L'infirmière n° 033 du 01/06/2023

 

TENDANCE

JE DÉCRYPTE

FORMATION

Adrien Renaud  

Une récente étude de la Drees a montré un fort accroissement de la proportion d’étudiant(e)s en soins infirmiers qui arrêtent leur cursus avant d’être diplômé(e)s. Une tendance qui inquiète les étudiants, mais que les formateurs cherchent à relativiser.

Ce n’est pas parce qu’on s’attend à une mauvaise nouvelle qu’elle est facile à accepter : alors qu’on savait depuis longtemps que les étudiant(e)s en soins infirmiers étaient plus enclin(e)s que par le passé à abandonner en cours de formation, ce phénomène a été chiffré par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et de la statistique du ministère de la Santé(Drees)dans une publication de mai. Les résultats sont loin d’être positifs, mais il est possible de voir les choses de manière positive : étant donné qu’on ne peut modifier que ce que l’on connaît, les autorités sanitaires disposent d’un diagnostic clair, et ont désormais toutes les cartes en main pour agir.

En premier lieu, il s’agit de poser le diagnostic. La Drees commence par noter une forte augmentation du nombre d’inscrit(e)s en première année : 35 355 en 2021, contre 30 609 en 2011. Derrière ce gonflement des effectifs se cache néanmoins une autre réalité. Car si, pour cette même année 2021, on s’intéresse non pas aux inscrit(e)s en première année, mais aux diplômé(e)s, on note un phénomène d’évaporation qui est loin d’être anecdotique : les diplômé(e)s de 2021 étaient 24 557, alors que l’effectif de la promotion 2018 dont ils/ elles sont issu(e)s était de 30 182. En d’autres termes, seulement 81 % de celles et ceux qui ont entamé leurs études en 2018 ont été diplômé(e)s en 2021. Et cette déperdition ne s’explique que faiblement par l’échec aux examens : 86 % des effectifs de 2018 se sont présentés au diplôme en 2021.

L’ÉVOLUTION PLUS QUE L’ÉTAT DES LIEUX

Le plus impressionnant, dans les chiffres de la Drees, est peut-être davantage dans le film des tendances que dans la photographie de la situation. En effet, les 14 % d’abandon dans le courant de la scolarité pour la promotion 2018 représentent une augmentation de trois points par rapport à 2011. Pire encore : si l’on considère les trois dernières années, les abandons en première année ont grimpé de 52 % pour la promotion 2019(la « promotion Covid »)et de 18 % pour la promotion 2020. Le taux d’abandon en première année, qui était de 3,5 % en moyenne sur la période 2011-2013, s’établit ainsi en 2021 à 10 %, soit un quasi-triplement.

L’étude de la Drees met par ailleurs en lumière quelques disparités intéressantes. Les hommes sont ainsi plus enclins à quitter la formation infirmière que les femmes : 19 % des membres masculins de la promotion 2018 ne sont pas allés au bout du cursus, contre 13 % de ses membres féminins. Il existe par ailleurs de grandes différences entre les régions : le taux d’abandon pour la promotion 2018 varie de 8 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur à 19 % en Normandie. La région Pays de la Loire, où le taux d’abandon 2018 s’établit à 18 %, est celle où cet indicateur a le plus progressé : + 7,3 points par rapport à 2011. Par contraste, il n’a augmenté que de 0,4 point en Bourgogne-Franche-Comté et de 0,6 point en Bretagne.

LA FAUTE AUX CONDITIONS D’ACCUEIL ?

« Ce sont des chiffres auxquels on s’attendait, commente Manon Morel, présidente de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières(Fnesi). Les conditions ne s’améliorant pas, les chiffres ne peuvent que suivre. » La représentante des étudiants pointe notamment « les conditions d’accueil en stage, qui sont en déperdition ». « Les étudiants qui arrêtent nous disent qu’ils sont harcelés sur les terrains de stage, qu’ils n’ont pas les moyens de se déplacer pour aller en stage, ou tout simplement de subvenir à leurs besoins », alerte-t-elle. Elle pointe également « un manque réel d’orientation dans les lycées », qui se ferait ressentir une fois sur le terrain.

