L'infirmière n° 033 du 01/06/2023

 

JE ME FORME

JURIDIQUE

Gilles Devers  

avocat à la Cour de Lyon

Actualités de jurisprudence en matière de responsabilité hospitalière : dégradation de l’état d’une personne âgée en postopératoire, prise en charge d’une crise d’agitation… quand les procédures sont bien suivies et les bonnes pratiques respectées, le corps médical ne peut être incriminé.

DÉGRADATION DE L’ÉTAT D’UNE PERSONNE ÂGÉE EN POSTOPÉRATOIRE

Chez une personne âgée, la dégradation de l’état de santé conduisant en postopératoire au décès n’engage pas la responsabilité de l’hôpital en l’absence de faute, cette dégradation étant le fruit de la fragilité de l’état de santé antérieur (cour administrative d’appel de Douai, 11 avril 2023, n° 21DA01254).

Faits

Le 28 septembre 2012, une dame âgée de 85 ans a été victime d’une chute à son domicile et s’est fracturé le tibia droit. Elle a été prise en charge le même jour par le service des urgences du centre hospitalier de Roubaix où elle a subi le 1er octobre 2012 une intervention chirurgicale d’ostéosynthèse par mise en place d’une plaque verrouillée. Les suites opératoires ont été marquées par un déséquilibre important de son diabète et, à partir du 5 octobre 2012, des escarres sacrées et sur les deux talons ont été constatées.

Le 10 octobre 2012, elle a été transférée dans une clinique en vue de sa rééducation. À la suite de complications, cette patiente a effectué plusieurs séjours hospitaliers. Face à la dégradation de son état de santé, elle a été admise à la clinique de Villeneuve-d’Ascq, où elle est décédée le 26 mars 2013.

Insatisfaite de la prise en charge de sa mère au centre hospitalier de Roubaix et imputant le décès de celle-ci à des manquements commis par cet établissement hospitalier, sa fille a présenté, le 28 août 2015, une demande d’indemnisation. Elle soutient que la prise en charge a été insuffisante malgré les risques connus d’apparition d’escarres et de dénutrition.

L’expertise

La patiente présentait un état antérieur fragilisé par l’âge et par plusieurs pathologies dont un diabète insulinodépendant et une artériopathie oblitérante des membres inférieurs.

Le comportement des équipes médicales a été conforme aux règles de l’art lors du séjour de la patiente, le 28 septembre 2012, pour la prise en charge de sa fracture du tibia. Le délai écoulé entre l’entrée à l’hôpital, le 28 septembre 2012, et l’intervention chirurgicale, trois jours plus tard, est justifié par des précautions nécessitées par l’état de santé antérieur et, en particulier, par le suivi d’un traitement anticoagulant.

En outre, dès lors que la fracture du tibia interdisait un appui pendant plusieurs semaines, l’existence de deux maladies sous-jacentes graves - l’artériopathie évoluée des membres inférieurs et le diabète de type 2 - rendait la probabilité de survenue d’escarres très élevée, « quasiment inévitable », dans un tel contexte, l’interdiction de poser le pied impliquait une perte d’autonomie importante et prolongée.

Analyse

Les complications constatées lors de l’hospitalisation du 28 septembre au 10 octobre 2012, à savoir une hémorragie digestive et des surinfections de l’escarre sacrée imposant un drainage, n’ont pas de lien direct avec la survenue du décès, même si ces complications ont aggravé la dénutrition qui s’était installée et la perte d’autonomie.

De telle sorte, le décès est lié à l’état de santé antérieur qui l’exposait aux complications qu’elle a subies et à la fracture elle-même qui a eu un impact sur sa perte d’autonomie. En l’absence de faute, la responsabilité du centre hospitalier de Roubaix n’est pas engagée.

PRISE EN CHARGE D’UNE CRISE D’AGITATION

La prise en charge d’une crise d’agitation, avec des propos suicidaires, par une hospitalisation dans un service d’urgence n’est pas une hospitalisation sous contrainte, et relève du droit commun. Dans le contexte de cette urgence, une contention de quelques heures, avec un suivi médical, n’est pas une faute (cour administrative d’appel de Paris, 11 avril 2023, n° 22PA01320).

Droit applicable

Une personne faisant l’objet de soins psychiatriques avec son consentement pour des troubles mentaux est dite en soins psychiatriques libres. Elle dispose des mêmes droits liés à l’exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades soignés pour une autre cause. Cette modalité de soins est privilégiée lorsque l’état de la personne le permet (code de la santé publique [CSP], art. L 3211-2).

L’admission à l’hôpital est prononcée par le directeur sur avis d’un médecin ou d’un interne de l’établissement. Elle est décidée, hors les cas d’urgence reconnus par le médecin ou l’interne de garde de l’établissement, sur présentation d’un certificat d’un médecin traitant ou appartenant au service de consultation de l’établissement attestant la nécessité du traitement hospitalier (CSP, art. R 1112-11).

Si l’état d ’un malade ou d’un blessé réclame des soins urgents, le directeur prend toutes les mesures pour que ces soins urgents soient assurés. Il prononce l’admission, même en l’absence de toute pièce d’état civil et de tout renseignement sur les conditions dans lesquelles les frais de séjour seront remboursés à l’établissement (CSP, art. R 1112-13).

Lorsqu’un médecin ou un interne de l’établissement constate que l’état d’un malade ou d’un blessé requiert des soins urgents relevant d’une discipline ou d’une technique non pratiquée dans l’établissement ou nécessitant des moyens dont l’établissement ne dispose pas, ou encore lorsque son admission présente, du fait du manque de place, un risque certain pour le fonctionnement du service hospitalier, le directeur provoque les premiers secours et prend toutes les mesures nécessaires pour que le malade ou le blessé soit dirigé au plus tôt vers un établissement susceptible d’assurer les soins requis (CSP, art. R 1112-14).

Analyse

Le compte rendu de prise en charge par le service des urgences indique que le 12 juillet 2018, lorsqu’elle s’est présentée à l’hôpital, la patiente tenait un discours décousu et des propos suicidaires. La prise en charge résulte ainsi de son état de santé et n’a pas été effectuée sur demande d’un tiers ni du représentant de l’État. Par la suite, elle entre dans le champ d’application de l’article L3211-2 du CSP. Il s’ensuit que la requérante ne peut utilement soutenir qu’elle aurait dû bénéficier, lors de la mise en place de la mesure de contention, de garanties procédurales comme l’information obligatoire du juge des libertés et de la détention qui concernent les patients hospitalisés sans consentement dans des établissements de santé chargés d’assurer les soins psychiatriques.

La patiente a pu consulter un psychiatre. Devant la grande agitation et l’impossibilité de communiquer avec la patiente, ce dernier a pris la décision de lui administrer un antipsychotique et de mettre en place une mesure de contention. La mesure de contention physique a ainsi été utilisée en dernier recours après que le personnel soignant a d’abord tenté de communiquer avec la patiente et il n’est pas contesté que cette mesure a été de courte durée. Il ne résulte pas de l’instruction que la prise en charge de cette patiente au service des urgences de l’hôpital Saint-Antoine n’a pas été conforme aux bonnes pratiques médicales. Dans ces conditions, aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’AP-HP n’a été commise lors de sa prise en charge le 12 juillet 2018.