans les maladies d’Alzheimer et apparentées. Dans les pays anglo-saxons, où le recul est plus important, l’aromathérapie est aujourd’hui pleinement admise comme approche complémentaire dans la gestion du stress, des troubles du sommeil ou encore pour apaiser les effets des traitements oncologiques. De toute évidence, l’aromathérapie sera amenée prochainement à prendre sa place dans les thérapeutiques non médicamenteuses. Son intérêt réside dans son efficacité, son faible coût, le fait qu’il n’y ait pas ou très peu d’interférences ou d’antagonismes avec les traitements conventionnels ni de toxicité ajoutée et, point important, le plaisir partagé entre patients et soignants.
L’infirmière peut intégrer l’aromathérapie dans ses soins en tant que ressource thérapeutique dans le cadre de son rôle propre et en respectant la réglementation des huiles essentielles. Point important cependant, les huiles essentielles sont régies par différentes réglementations selon leur utilisation et leur revendication. Utilisées en diffusion atmosphérique, les huiles essentielles peuvent être considérées comme des parfums d’ambiance ; en massage bien-être, elles seront soumises à la réglementation des produits cosmétiques ; les sprays assainissants répondent, eux, à la législation des biocides. Seuls les protocoles ayant une allégation thérapeutique seront considérés comme des médicaments à base de plantes. Il s’agira donc de définir clairement le type d’utilisation. Pour s’aider dans ses choix, l’infirmière pourra s’appuyer sur un document de référence édité en 2018 par un groupe d’experts qui pose les bases des bonnes pratiques pour l’intégration de l’aromathérapie dans les soins (voir Références p. 46).
Avant de se lancer dans un grand projet, l’infirmière pourra commencer par quelque chose de simple. Par exemple, en achetant des mélanges prêts à l’emploi pour la diffusion. Pour les soins de la peau après la toilette, il est aussi possible de mélanger juste quelques gouttes d’une huile essentielle (communément écrite HE) cicatrisante et anti-inflammatoire avec une huile végétale. Voici une formule simple à réaliser : diluer 12 gouttes d’HE de Lavande fine (vraie) dans 30 ml de macérat de calendula, à appliquer une fois par jour après la toilette. Une fois que l’infirmière se sent prête à se lancer, voici les étapes pour bien réussir le projet, sachant qu’elles seront plus ou moins importantes si elle est en établissement de soins ou en libéral.
Lors de la mise en place d’un projet en aromathérapie, il convient de suivre cinq grandes étapes pour un déploiement réussi :
L’utilisation des huiles essentielles demande un certain niveau de connaissances et de compétences. Il est nécessaire de suivre au minimum deux jours de formation, pour pouvoir commencer à utiliser les huiles essentielles en toute sécurité. Privilégier un contenu personnalisé et centré sur les objectifs opérationnels du projet. Ceci dans l’objectif d’acquérir les notions de base pour garantir la mise en œuvre de protocoles en aromathérapie efficaces et sécurisés.
Idéalement, pour se lancer dans un projet en aromathérapie, mieux vaut s’entourer d’un groupe pluridisciplinaire (médecin, pharmacien, infirmier, psychologue, ergothérapeute, etc.). En effet, les regards croisés entre professionnels faciliteront le développement de ce projet innovant.
Ensuite, il s’agira de choisir deux à trois axes de prises en charge réalistes et complémentaires par rapport aux besoins des patients/résidents. Il conviendra à ce stade de définir les pathologies ciblées, le type de patients pris en charge, les bénéfices attendus avec l’aromathérapie, la durée et le budget prévisionnel pour le projet qui pourra être affiné à l’étape devis. Viendront ensuite les aspects pratico-pratiques et le moment de réfléchir aux points suivants :
- organisation du travail : anticiper le temps nécessaire à la préparation des mélanges, la gestion des stocks et aux soins aromatiques eux-mêmes ;
- besoins matériels : déterminer le matériel à acheter selon les axes de prise en charge et les modes d’administration ;
- prévoir dans tous les cas : pipettes et étiquettes patient ;
- pour les soins cutanés : flacon en verre teinté, roll on, spray ;
- pour l’inhalation : stick inhalateur ;
- pour la diffusion atmosphérique : diffuseurs électriques (non chauffant) ;
- pour centraliser tout cela : coffret ou chariot d’aromathérapie/un espace de stockage ;
- matières premières : choix des huiles essentielles, hydrolats aromatiques et huiles végétales selon le type de pathologies à prendre en charge.
Un des aspects les plus importants dans un projet en aromathérapie reste la qualité des matières premières que l’infirmière sélectionnera.
En effet, les huiles essentielles devront répondre à un cahier des charges spécifique : nom latin, organe producteur, provenance géographique (agriculture biologique), molécules principales ou chémotype.
Une fois ces choix validés, l’infirmière aura tous les éléments nécessaires pour réaliser ses demandes de devis. L’étape de la commande au fournisseur qu’elle aura sélectionné finalisera cette partie du projet.
Dans tous les cas, il sera nécessaire de présenter les bénéfices attendus aux patients et à leurs proches.
