L'infirmière n° 033 du 01/06/2023

 

ENTRETIEN

JE DÉCRYPTE

SANTÉ PUBLIQUE

Adrien Renaud  

Le mode de calcul du Nutri-score devrait changer à la fin de cette année. Son inventeur, le professeur Serge Hercberg, épidémiologiste et nutritionniste, fait le point sur les prochaines modifications de cet indicateur de qualité nutritionnelle des aliments et éclaire sur son intérêt pour les professionnels de santé.

Pouvez-vous nous rappeler comment le Nutriscore est calculé ?

Serge Hercberg : Il est calculé en prenant en considération les éléments qui sont sur la face arrière des emballages : ce tableau incompréhensible avec des termes ésotériques, qui donne les informations par portion, en pourcentage des apports journaliers recommandés, etc. Un algorithme donne des points positifs aux éléments favorables à la santé comme les fibres, les protéines, etc., et des points négatifs aux éléments défavorables comme le sel, le sucre, les graisses saturées, les calories, etc. En additionnant ces points positifs et négatifs, on aboutit à une note globale qui permet d’attribuer une catégorie de lettre sur fond de couleur (voir encadré Savoir+). C’est une information simple, intuitive, compréhensible sur la qualité globale des aliments, qui ne nécessite pas une formation en nutrition pour interpréter les tableaux nutritionnels.

Le Nutri-score trouve tout son intérêt quand on est confronté à choisir un produit par rapport à un autre de la même catégorie : si le consommateur le souhaite, il peut en un coup d’œil comparer entre elles, les crèmes dessert, les céréales pour le petit déjeuner, etc.

Qu’est-ce qui changera à la fin de cette année ?

S. H. : L’algorithme va être révisé. Il était prévu depuis le départ qu’il y ait régulièrement des mises à jour pour prendre en considération le progrès des connaissances scientifiques, les évolutions de l’offre alimentaire, notamment. Un comité scientifique européen, composé d’experts sans lien d’intérêt, a fait un énorme travail de compilation de la littérature scientifique pour proposer des modifications qui s’appliqueront aux sept pays qui ont adopté le Nutri-score. Ce n’est donc pas une modification de la philosophie du Nutri-score, ni de son format graphique, mais une simple modification du mode de calcul.

Quelles seront les conséquences de cette modification ?

S. H. : De façon générale, les produits sucrés et salés seront plus pénalisés. Certaines marques de céréales pour le petit déjeuner, par exemple, avaient fait l’effort de réduire leur teneur en sucres pour passer juste au-dessous du seuil qui permet d’être classé A. C’est louable, mais la conséquence, c’est que ces céréales se retrouvaient ainsi dans la même catégorie que des céréales qui ne contiennent pas de sucre, ou très peu. Comme les connaissances scientifiques montrent maintenant qu’il n’y a pas de seuil minimal d’effet du sucre sur la santé, le poids négatif du sucre a été augmenté, et ces céréales vont se retrouver en C, ce qui les distinguera du muesli sans sucre, par exemple, mais leur permettra de rester mieux classées que leurs concurrents qui n’ont pas fait d’effort.

Est-ce que le Nutri-score peut être utile dans la pratique infirmière ?

S. H. : Oui, tout à fait. Le Nutri-score trouve principalement son intérêt en population générale, mais il s’agit aussi d’un instrument de santé publique qui peut être utile pour tous les professionnels de santé qui donnent des conseils, qu’ils soient médecins, infirmières, kinés, diététiciens… Les infirmières ont un rôle de conseil, par exemple dans la prévention primaire, secondaire ou tertiaire des maladies chroniques, et le Nutri-score peut les aider dans la prise en charge de leurs patients, sans bien sûr se substituer à leur rôle.

Quelles sont les questions auxquelles les infirmières peuvent être confrontées en utilisant le Nutri-score pour la prévention ?

