L'infirmière n° 034 du 01/07/2023

 

ÉTUDE

JE DÉCRYPTE

SANTÉ AU TRAVAIL

Adrien Renaud  

Une étude publiée au mois de juin confirme ce dont on se doutait fortement : les travailleurs hospitaliers souffrent davantage que les autres de dépression et d’anxiété. Mais ce n’est pas une fatalité.

L’hôpital rendrait-il malade ? Ce paradoxe, bien connu au moins depuis le xixe siècle et la mise au jour par le médecin hongrois Ignace Semmelweis des mécanismes qui favorisent la transmission des infections nosocomiales, ne concerne pas que les patients : les soignants en sont également victimes. Pour preuve, l’étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et de la statistique (Drees) du ministère de la Santé parue au mois de juin dernier(1), qui montre que les conditions de travail à l’hôpital favorisent, plus que dans les autres milieux professionnels, la dépression et l’anxiété. La première originalité de cette étude porte sur les données sur lesquelles elle se fonde : il s’agit de l’enquête EpiCov (voir encadré « Savoir+ »), menée par l’Inserm, la Drees et Santé publique France depuis le début de la crise sanitaire en 2020 afin d’analyser les répercussions de celle-ci sur les conditions de vie de la population. Le troisième volet d’EpiCov, qui sert de base à l’étude de la Drees, a été mené à l’été 2021 auprès de 85 000 personnes, dont 2 900 salariés du secteur hospitalier. Des échantillons de grande taille, donc, qui permettent de faire des comparaisons robustes. Comparaisons qui, il faut bien le constater, tournent rarement à l’avantage des hospitaliers. « Au cours de l’été 2021, le personnel hospitalier déclare plus souvent que les autres personnes en emploi des symptômes de dépression et d’anxiété, et exprime davantage le besoin de consulter des professionnels de santé pour des difficultés psychologiques », écrit ainsi l’autrice, Camille Parent (Drees) dès l’introduction.

C’est ainsi que 38 % des personnes travaillant en établissement sanitaire ont des symptômes de dépression légère à modérée, contre 30 % pour l’ensemble des personnes en emploi, rapporte la Drees. De même, les symptômes d’anxiété légère à modérée sont plus fréquents à l’hôpital (28 %) que dans la population générale (22 %).

MOINS DE SOMMEIL, PLUS DE MÉDICAMENTS

Parmi les symptômes pour lesquels la différence est la plus marquée, l’étude identifie la fatigue (71 % des hospitaliers se sentent régulièrement fatigués ou manquent d’énergie au cours des 15 derniers jours, contre 61 % pour l’ensemble des travailleurs). Cependant, il convient de noter que quand on considère les symptômes sévères de dépression ou d’anxiété, la différence s’estompe : la proportion de travailleurs rapportant de tels symptômes tourne autour de 3 %, que l’on travaille à l’hôpital ou non. Autre fait marquant : « Les personnes travaillant à l’hôpital déclarent davantage que l’ensemble des personnes en emploi avoir besoin d’aide pour des difficultés psychologiques (26 % contre 19 %) », écrit l’autrice. Elles sont également plus nombreuses à franchir le pas et à recourir aux services d’un psychologue : 11 % ont consulté un professionnel pour la première fois entre mars 2020 et l’été 2021, contre 7 % chez les autres travailleurs. Les hospitaliers consomment également davantage de médicaments en lien avec la dépression, le sommeil ou l’anxiété : 10 %, contre 8 % dans la population active.

Reste à savoir précisément ce qui, dans le travail hospitalier, favorise la dépression et l’anxiété. Parmi les facteurs sur lesquels les participants à l’enquête EpiCov ont été interrogés, l’étude identifie les difficultés à concilier vie professionnelle et vie personnelle, les incitations à ne pas prendre ou à repousser un congé maladie, ou encore les surcharges inhabituelles de travail… L’hôpital n’est toutefois pas intrinsèquement générateur d’anxiété ou de dépression : si l’on compare les réponses des hospitaliers à celles de travailleurs employés dans des secteurs où les niveaux de stress, de surcharge de travail, etc., sont équivalents, on se rend compte que la forte prévalence des symptômes disparaît.

