LES POINTS CLÉS POUR LIRE UN ARTICLE SCIENTIFIQUE
JE RECHERCHE
MÉTHODOLOGIE
DAVID NAUDIN* MADELEINE COLLOMBIER**
*Adjoint au directeur de l’Institut de formation des cadres de santé de l’AP-HP
**coordonnateur du pôle de la Recherche paramédicale en pédagogie du CFDC, PhD en sciences de l’éducation
***chercheur associé au Laboratoire éducations et promotion en santé (ER 3412), université Sorbonne Paris Nord
****Formatrice en charge de l’UE recherche, Institut de formation des cadres de santé de l’AP-HP
Savoir lire un article scientifique et en critiquer la pertinence est une compétence essentielle, non seulement pour les professionnels engagés dans la recherche, mais plus largement pour ceux qui souhaitent adosser leurs pratiques à des données probantes issues de la littérature scientifique. L’objectif de notre propos ici est donc d’exposer les points essentiels à analyser pour évaluer les qualités d’un article scientifique et en avoir une lecture critique.
À l’heure de l’universitarisation des formations de santé, la recherche paramédicale n’a cessé de progresser. C’est un enjeu fort pour nos formations en santé que d’aller vers cette reconnaissance d’une production de savoir disciplinaire. Les sciences infirmières n’en font pas l’économie.
La lecture critique d’articles scientifiques constitue une étape essentielle dans un processus de recherche car elle permet aux chercheurs de comprendre le contexte et les travaux antérieurs, de définir les objectifs et les questions de recherche, d’utiliser les méthodes les plus appropriées et de contribuer à l’avancée des connaissances dans leur domaine. Cette étape est aussi importante pour le professionnel ou les équipes de professionnels qui souhaitent faire évoluer leurs pratiques à partir de données probantes(1). Dans un contexte changeant de plus en plus vite, la compétence d’analyse critique d’un article est devenue essentielle. Elle permet ainsi à l’infirmière de comprendre les dernières découvertes et les méthodes de recherche dans son champ d’exercice et de mettre à jour ses connaissances afin de s’assurer qu’elle utilise les meilleures pratiques pour prendre soin de ses patients. La maîtrise de l’analyse critique d’un article scientifique lui permet aussi d’évaluer la qualité de la recherche, d’identifier les limites et les biais potentiels, et de déterminer si les résultats peuvent être appliqués à sa propre pratique, s’ils peuvent être utilisés pour améliorer les soins qu’elle prodigue, ou non.
La plupart des articles scientifiques utilisent la méthode Imrad. Cet acronyme permet la structuration du plan d’un article scientifique traditionnel en différentes sections : Introduction, Méthodes, Résultats, Analyse et Discussion (voir encadré cicontre). Chacune des parties fera l’objet d’attendus en termes de contenu, ce qui permettra d’évaluer la qualité de l’article dans sa globalité.
Avant d’explorer les différentes parties structurantes d’un article, il est important de s’intéresser à la revue dans laquelle l’article est publié. L’I mpact Factor (facteur d’impact) est un indicateur de la fréquence à laquelle les articles d’une revue sont cités par les chercheurs dans d’autres publications. Plus l’Impact Factor est élevé, plus la revue est considérée comme prestigieuse. Les revues avec un comité de rédaction composé de chercheurs réputés sont généralement considérées comme plus fiables. Il est indexé dans le Journal Citation Reports, publié chaque année.
L’introduction d’un article scientifique est une partie centrale car elle va permettre de justifier la robustesse de la question de recherche. L’introduction est rédigée de manière claire et concise pour permettre au lecteur de comprendre rapidement l’objectif et la portée de l’étude. Cette partie est construite logiquement et inclut généralement les éléments suivants :
La présentation du contexte et du thème de la recherche montre combien le thème est important et en quoi le sujet de recherche est essentiel pour la communauté. Par exemple, dans une recherche concernant les maladies chroniques, les accroches sont souvent orientées dans le sens des données liées à la morbi-mortalité de ces pathologies pour montrer au lecteur que le sujet est important sur le plan des conséquences pour les patients, les familles mais aussi pour la société. Dans cette perspective, les auteurs vont alors citer les surcoûts induits par les hospitalisations répétées qui auraient pu être prévenues. La plupart du temps cette sous-partie comporte une mise en tension via un étonnement repérable par des mots de liaison (alors que, malgré le fait que, bien que, etc.), par exemple : « malgré les bénéfices des programmes d’éducation thérapeutique des patients, un patient sur deux est, selon l’OMS, non observant ».
