L'infirmière n° 034 du 01/07/2023

 

ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DES PATIENTS

JE RECHERCHE

PARCOURS

Marie-Capucine Diss  

Les recherches de Sophie Fontaine et Laure Gautier sont nées d’une envie de bâtir un programme d’éducation thérapeutique pour les patients épileptiques suivis au service d’explorations fonctionnelles du centre hospitalier universitaire de Caen. Un long travail qui vient d’aboutir sur une publication scientifique.

Elles fonctionnent en duo. Laure Gautier et Sophie Fontaine ont dix ans d’écart et partagent le même goût pour les soins techniques. Arrivées à un mois d’intervalle dans le service d’explorations fonctionnelles neurologiques du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen, elles se reconnaissent rapidement. « Dès le début, nous nous sommes aperçues que nous arrivions à nous comprendre sans nous parler », décrit Laure Gautier. « Heureusement qu’il y a cette alchimie entre nous, complète sa cadette. Par rapport à tous les murs qu’il nous a fallu franchir, si nous n’avions pas été aussi complices, cela aurait pu ne jamais aboutir, nous aurions été en conflit. » Les infirmières, techniciennes en électrophysiologie, réalisent les examens indispensables au suivi de l’épilepsie, ensuite interprétés par les médecins du service. Elles se rendent compte que les patients ont beaucoup de questions à leur poser lors des électro encéphalogrammes. Ils manquent souvent de connaissances sur leur maladie et ce qu’elle implique dans leur vie quotidienne.

UN PROGRAMME D’ETP MONTÉ DE TOUTES PIÈCES

Les deux professionnelles se rendent ensemble à une formation régionale où une équipe présente un programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP) réalisé à destination des patients épileptiques. De retour dans leur établissement, elles parlent à leurs médecins de leur envie de monter un projet similaire. Neuropédiatre, Anne-Sophie Diependaele dispose du diplôme universitaire (DU) en ETP, indispensable pour élaborer un programme dans un établissement. Françoise Bertran, neurologue spécialisée en épilepsie, les soutient également dans leur projet. Les infirmières suivent la formation de 40 heures nécessaire pour monter un programme d’éducation thérapeutique. Peu de matériel est alors disponible sur le sujet. Le duo crée de toutes pièces des outils pédagogiques, des jeux et élabore la progression de son programme, dans un va-etvient avec les médecins, qui leur transmettent les informations théoriques validées. Les infirmières utilisent leur complémentarité. Sophie est très rigoureuse et ne laisse rien passer. Laure, également cartésienne, se laisse plus porter par sa créativité. En outre, elle a rencontré durant sa jeunesse les obstacles que rencontre une élève dyslexique et dysorthographique : « J’arrive à comprendre les gens qui sont en difficulté. Pour l’élaboration du programme d’ETP, j’étais toujours à dire “Attention, là, ça ne va pas passer, c’est trop compliqué”. Il fallait formuler les choses de la manière la plus simple possible. »

Les infirmières réalisent une étude prospective en questionnant les patients du service, qui montrent un réel intérêt pour l’éducation thérapeutique. Le projet mûrit avant de connaître un coup d’arrêt. Il ressort du placard quand une nouvelle cadre arrive dans le service. Pour s’imposer, le programme d’ETP pourrait d’abord prendre la forme d’un projet de recherche. Une occasion se présente rapidement. En 2015, le CHU de Caen ouvre son appel à projets de recherche interne aux paramédicaux. Avec les deux médecins qui les accompagnent, les infirmières se rendent à une réunion avec Sonia Guillouët, coordinatrice de la recherche paramédicale du CHU. En découvrant toutes les démarches à réaliser pour développer un projet de recherche, les forces leur manquent. « Nous qui sommes d’habitude bavardes, nous sommes restées silencieuses sur notre chaise en entendant parler de toutes ces nouvelles notions, raconte Sophie Fontaine.

On s’est dit que notre projet allait de nouveau retrouver le placard. » Qu’à cela ne tienne. Les deux médecins réunissent une première bibliographie et cherchent un axe de recherche. L’impact sur la qualité de vie pourrait être un indicateur intéressant pour évaluer un programme d’ETP. Quelque temps plus tard, la cadre du service rencontre le duo et revient à la charge. Provocation calculée de sa part ? Elle laisse entendre aux infirmières qu’elles ont peur de se lancer, ce qu’il ne fallait pas leur dire. Le défi sera relevé. Les apprenties chercheuses ont deux mois et demi pour rédiger leur projet. « Nous avons demandé à la coordinatrice de nous indiquer point par point ce qu’il fallait faire, s’amuse Sophie Fontaine. Nous avons l’habitude de suivre des thérapeutiques et des protocoles. » « Il nous fallait une liste de choses à faire, à cocher », renchérit Laure Gautier dans un sourire.

