INFIRMIERS EN PRATIQUE AVANCÉE : UN DÉPLOIEMENT PERFECTIBLE EN LIBÉRAL
ENQUÊTE
J’EXERCE EN LIBÉRAL
SPÉCIALITÉ
Les infirmiers en pratique avancée (IPA) libéraux interviennent principalement dans la prise en charge des patients chroniques stabilisés. Si tous vantent la richesse de leur activité et de leur engagement, ils pointent aussi le manque de reconnaissance de leur expertise et les difficultés financières associées à leur exercice exclusif. Témoignages…
La pratique avancée vise un double objectif : améliorer l’accès aux soins ainsi que la qualité des parcours des patients en réduisant la charge de travail des médecins sur des pathologies ciblées. En libéral, les infirmiers sont moins d’une centaine à exercer exclusivement en pratique avancée. Ils sont généralement diplômés de la mention « pathologies chroniques stabilisées et polypathologies courantes en soins primaires ». Sur orientation des médecins avec lesquels ils ont signé un protocole d’organisation, ils sont amenés à effectuer, lors de la première consultation d’un patient, l’anamnèse, un examen bio-psycho-social ou encore des examens complémentaires (spirométrie, indices de pression systolique, électrocardiogramme). Ils peuvent revoir les patients en suivi pour des prescriptions de médicaments, l’adaptation des traitements, la prise en charge de leurs douleurs, l’éducation à la santé, la prescription d’examens complémentaires ou l’orientation vers des spécialistes. Autant d’interventions que les médecins n’ont pas toujours le temps d’effectuer pendant une consultation de quinze minutes.
Cependant, depuis la reconnaissance de la pratique avancée en France (loi de modernisation du système de santé de 2016), toutes les conditions ne sont pas nécessairement réunies pour permettre un exercice serein. En cause notamment, la tarification des actes ne permettant pas un exercice libéral exclusif viable. Pour y remédier, l’Assurance maladie et les syndicats représentatifs des infirmiers libéraux ont signé le 27 juillet 2022, l’avenant 9 à la convention nationale des infirmiers, entré en vigueur en mars 2023. Il revalorise de 20 % environ les forfaits de prise en charge pour les patients confiés par le médecin à l’infirmier en pratique avancée (IPA) pour un suivi régulier. À titre d’exemple, l’IPA peut facturer un forfait d’initiation du suivi - 1er contact à 60 euros ; un forfait de suivi, valorisé à 50 euros, facturable une fois par trimestre, dès lors qu’au moins un contact avec le patient a eu lieu au cours du trimestre (en présentiel ou à distance). Il peut aussi prendre ponctuellement en charge des patients, et facturer 30 euros ce bilan - une fois par an et par patient - et 16 euros une séance de soins ponctuelle réalisée en présentiel - quatre fois par an et par patient. En fonction de leur zone d’installation et sous conditions, les IPA peuvent aussi percevoir, de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam), une aide à l’installation comprise entre 27 000 et 40 000 euros(1). Si ces nouveaux montants des forfaits sont appréciés, la profession estime toutefois qu’ils ne valorisent par son expertise, et nombre d’IPA libéraux exclusifs dénoncent des revenus inférieurs à leur exercice libéral en soins généraux.
Autre avancée récente : l’accès direct accordé aux IPA dans le cadre de l’adoption, le 19 mai 2023, de la loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, de la députée Stéphanie Rist. À la publication des décrets d’application, les IPA en exercice coordonné, c’est-à-dire en maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), équipe de soins primaires (ESP) ou centre de santé (CDS), n’auront plus à signer de protocole d’organisation avec un médecin. Les patients pourront accéder directement à eux. L’accès direct en communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) sera néanmoins possible uniquement dans le cadre d’une expérimentation de cinq ans, et ce dans six départements à définir. Enfin, les IPA pourront désormais primo prescrire certains produits ou prestations soumis à ordonnance. L’entrée en vigueur de ces différentes mesures devrait avoir lieu au plus tard début 2024. Des évolutions qui demandent encore quelques ajustements pour apporter la reconnaissance nécessaire au déploiement de la pratique avancée chez les infirmiers… au bénéfice de tous, corps médical et patients inclus.
1. www.ameli.fr/infirmier/textes-reference/convention/avenants
Edwige Perez-Moizo, IPA à Tarascon-sur-Ariège (Occitanie).
« À 62 ans, je suis en fin de carrière. Pour autant, j’ai décidé de suivre un master en pratique avancée et j’ai obtenu mon diplôme en 2020. J’aime être à la pointe, et devenir infirmière en pratique avancée (IPA) est une évolution légitime pour ma carrière. Je m’y retrouve en tout point. Après ma formation, j’ai vendu mon cabinet libéral. Je ne voulais pas d’un double exercice car cela sous-entend d’être intellectuellement disponible pour les deux, et personnellement, je n’y parviens pas. Depuis septembre 2022, je suis en exercice exclusif au sein d’un pôle de santé, qui réunit trois maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) dans l’Ariège. Je travaille avec deux médecins généralistes et j’ai une file active d’environ 250 à 300 personnes. En parallèle, je travaille un jour par semaine avec un pneumologue, et un autre jour avec un angiologue, les deux étant rattachés au pôle de santé.
Pour les médecins les plus réfractaires, je leur explique que je ne me substitue pas à eux. C’est toute la finesse du travail des IPA, nous ne sommes pas totalement autonomes, nous prenons toutes les décisions avec les médecins.