La seconde étape de l’introduction concerne la problématique de recherche : il s’agit d’un questionnement via une ou plusieurs interrogations qui permettent de délimiter le sujet de l’étude. Cette étape nécessite pour les auteurs d’avoir réalisé une soigneuse revue de littérature, essentielle pour la recherche car elle permet de comprendre les travaux antérieurs dans un domaine donné, d’en connaître les idées principales, les méthodes, les résultats et les limites. Cela aide également les chercheurs à identifier les lacunes dans les connaissances existantes et à élaborer des questions pertinentes. Enfin, la revue de littérature permet aux auteurs de situer leur propre travail dans le contexte plus large de la recherche dans un domaine, en montrant comment leurs investigations sont liées aux travaux antérieurs et en justifiant les contributions uniques de leur propre travail. Dans notre exemple, les auteurs vont alors étudier la littérature sur la nonobservance dans le cadre des maladies chroniques et construire une problématique avec un ensemble de questions auxquelles la littérature va répondre, comme les raisons de la non-observance de patients. Parmi ces raisons, la motivation à prendre soin de soi est l’une des questions les plus complexes. Les auteurs vont creuser spécifiquement cette partie pour aboutir peut-être au constat que les processus de décision ne sont pas totalement élucidés sur le plan des stratégies élaborées par les patients pour prendre soin de soi. C’est ici un manque de la littérature qui amènera l’équipe de chercheurs à travailler sur ces stratégies d’action mises en place par les patients atteints d’un diabète. La problématique peut contenir ce que nous appelons le cadre conceptuel : les concepts clés et les théories reliées à la recherche. Dans notre exemple, les auteurs vont devoir définir le concept de motivation, mais aussi de stratégies d’action et les processus de décision.
Cette problématique amène donc naturellement les objectifs de l’étude : ceux précisément que l’étude vise à atteindre. Si la problématique est bien élaborée, les objectifs vont paraître évidents. Dans notre exemple, puisque la littérature scientifique ne parle pas de stratégies, les auteurs vont proposer de les étudier pour mieux les caractériser et les comprendre.
Les hypothèses : les hypothèses sur lesquelles l’étude est basée peuvent être élaborées mais ne sont pas toujours présentes. Dans les études quantitatives, il s’agit d’effectuer des mesures. Les hypothèses seront systématiquement présentes pour vérifier une relation causale entre des variables ou encore pour montrer l’efficacité d’un traitement ou une intervention A par rapport à un traitement ou une intervention B. La question de recherche soutient donc l’hypothèse d’une supériorité d’un traitement par rapport à l’autre. Les hypothèses de recherche ne sont pas nécessaires dans toutes les études qualitatives. Les études qualitatives se concentrent généralement sur la compréhension des expériences et des perspectives des individus, plutôt que sur la vérification de relations causales précises entre des variables spécifiques. Les hypothèses peuvent être utilisées pour orienter une recherche, mais elles ne sont pas nécessaires pour mener une étude qualitative efficace. En outre, les hypothèses peuvent limiter la capacité d’une étude qualitative à explorer des idées inattendues ou des thèmes qui émergent au cours de la recherche. Les études qualitatives sont souvent plus flexibles et exploratoires que les études quantitatives, et les hypothèses peuvent restreindre cette flexibilité. Néanmoins, elles peuvent être utiles pour des études qualitatives qui cherchent à vérifier des idées préexistantes ou à explorer des relations causales spécifiques.
L’utilité sociale de la recherche est un point souvent oublié, mais ce petit paragraphe permet aux auteurs d’expliquer en quoi l’étude va être contributive pour résoudre un problème et améliorer une situation, une prise en charge, transformer des pratiques et améliorer la santé des patients… en d’autres termes, quels seront les bénéfices à effectuer cette recherche et à qui cela profitera-t-il ?
La section Méthode doit être suffisamment détaillée pour permettre à d’autres chercheurs de reproduire les expériences, et doit être suffisamment claire pour permettre aux lecteurs de comprendre les méthodes utilisées dans l’étude. Cette partie doit inclure les informations suivantes :
La description de la population ou des sujets doit être précise et comporte des caractéristiques démographiques et les critères d’inclusion/exclusion des participants de l’étude. Une population d’étude est la population cible que l’on souhaite étudier, et dont les résultats peuvent être généralisés à cette population. La population d’étude est une condition essentielle pour la validité de l’étude.
Un critère d’inclusion est un critère utilisé pour décider si un individu ou un échantillon répond aux critères pour être inclus dans une étude. Ces critères peuvent inclure des caractéristiques démographiques, des diagnostics médicaux, des antécédents de traitement ou d’autres facteurs pertinents pour l’étude. Les critères d’inclusion sont utilisés pour s’assurer que les participants de l’étude sont adéquats pour répondre aux objectifs de l’étude.
Les instruments de mesure doivent être explicités, ils comportent les outils et les méthodes utilisés pour mesurer les variables de l’étude et récolter les données, y compris les questionnaires, les tests, les entretiens, les examens physiques, les observations, etc. Les protocoles expérimentaux seront décrits, les détails des procédures expérimentales, y compris les matériels, les paramètres et les manipulations utilisés. Cette partie détaille aussi les modalités de réalisation de l’étude (comment ont été utilisés les outils d’enquête, la durée de l’étude).
Les procédures d’analyse doivent décrire les méthodes statistiques utilisées pour analyser les données qu’elles soient qualitatives ou quantitatives, y compris les tests statistiques, les modèles de régression, les analyses factorielles, etc.