S. H. : La question la plus naturelle, ce sont les gens qui se demandent s’ils ne doivent manger que des produits classés A ou B, et aucun produit classé D ou E. Dans ce cas, il est important de leur dire que le Nutri-score permet surtout de favoriser l’alternative la mieux classée : un C est mieux qu’un D, qui est mieux qu’un E. Mais les produits classés D ou E ne sont pas interdits à la consommation : il faut simplement les consommer en petite quantité, ou pas trop fréquemment. Un autre point qu’il est important de souligner est que le Nutriscore ne renseigne que sur la composition nutritionnelle des aliments, pas sur d’autres composantes importantes : les additifs, l’ultra-transformation… C’est pourquoi il faut rappeler qu’en plus de choisir le produit qui a le meilleur Nutri-score, il faut aussi éviter ceux qui sont ultra-transformés, que l’on reconnaît assez facilement : ce sont ceux qui ont beaucoup d’ingrédients, que le consommateur n’a pas dans sa cuisine, et qui portent des noms chimiques qu’il ne connaît pas.

Certaines critiques portent sur le fait qu’une huile d’olive est mieux classée qu’un soda, alors qu’il est préférable de boire une bouteille du second que de la première…

S. H. : Oui, il faut bien rappeler qu’on n’hésite pas entre un soda et une bouteille d’huile d’olive. En revanche, si vous avez soif, vous pouvez choisir entre le soda classé E et l’eau classée A. Et si vous voulez faire une salade, vous voyez que l’huile d’olive est mieux classée que l’huile d’arachide, par exemple.

Le Nutri-score a eu beaucoup de détracteurs : leur opposition est-elle toujours aussi forte ?

S. H. : Il y a une évolution favorable. Sous la pression des consommateurs, de plus en plus d’industriels ont fini par l’adopter, même s’ils l’ont longtemps combattu. On avait zéro marque en 2014, six en 2017, et aujourd’hui il y a plus de 900 marques qui l’appliquent. Mais de grandes sociétés comme Mars, Lactalis ou Mondelez refusent toujours de l’afficher, et elles sont en situation d’agir au niveau européen, où l’on est en train de réfléchir à l’adoption du Nutriscore comme logo unique et obligatoire. D’autres lobbys se sont réveillés, comme celui du fromage, de la charcuterie… Il y a même un pays, l’Italie, qui se livre à une instrumentalisation du Nutri-score à des fins politiques, en tentant de faire croire que le fait que le salami ou le parmesan soient mal classés est le résultat d’un complot français ou européen. Mais le Nutri-score ne tient pas compte de l’origine des produits : l’algorithme n’est pas anti-italien, il ne fait que traduire la composition nutritionnelle déjà affichée sur les emballages.

Où en est la proposition d’ajouter une sixième lettre, un F noir pour l’alcool ?

S. H. : C’est une proposition que nous avions faite, car il n’est pas normal que les boissons alcoolisées échappent à l’information nutritionnelle : ce F noir permettrait d’alerter les consommateurs sur le fait que l’alcool n’est pas un produit à banaliser. Mais on ne le verra pas apparaître de sitôt, les lobbys sont extrêmement puissants dans le secteur de l’alcool. Ils parviennent à bloquer la simple information nutritionnelle sur le sucre, les apports caloriques… celle-ci sera bientôt disponible, mais via un code QR qu’il faudra scanner, et non directement sur la bouteille.

À quelle échéance peut-on prévoir l’obligation du Nutri-score ?

S. H. : Il était prévu que la Commission européenne choisisse le logo qui serait généralisé avant fin 2022, mais cela n’a pas été fait. On a ensuite parlé de la fin du premier trimestre 2023, mais ce n’est toujours pas fait. On entend aujourd’hui dans les couloirs que la décision serait reportée à l’après-2024, pour laisser passer les élections européennes. Ce qui est certain, c’est que les lobbys tentent de gagner du temps !

Savoir +

LE NUTRI-SCORE EN BREF

Lancé en 2017 en France, le Nutri-score est un logo apposé sur la face avant des emballages des produits alimentaires qui informe sur leur qualité nutritionnelle. Une échelle de cinq grades associe une lettre, de A à E, à un fond de couleur, du vert foncé à l’orange foncé. Le calcul est établi sur 100 gr ou 100 ml de produit et reflète la teneur des produits en nutriments à favoriser et en nutriments à éviter.

Le droit des entreprises productrices à utiliser le Nutri-score est délivré gratuitement.

Son recours est recommandé dans plusieurs pays : la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et le Luxembourg.

Plus d’informations sur le site www.santepubliquefrance.fr