Cette étape importante permettra également de sensibiliser les usagers aux bonnes pratiques d’utilisation des huiles essentielles et d’engager un dialogue autour du bon usage des produits naturels en général.
→ Si l’infirmière exerce en établissement de santé :
- un des moments cruciaux sera d’argumenter et de convaincre les décideurs. Elle peut pour cela s’inspirer des propositions d’arguments faites dans le consensus d’experts national ;
- l’information auprès des utilisateurs non formés facilitera grandement le déploiement du projet.
Il est alors intéressant de mettre en place des événements plutôt ludiques comme des ateliers de découverte qui pourraient avoir comme objectif le mieux-être des soignants (prévoir 30 à 45 minutes).
→ Si le professionnel exerce en libéral : une communication auprès du réseau professionnel peut également s’avérer très utile pour un meilleur suivi des patients et la pérennisation du projet. Là aussi un atelier de découverte pourrait être l’occasion d’échanger en groupe pluriprofessionnel.
Le professionnel a tout intérêt à centraliser l’ensemble de ses documents de bonnes pratiques dans un classeur. Il pourrait contenir :
- les informations générales sur le projet ;
- les étapes d’inclusion des patients (précautions, contre-indications) ;
- les points clés de l’aromathérapie : propriété, sécurité, modes d’utilisation, présentation et entretien du matériel ;
- des fiches de synthèse sur les huiles essentielles, hydrolats, huiles végétales ;
- ses protocoles de soin : pour quel patient, dans quel but, posologie, précautions d’emploi ;
- ses grilles et processus d’évaluation facilitant la traçabilité.
Il faudra également prévoir un registre pour la traçabilité des préparations si elles sont réalisées hors pharmacie. Dans celui-ci, devront être inscrits :
- la date de fabrication ;
- la composition des mélanges ;
- les numéros de lot/fournisseur.
L’évaluation des résultats est primordiale pour améliorer l’accompagnement réalisé en aromathérapie. Elle permettra notamment de valider l’efficacité des protocoles sélectionnés et ainsi de les faire évoluer si nécessaire (choix des huiles essentielles et/ou de la synergie).
La surveillance des éventuels effets secondaires, dans le cadre de l’aromavigilance, est également indispensable au suivi d’un projet en aromathérapie et à sa réussite. Comme pour toute pratique thérapeutique, Il conviendra de prévoir un document spécifique afin de tracer et recenser les incidents intervenus.
- Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), « Médicaments à base de plantes et huiles essentielles » sur le site internet ansm.sante.fr. Lien pour y accéder : bit.ly/41MAqBS.
- Fondation Gattefossé, « Aromathérapie scientifique : préconisations pour la pratique clinique, l’enseignement et la recherche - Consensus d’expert », 2019. Lien pour télécharger le pdf : bit.ly/3H69HZ12019.
- Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), fiche pratique sur les huiles essentielles disponible sur le site internet economie.gouv.fr/dgccrf. Lien pour y accéder : bit.ly/3Anqm6A.
- Haute Autorité de santé (HAS), Les thérapies non médicamenteuses dans la prise en charge des troubles du comportement - programme AMI Alzheimer.
- Baudoux D., Zhiri A., Les Cahiers pratiques d’aromathérapie selon l’école française, Volume 4 : Soins palliatifs, éditions Amyris, 318 p., 2006.
- Bordieu P., L’aromathérapie dans la pratique soignante, éditions Lamarre, 314 p., 2018.
- Faucon M., La gériatrie par les huiles essentielles, éditions Sang de la terre, 301 p., 2014.
- Jaffrelo A. L., Aromathérapie pour les soignants, éditions Dunod, 430 p., 2019.
Assurément, un projet d’aromathérapie bien mené
passe par un certain nombre d’étapes et peut paraître de prime abord un peu compliqué et décourageant. Mais comme le décrit si bien l’adage bouddhiste « Il n’y a pas de grande tâche difficile qui ne puisse être décomposée en petites tâches faciles ». S’engager dans un tel projet est la garantie d’enrichissement professionnel, de plaisir partagé, et d’évolution de sa vision des soins. Ainsi dans le cas de la gestion du stress, mettre en place de la diffusion ou du toucher détente aromatique pour ses patients fera réaliser au professionnel les forces de l’aromathérapie. Cette approche permet en effet la personnalisation des réponses, centrée sur les goûts et besoins des patients. L’infirmière explorera l’originalité des mécanismes d’action des huiles essentielles (HE). Elles ont à la fois un impact pharmacologique avec l’effet physique des molécules sur les symptômes du stress (tension musculaire, respiration hachée, problèmes digestifs etc.) mais aussi hédonistique, leur odeur agissant sur le psychisme à travers l’outil puissant qu’est l’olfaction. Le professionnel verra quelle peut être la complémentarité de l’aromathérapie avec d’autres approches conventionnelles et non conventionnelles comme l’hypnose.
Et il réalisera le plaisir partagé de cette médiation sensorielle permettant d’entrer en contact autrement avec les non-communicants. Enfin, il pourra aussi s’approprier quelques outils personnels pour la gestion de son propre stress.