DÉBUTS DANS LA RECHERCHE

Le nombre de personnes pouvant être incluses dans l’étude est envisagé. Françoise Bertran aide à la présélection des patients et propose des dossiers aux infirmières. Une médecin, d’une autre unité de neurologie, ouvre également sa patientèle à leur projet de recherche. Sonia Guillouët et les autres membres de la délégation à la recherche clinique et à l’innovation (DRCI) de l’établissement aident les deux investigatrices à élaborer leur méthodologie. L’objectif principal de l’étude est d’évaluer l’impact que peut avoir une action éducative sur la qualité de vie de patients épileptiques. Pourront y participer des personnes à l’épilepsie stabilisée et dont le diagnostic remonte à plus de six mois, afin d’éviter que le choc émotionnel causé par ce dernier ait une incidence sur leur qualité de vie. Deux groupes seront constitués par randomisation. Le groupe expérimental suivra six séances d’éducation thérapeutique, baptisée pour l’occasion action éducative, en l’absence d’un accord donné par l’agence régionale de santé (ARS). Les patients du groupe témoin, au suivi classique, pourront, s’ils le souhaitent, rejoindre le même programme d’ETP, une fois les inclusions achevées. Afin de permettre à un plus grand nombre de patients de participer à l’étude, il est prévu de tenir des ateliers en soirée. Les personnes qui travaillent ou qui dépendent de proches pouvant les transporter ne peuvent pas se rendre en journée au CHU. Les infirmières se partagent le travail et prennent leurs vacances en décalé. Elles se relaient pour rédiger leur projet de recherche, qui peut être rendu dans les temps, à la mi-septembre. En novembre 2015, elles ont la bonne surprise d’apprendre qu’EQOLE (Education Quality Of Life Epilepsy) est retenu, avec un très bon classement. 24 000 euros sont mis à disposition. Des heures supplémentaires pourront ainsi être dégagées pour la réalisation des ateliers.

ENQUÊTE RONDEMENT MENÉE

Les infirmières poursuivent l’élaboration de leur programme d’ETP, qui se décline en trois modules : les mécanismes de la maladie et de ses crises, les traitements et le suivi de l’épilepsie, la maladie au quotidien. Après obtention de l’avis favorable auprès du Comité de protection des personnes (CPP), il est temps à l’automne 2016 de démarrer les recrutements de patients. À partir de 1 200 dossiers consultés, 400 courriers d’information sont envoyés aux patients entrant dans les critères d’éligibilité. Les personnes prêtes à participer à l’étude y sont intégrées lors de leur consultation auprès de la neurologue. Elles remplissent une première fois le questionnaire choisi pour évaluer leur qualité de vie, le QOLIE-31, une échelle anglaise (voir encadré). Six mois plus tard, elles font une nouvelle autoévaluation. Un long travail de recueil de données commence pour les investigatrices. « Nous avons fait en sorte de recueillir le jour même les données, afin de nous assurer que tout était complet », précise Sophie Fontaine. À plusieurs reprises, il est nécessaire de rappeler un patient pour lui demander de renseigner un item manquant. Un questionnaire qui n’est pas rempli intégralement devient inutilisable pour l’étude. Six mois plus tard, lors d’une consultation de suivi, les patients remplissent à nouveau le questionnaire. Les inclusions se déroulent sur près de deux ans, avec la tenue de quarante ateliers. Les deux infirmières réalisent ce qui a motivé leur projet de recherche. La dynamique de groupe fonctionne. Les échanges entre patients sont fructueux. Ils comparent leurs expériences, partagent leurs « ficelles » pour mieux vivre la maladie, lèvent des barrières. « Avec la randomisation de notre étude, nous avons eu des groupes très variés, aussi bien en termes de capacités cognitives, que de fréquence ou d’importance des crises, se félicite Laure Gautier. Par exemple, il y avait une dame âgée qui refusait d’avoir recours à un pilulier, pour ne pas oublier la prise de médicaments. Puis une jeune femme de 24 ans lui a montré celui qu’elle utilisait. À la séance d’après, cette dame avait aussi son pilulier. »

INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS : ÇA MARCHE…

En février 2019, le résultat tombe. Les chercheuses ont la confirmation que leur intuition de départ est vérifiée. « Il y avait un risque, souligne Sophie Fontaine. En posant des questions aux patients avec ETP, on peut aussi générer de l’anxiété, ce qui peut avoir un impact négatif sur la qualité de vie. S’il en sait trop, cela peut être source d’anxiété. » Le biostatisticien du CHU transmet son interprétation des résultats de l’étude EQOLE. La qualité de vie des patients du groupe expérimental est significativement supérieure à celle du groupe témoin, au terme des six séances d’ETP. De manière plus précise, la recherche prouve que le bien-être émotionnel et l’intégration sociale sont favorisés par l’action éducative. Logiquement, les connaissances sur la maladie se sont significativement améliorées pour le groupe témoin. Sur les 86 patients engagés dans l’étude, seuls six ont arrêté en cours de route. Un très bon score, qui s’explique par le suivi attentif opéré par les chercheuses, qui rappelaient chaque participant avant les ateliers et qui se montraient flexibles pour les dates proposées.

PUBLIER POUR AVANCER ENCORE

La rédaction de l’article scientifique marque une nouvelle étape. Les neurologues qui soutiennent le duo leur proposent des articles complémentaires, pour étayer la partie qui doit être consacrée à la discussion. La période Covid arrive. Les allersretours avec le biostatisticien, nécessaires pour affiner certains chiffres, allongent le temps de la rédaction. Une première soumission est faite à une revue infirmière internationale, qui n’est pas intéressée. Sonia Guillouët se tourne alors vers une revue spécialisée, Epilepsy Research, qui accepte l’article.

Fin mars 2023, Laure Gautier et Sophie Fontaine sont les premières paramédicales du CHU à être publiées dans une revue scientifique. Et maintenant ? « Ça serait bien de passer à la mise en application, déclare Sonia Guillouët. Et dans ce cas, ça sous-entend un peu de ressources humaines. Il est notamment montré dans l’article que cela a fonctionné parce qu’il y avait des ateliers qui avaient lieu le soir. Pour pouvoir mettre en place ces ateliers, ça demande une réflexion en équipe et avec le cadre, et une réorganisation. » Le dépôt d’un dossier d’éducation thérapeutique auprès de l’ARS se prépare. Les infirmières vont pouvoir avoir des journées plus courtes. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Si une pause s’avère nécessaire, de nouvelles idées de recherche leur trottent déjà dans la tête.

BIBLIOGRAPHIE

• Fontaine S., Gautier L., Diependaele A.S., Hamieh M., Morello R., Guillouët S., Bertran F., “Impact of educational actions on the quality of life of patients with epilepsy: A randomised controlled trial”, Epilepsy Res. 2023 May;192:107128.

• Haute Autorité de santé (HAS), Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques. Saint-Denis La Plaine: HAS; 2007. Lien court pour y accéder : https://urlz.fr/mjuf.

• Cramer J.A., Perrine K., Devinsky O., Bryant-Comstock L., Meador K., Hermann B., Development and cross-cultural translations of a 31-item quality of life in epilepsy inventory. Epilepsia (Réf. 4). 1998 Jan;39 (1):81-8. Lien court pour y accéder : https://urlz.fr/mjuk.

• Picot M.C., Crespel A., Daurès J.P., Baldy-Moulinier M., El Hasnaoui A., “Psychometric validation of the French version of the quality of life in epilepsy inventory (QOLIE-31): comparison with a generic health-related quality of life questionnaire”. Epileptic Disorders, 2004 Dec;6 (4):275-85. Lien court pour y accéder : https://urlz.fr/mjuo.

• World Health Organization. Regional Office for Europe. Therapeutic patient education: continuing education programmes for health care providers in the field of prevention of chronic diseases: report of a WHO working group. World Health Organization. Regional Office for Europe, 1998. https://apps.who.int/iris/ handle/10665/108151.

• Organisation mondiale de la santé (OMS, World Health Organisation) WHOQOL: Measuring Quality of Life. World health organisation quality of life assessment. 1996, World Health Forum 17 (4), 354§356. Lien court pour consulter les pages sur le site de l’OMS : https://urlz.fr/mjts.

LAURE GAUTIER ET SOPHIE FONTAINE LEUR PARCOURS

1992 Diplôme d’État de Laure Gautier à Caen (Calvados).

1994 Laure Gautier intègre le service de réanimation chirurgicale du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen.

2000 Diplôme d’État de Sophie Fontaine à Vire (Calvados).

2001 Sophie Fontaine entre au service de neurologie du CHU de Caen.

2002 Laure Gautier entre en réanimation médicale de nuit.

2005 Sophie Fontaine entre au service intensif de gastro-entérologie.

Début 2012 Les deux infirmières intègrent le service d’explorations fonctionnelles neurologiques du CHU. Elles deviennent techniciennes en électrophysiologie.