Les procédures éthiques seront précisées pour protéger les sujets de l’étude, y compris les approbations éthiques, les consentements éclairés, les protocoles de confidentialité, etc.
Les erreurs fréquentes concernent le manque de détails pouvant garantir la qualité des méthodes et donc garantir la réplication de l’étude ou son transfert dans un autre domaine.
Cette partie doit comporter une description détaillée des résultats obtenus lors de l’étude. Il est important qu’ils soient présentés de manière claire et concise, et accompagnés de figures et de tableaux appropriés pour une meilleure compréhension. Les résultats comportent la description des participants notamment les caractéristiques démographiques et les caractéristiques de base des participants de l’étude, y compris leur âge, leur sexe, leur race/ethnicité, etc. Les résultats quantitatifs de l’étude doivent être présentés sous forme de chiffres et de statistiques, accompagnés de tableaux et de figures pour une meilleure compréhension. Les résultats qualitatifs sont souvent présentés sous forme de verbatims : ce sont des citations, entre guillemets pour les distinguer des autres phrases. Les verbatims sont catégorisés selon les thèmes ou les sous-thèmes qui ont émergé lors de l’analyse des données.
La section Discussion d’un article scientifique est l’endroit où les auteurs interprètent les résultats de leur étude et les mettent en contexte avec les connaissances existantes dans le domaine. L’erreur fréquente est de répéter les résultats. Il est important de présenter une discussion claire et concise. Cette partie permet de parler des implications de l’étude pour les pratiques professionnelles, la politique ou la société en général. Elle est aussi l’occasion de discuter des limites de l’étude et d’expliquer comment celles-ci ont pu affecter les résultats obtenus. Les limites de l’étude doivent être évoquées honnêtement pour montrer leur impact sur les résultats : cela comprend les biais potentiels, les incertitudes et les limites de généralisation des résultats.
La discussion permet de formuler des suggestions et d’envisager des opportunités pour des recherches futures, mais aussi de suggérer des pistes pour continuer à explorer le sujet étudié. Cette partie peut contenir une conclusion, qui ne doit pas être un résumé des principaux résultats mais une projection pour la recherche future.
1. Les Anglo-Saxons appellent cela “l’Evidence-Based practice” , en français, les pratiques basées sur des données probantes et scientifiques.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt
COORDINATION : CORALIE GAVET
Responsable pédagogique
EN PARTENARIAT AVEC LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE
• Introduction : dans cette section, l’auteur présente le contexte de recherche, le problème scientifique étudié et les questions de recherche. Il donne également un aperçu des travaux antérieurs pertinents par une analyse exhaustive de la littérature.
• Méthodes : dans cette section, l’auteur décrit les protocoles et les techniques utilisés pour mener l’étude, ainsi que les critères d’inclusion et d’exclusion utilisés pour sélectionner les sujets de l’étude, le nombre de sujets inclus. Les outils employés pour recueillir les données et les méthodes d’analyse des données.
• Résultats et Analyse : dans cette section, l’auteur expose les résultats de l’étude sous forme de tableaux et de figures. Il doit être clair et concis, présenter les données brutes et les statistiques utilisées pour les analyser.
• Discussion : dans cette section, l’auteur interprète les résultats de l’étude et les met en perspective avec les travaux antérieurs. Il discute également des implications de l’étude pour la pratique clinique ou la recherche future.
QUELQUES CRITÈRES POUR ÉVALUER LA QUALITÉ D’UN ARTICLE SCIENTIFIQUE
• La pertinence : l’article doit être pertinent pour le domaine de la recherche, répondre à une question ou à un problème important, et pour les lecteurs.
• L’originalité : l’article présente-t-il une idée ou une méthode nouvelle et opportune pour le domaine de recherche ? La revue de la littérature est appropriée et en lien avec la question de recherche.
• La clarté des objectifs : les objectifs de la recherche sont clairement énoncés et s’il y a lieu les hypothèses de recherche sont cohérentes.
• La validité de la méthode : la méthode utilisée est-elle adéquate pour répondre aux questions de recherche et est-elle bien décrite ? L’article doit utiliser des méthodes scientifiques appropriées pour répondre aux questions de recherche et doit être suffisamment détaillé pour permettre à d’autres chercheurs de reproduire les expériences.
• La qualité des données et des résultats : les résultats présentés sont-ils clairs, pertinents, suffisamment détaillés et en lien avec la méthode décrite ? Les résultats sont-ils présentés de manière objective et non biaisée ? La qualité des données est-elle démontrée données présentées dans l’article doivent être fiables et valides, et doivent être suffisamment détaillées pour permettre une analyse et une interprétation adéquates.
• L’interprétation des résultats : les conclusions tirées des résultats sont-elles logiques et bien étayées ? Les auteurs ont-ils pris en compte les limites de leur étude ?
• L’utilité : l’article est-il utile pour les chercheurs et les praticiens dans le domaine de recherche ?