Il y a peu de contre-indications, mais seules les personnes qualifiées en aromathérapie peuvent proposer des soins à base d’huiles essentielles (HE) :
• aux patients asthmatiques ;
• aux femmes enceintes ;
• aux patients ayant des antécédents de convulsion ;
• aux enfants de moins de 6 ans ;
• en cas d’allergies connues aux HE. Il existe un risque d’interaction médicamenteuse en cas d’usage prolongé au-delà de 72 heures pour des mélanges à forte dose d’HE (concentration supérieure à 30 %).
Amandine Dubois, cadre de santé au service de neurologie du CHU de Reims, a piloté un projet de recherche en aromathérapie visant à prouver l’impact de la diffusion d’huiles essentielles sur le niveau d’anxiété des patients atteints d’une pathologie neurovasculaire d’apparition brutale.
Comment a démarré cette initiative ?
Trois aides-soignantes avaient assisté à une conférence sur l’utilisation d’huiles essentielles en service de soins, dans le cadre de leur formation. Elles sont ensuite venues me voir, cela leur avait donné envie de mettre en place l’utilisation d’huiles essentielles dans notre unité. J’étais d’accord, à condition que l’on s’engage dans un projet de recherche en soins. Il fallait prouver l’efficacité de cette approche non médicamenteuse. Cela s’est avéré d’autant plus pertinent que quand on a réalisé une recherche bibliographique sur l’impact des huiles essentielles, on s’est aperçu qu’il y avait très peu de choses chiffrées, mesurées, dans le domaine du soin et encore moins en français.
Comment avez-vous choisi votre sujet ?
Nous étions parties au départ sur une utilisation des huiles essentielles avec des patients en soins palliatifs, dont l’anxiété est préoccupante. Ils n’ont pas forcément envie qu’on les embête avec les soins d’hygiène. C’est un souci pour les soignantes de devoir les obliger à accepter les soins de nursing . Nous avons rencontré l’équipe de méthodologie de la recherche paramédicale de l’hôpital. Ils nous ont aidées à mûrir notre projet. On s’est rendu compte que les soins palliatifs, étaient un champ vaste et complexe. En utilisant la méthode de l’entonnoir, nous avons identifié les besoins de patients venant de faire un AVC.
Ils ne peuvent plus forcément bouger le bras ou la jambe. La toilette est le premier soin où ils prennent conscience de leur handicap, même s’il peut être transitoire. C’est un moment d’émotion important qui met en difficulté les aides-soignantes. Il paraissait pertinent de se demander si l’usage des huiles pouvait permettre que ce soin se passe dans les meilleures conditions.
Quelles particularités présente le travail avec l’odorat ?
Pour vérifier notre hypothèse de départ, nous avons fait des premières diffusions, en test, auprès des patients. Dès le premier contact, nous nous sommes aperçues qu’il y avait des huiles que l’une d’entre nous ne supportait pas. Nous nous sommes dit qu’il allait falloir que nous proposions trois choix aux patients. Quand nous avons ensuite rencontré Isabelle Sogno-Lalloz, elle nous a suggéré d’utiliser plusieurs huiles ensemble. Ces synergies permettent d’élargir les propriétés de la diffusion et évitent d’avoir une odeur dominante. Cet aspect est également intéressant pour que le patient ne reparte pas avec une odeur bien identifiée, qu’il va garder et qui va ensuite lui rappeler son séjour à l’hôpital. La mémoire olfactive est puissante. Et nous continuons à laisser au patient le choix du mélange d’essences qui lui convient le mieux.
Quels enseignements avez-vous tirés de votre projet de recherche ?
Le premier essai que nous avons fait pour vérifier notre hypothèse a été très concluant, ce qui nous a permis de nous engager dans un projet plus structuré, qui a ensuite été retenu dans le cadre de l’appel d’offres local de l’hôpital. Nous sommes en train d’inclure les derniers patients de notre étude. Si des conclusions chiffrées ne peuvent pas encore être établies, l’effet bénéfique est visible pour les patients. Les familles apprécient également de voir leur proche apaisé. Des patients qui avaient participé à l’étude et qui ont ensuite changé d’unité ont demandé à faire revenir les aides-soignantes. En situation de grand stress avant un examen comme une IRM [imagerie par résonance magnétique, NDLR], ils voulaient pouvoir bénéficier à nouveau de l’effet relaxant des huiles essentielles. Nous avons utilisé un petit stick olfactif pour les aider à se détendre. Certains l’ont même gardé avec eux pendant l’examen en le posant sur le torse.
Les patients ont donc très bien accueilli cette initiative…
Oui, en parlant avec eux, on s’est aperçu qu’il y en avait beaucoup qui utilisaient les huiles essentielles, et parfois en commettant des erreurs. Les aides-soignantes ont pu reprendre avec eux les bonnes pratiques, leur donner des pistes de réflexion, tel type d’huile, telle méthode à utiliser. Cela modifie la relation avec les patients, on complète leurs connaissances et eux, ils participent plus.
Propos recueillis par Marie-Capucine Diss