Du côté des formateurs, on cherche cependant à relativiser l’ampleur du phénomène. « Nous avons également fait une enquête, et nos chiffres sont très approchants de ceux de la Drees, donc ce n’est pas une surprise, commente Michèle Appelshaeuser, présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres(Cefiec). Mais on remarque qu’ils restent très en deçà des taux d’abandon des autres formations en licence [voir encadré, NdlR]. » « Il ne faut pas faire une lecture trop hâtive des chiffres, ajoute Isabelle Bayle, vice-présidente du Cefiec. On a des jeunes qui suspendent leur formation, et qui reviennent un ou deux ans après. » Plutôt que de mettre en question les conditions d’accueil dans les Ifsi, les formatrices préfèrent pointer l’orientation. « Il y a une certaine méconnaissance du niveau d’exigence de nos formations de la part de certains professeurs de lycée qui orientent les élèves vers nous, pointe Michèle Appelshaeuser. De manière générale, les élèves et la société se font une représentation erronée de la réalité du métier d’infirmière, ce qui entraîne une certaine inadéquation quand les élèves arrivent en première année. »

PRENDRE LA MESURE DU PROBLÈME

La grande question, bien sûr, est de savoir si les autorités ont pris la mesure de ce qu’il se passe dans les Ifsi. En lançant les travaux de refondation du métier infirmier le 3 mai, lors de la clôture de la réunion plénière du Conseil national de la refondation (CNR)santé, François Braun a semblé donner des signes en ce sens. Le ministre de la Santé a retenu la formation comme l’un des trois axes de cette refondation. « La lutte contre le décrochage et la sécurisation des parcours individuels, de la sélection à l’intégration professionnelle, est érigée en priorité pour que tous les étudiants qui ont choisi ce métier l’exercent », peut-on ainsi lire dans le communiqué diffusé à la suite de cette réunion. Le même communiqué annonce par ailleurs « un plan d’action global autour de la politique de stage », ou encore « le déploiement du mentorat comme levier professionnel d’émancipation de tous les jeunes ».

Ce dernier point semble recueillir l’assentiment des étudiants. « C’est un point que nous portons depuis longtemps », indique Manon Morel. Mais pour le reste, la présidente de la Fnesi attend de voir. « Ce qui a été annoncé, ce sont surtout de grandes lignes directrices qui n’apportent pas beaucoup de concret, nous verrons bien ce qui se met réellement en place », avertit-elle. Au Cefiec en revanche, on semble beaucoup compter sur la refonte annoncée par le ministre. « Notre référentiel date de 2009, ce qui est un peu ancien, pointe Michèle Appelshaeuser. Le système de santé évolue, et il nous semble notamment important de se repencher sur les attendus des nouvelles générations d’étudiants, de savoir comment ils se positionnent. » Il n’y a plus qu’à refonder, en quelque sorte…

Et dans les autres disciplines ?

Le taux d’abandon de 14 % observé pour les formations infirmières a beau être inquiétant, il peut être relativisé quand on le compare à ce qu’il se passe dans d’autres disciplines. D’après des chiffres publiés par le ministère de l’Enseignement supérieur fin 2022, le taux de réussite en trois ou quatre ans pour les bacheliers 2017 inscrits en licence était en 2021 de 46 %. Certes, ces formations non sélectives sont difficilement comparables aux études infirmières, mais on observe également, cette fois-ci d’après les chiffres de la Drees, des taux d’abandon significatifs dans certaines formations à d’autres professions paramédicales : 9,5 % en première année en école d’aide-soignante, 9,2 % chez les manipulateurs en électroradiologie, et même 19 % chez les techniciennes de laboratoire.