MOINS D’ÉTUDES, PLUS D’ACTION

Il en faudrait cependant plus pour rassurer ceux qui œuvrent quotidiennement à la prise en charge psychologique des soignants. « J’en ai un peu assez des études qui confirment ce que l’on sait déjà, il y a déjà beaucoup de données pour montrer la dégradation de la santé mentale des soignants, et la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver le phénomène », soupire Catherine Cornibert, directrice générale de l’association Soins aux professionnels de santé (SPS). « On voit bien que depuis le Covid, il y a une espèce de découragement chez les soignants qui ont tout donné pour affronter cette épidémie, à qui on a promis un monde meilleur qui n’est jamais venu », abonde Véronique Lefebvre des Noëttes, psychiatre à l’hôpital Émile-Roux de Limeil-Brévannes (Val-de-Marne, AP-HP) et coautrice d’un livre sur le sujet(2).

Pour ces deux observatrices, le responsable de cette situation est tout trouvé. « On sait que le management est une grande source de mal-être, de burn-out et d’épuisement », accuse Catherine Cornibert. « Jusqu’à quand va-t-on rappeler les gens sur leurs jours de repos, leur faire faire du reporting, de l’incrémentation de logiciel, plutôt que du soin, des gestes ? », demande Véronique Lefebvre des Noëttes. Mais ce pessimisme ne les empêche pas de proposer des solutions, que ce soit pour la prise en charge immédiate des soignants ou pour la prévention du phénomène.

ÊTRE À L’ÉCOUTE DE CE QU’ON RESSENT

À court terme, tout d’abord, les soignants qui se sentent impactés par la difficulté des conditions de travail à l’hôpital doivent « être à l’écoute de ce qu’ils ressentent, sinon ils risquent le burn-out », avertit Véronique Lefebvre des Noëttes. Celle-ci précise qu’il existe des échelles d’autoévaluation, notamment l’échelle MBI (pour Maslach Burnout Inventory) ou l’échelle CBI (pour Copenhagen Burnout Inventory), qui permettent assez rapidement de faire le point sur sa propre situation. Mais bien sûr, la solution ne consiste pas à rester seul dans son coin. « Il ne faut pas hésiter à aller voir sa cadre, sa direction des ressources humaines, la médecine du travail pour demander un aménagement », conseille-t-elle. Et surtout, il faut pouvoir considérer l’arrêt de travail, même de longue durée. « Il ne faut pas continuer à aller au travail la boule au ventre », rappelle-t-elle.

Même ordonnance du côté de Catherine Cornibert. « Il faut que les établissements réussissent à ménager des bulles, des groupes de parole, juste pour que les soignants puissent se rendre compte qu’ils ne mangent plus comme il faut, qu’ils ne font plus d’activité physique, et que ce n’est pas normal, suggère-t-elle. Il est temps d’agir de façon collective, et en y mettant les moyens. »

Mais il existe aussi des actions à entreprendre à plus long terme, et à un niveau plus collectif. Catherine Cornibert insiste ainsi sur le volet formation. « Il faut former les soignants au-delà de leur métier d’acteur de soins, insiste la responsable associative. Il faut des formations au management, des formations pour la gestion d’un patient qui est agressif parce qu’il n’a pas pu être bien soigné, etc. » Il faut également une revalorisation « financière et managériale » des soignants, ajoute-t-elle… Un point qui, force est de le reconnaître, pourrait prendre un peu de temps.

Note

1. Drees, À l’hôpital, une prévalence accrue de la dépression et de l’anxiété liée aux conditions de travail, Études et résultats n°1270, juin 2023.

2. Lefebvre des Noëttes V., Marc B., Marc G., Soigner les soignants. Les soignants à l’épreuve de la crise hospitalière et sanitaire, MA éditions, 2021.

Savoir +

L’ENQUÊTE EPICOV

L’enquête EpiCov, Épidémiologie et Conditions de vie sous le Covid-19, a été menée entre mai 2020 et fin décembre 2022, par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère des Solidarités et de la Santé, avec le soutien de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et de Santé publique France. Elle regroupe quatre volets.

Des informations sont disponibles sur le site dédié www.epicov.fr et une page lui est consacrée pour davantage de détails sur le site de la Drees, accessible par ce lien court : https://urlz.fr/goVi.