Septembre 2012 Découverte de l’éducation thérapeutique pour patients épileptiques lors de journées professionnelles à Lille (Nord).

Septembre 2015 Dépôt du projet EQOLE (Education Quality Of Life Epilepsy) à l’appel à projet interne du CHU de Caen.

Novembre 2015 EQOLE est sélectionné.

Octobre 2016 Premières inclusions.

Avril 2018 Dernier atelier d’éducation thérapeutique de l’étude.

Février 2019 Le biostatisticien du CHU transmet aux investigatrices les résultats d’EQOLE.

Mars 2023 Publication par l’Epilepsy Research de l’article relatif à l’étude.

Une échelle de mesure anglaise peut-elle être traduite ?

Sophie Fontaine et Laure Gautier ont employé le QOLIE-31(1), une échelle anglaise d’autoévaluation de la qualité de vie élaborée pour les patients épileptiques, validée scientifiquement en 2004 pour un usage français. Elle comporte 31 items, répartis en sept sous-groupes qui permettent d’évaluer l’anxiété des patients par rapport aux crises, leur qualité de vie globale, leur bien-être émotionnel, leur énergie ou leur fatigue, leur fonctionnement cognitif, les effets des traitements et le fonctionnement social. « Du fait que l’échelle a été élaborée en langue anglaise, témoigne Sophie Fontaine, il y a des subtilités qui sont difficilement déchiffrables en français même avec traduction validée. Certains items peuvent porter à confusion. On avait l’impression que certaines questions étaient similaires. » D’où les appels téléphoniques réguliers qu’ont dû passer les investigatrices pour demander aux patients de répondre à certaines questions qu’ils avaient négligées. D’où aussi l’émergence d’autres perspectives pour Laure Gautier : « L’échelle que nous avons employée nous a régulièrement posé des problèmes d’interprétation. Je crois qu’à l’avenir, il y a une recherche à mener, peut-être plus au niveau national, pour travailler ensemble sur une échelle de qualité de vie mieux adaptée au contexte français. »

(1) Quality of Life in Epilepsy Inventory avec 31 items

ÉCLAIRAGE

“En matière de recherche, le lien entre les infirmières et les médecins est fondamental”

Françoise Bertran, neurologue spécialiste de l’épilepsie, a accompagné les chercheuses pendant tout leur parcours de recherche. Pour elle, la complémentarité du travail infirmier et médical se prolonge lors d’un travail de recherche.

« Dans un service comme le nôtre, on travaille ensemble, on est très liés. Les patients sont pris en charge par les infirmières avant de nous voir en consultation.

Et il y a un certain nombre d’entre eux qu’on ne voit pas ensuite : ils peuvent nous être adressés par d’autres médecins, y compris leur généraliste. C’est très important pour nous d’avoir les informations que recueillent les infirmières. Tout en accueillant le patient, en l’interrogeant, en faisant l’examen, elles récoltent des informations qui nous sont très utiles pour interpréter les résultats de l’examen. En matière de recherche, je pense que le lien entre les infirmières et les médecins est également fondamental. Nous avons soutenu le projet, une idée qu’on partageait. Même si elle est très encouragée, la recherche paramédicale en est encore à ses débuts. Il faut beaucoup de motivation. Ce n’est jamais tranquille, on demande toujours plus aux infirmières. Les cadres infirmiers ont beaucoup poussé et ont donné à Sophie Fontaine et Laure Gautier les heures nécessaires pour écrire leur projet. Mener cette recherche à son terme, ça montre qu’on peut y arriver. Cela permet aussi de travailler encore plus ensemble, en dehors de l’activité de routine, de faire des choses un peu différentes et de créer des liens plus forts. La seconde étape du travail était différente. Les patients ne sont plus là. C’est une démarche académique que les infirmières n’ont pas l’habitude de réaliser. Elles avaient besoin de soutien, aussi bien de la part de l’encadrement, que de nous, qui avons un peu plus l’habitude de rédiger des articles. Nous connaissons mieux les règles pour la construction, ce qui est recommandé de faire pour avoir le plus de chances possibles que ça soit accepté. Le fait que l’article soit pris a été une très agréable surprise finale. C’est valorisant pour elles et pour tout notre service. Cela permet aussi de montrer à leurs collègues que tout ce qu’elles ont fait n’est pas vain et tient la route. C’est l’exemple de ce que l’on peut faire ensemble. »