Parfois nous ne sommes pas d’accord, donc nous en discutons. C’est d’ailleurs pour cette raison que les médecins ne sont pas inquiets de l’arrivée de l’accès direct, car ils savent que je travaille vraiment main dans la main avec eux. Nous avons une messagerie sécurisée sur laquelle nous partageons toutes les informations et décisions. Financièrement, aujourd’hui, j’en vis mieux qu’au début. Cependant, je ne vois en moyenne que six patients par jour, ce n’est pas viable. J’arrive à payer mes charges mais je ne fais aucun bénéfice. Heureusement, j’exerce dans une zone de revitalisation rurale, je ne paie donc pas d’impôt. Il me faudrait une dizaine de patients par jour pour que mon exercice soit viable. Mais avec des consultations d’une durée moyenne d’une heure, la hausse du nombre de patients suivis sur la journée reste limitée. »
Sonia Froidevaux, IPA à Saint-Arnoult-en-Yvelines (Île-de-France).
« J’ai été diplômée de l’institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) en 2002. Après six années d’exercice hospitalier, je me suis installée en libéral avant de ressentir, au bout de cinq ans, un vrai ras-le-bol. À la naissance de mon troisième enfant, j’ai décidé de prendre un congé parental de trois ans. Il était hors de question de redevenir infirmière. Je suis devenue vendeuse à domicile. C’est lors d’une rencontre avec une cadre de santé, que j’ai appris la mise en place de la formation infirmier en pratique avancée (IPA). Je me suis tout de suite renseignée et en février 2020, j’étais inscrite au master, que j’ai financé moi-même. En parallèle, j’ai convaincu mon médecin traitant de travailler avec moi lorsque je serai diplômée, mais sa structure était trop petite pour qu’il m’accueille. En outre, la construction de la maison médicale, qui devait sortir de terre à Saint-Arnoult-en-Yvelines, avait pris du retard. En faisant fonctionner mon réseau, j’ai trouvé un local dans un cabinet d’orthophonistes. J’ai alors pu signer un protocole d’organisation avec le médecin traitant. Nous travaillons à distance sans problème. En revanche, comme nous ne sommes pas dans le cadre d’un exercice coordonné, je ne vais pas pouvoir profiter de l’accès direct autorisé par la loi Rist, sauf si l’Île-de-France est retenue pour l’expérimentation de l’accès direct au sein des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) dont je fais partie. Pour le moment, je n’ai pas d’autres médecins avec qui travailler. J’ai envoyé 70 lettres et courriels à ceux de ma région mais je n’ai obtenu que deux réponses, négatives. Aucun autre médecin ne m’a répondu. Heureusement, j’ai touché la prime d’installation, sinon, je ne pourrais même pas payer mes frais de cabinet. Je pense que mon activité va se développer mais je dois constamment communiquer sur mon rôle. Je compte aussi sur les patients pour qu’ils en parlent à leur médecin traitant. Aujourd’hui, j’ai environ une cinquantaine de patients dans ma file active, ce qui me permet de gagner entre 300 et 400 euros par mois. En parallèle, j’exerce à mi-temps comme infirmière coordinatrice au sein d’un service de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Le département a repris le dossier de la maison médicale de Saint-Arnoult-en-Yvelines, j’espère que le projet sortira de terre prochainement pour que nous puissions instaurer un exercice coordonné. Il faut y croire… sinon, cela ferait longtemps que les IPA auraient disparu. »
Lire sur espaceinfirmier.fr « IPA en ville : un bilan mitigé », 26/05/2023.
Emmanuel Hardy, IPA à Boigny-sur-Bionne (Centre-Val de Loire).
« Je suis diplômé infirmier en pratique avancée (IPA) depuis juin 2021 et en exercice exclusif depuis février 2022. Je travaille avec trois médecins dans une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) et avec trois autres dans une maison médicale. Lorsque j’ai pris mon poste, j’ai été soutenu et bien accueilli par les professionnels du territoire ainsi que par les patients. Être IPA libéral exclusif était vraiment mon souhait.
J’aime cette liberté et ne pas dépendre d’autres personnes. Mais financièrement, il est vrai que la situation reste compliquée. La prime d’installation et les nouveaux forfaits de l’avenant 9, m’ont convaincu de rester en libéral, car les montants me permettent de maintenir mon exercice. Aujourd’hui, j’ai une file active de 200 patients, des activités au sein de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) et une activité syndicale. Cette diversité m’apporte une variété de revenus, pour des activités valorisant également les missions transverses de l’IPA telles que la coordination de parcours, la prévention populationnelle.
Au sein de la CPTS, je suis le référent parcours insuffisance cardiaque et bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Nous sommes d’ailleurs déçus que l’accès direct n’ait pas été retenu pour cet échelon, qui remplit pourtant des missions d’accès aux soins. C’est d’autant plus difficilement compréhensible que 80 % des médecins n’exercent pas en MSP/ESP/ CDS [équipe de soins primaires/centre de santé, NdlR]. De nombreux patients n’auront donc jamais accès aux IPA. J’ai dû expliquer aux médecins avec lesquels je travaille les objectifs de cet accès direct, et ils l’ont accepté. La pédagogie est importante. Nous sommes une équipe traitante, et même avec l’accès direct, les IPA n’ont pas vocation à travailler seuls. Nous sommes une aide à la décision, et le médecin reste le décideur de la stratégie thérapeutique. Je noue aussi des liens importants avec les Idels. En raison de leur proximité avec les patients, leur avis est important dans la définition de la stratégie thérapeutique. Je peux aussi leur servir d’interface avec le médecin, afin de fluidifier les relations. Quant aux patients, après un temps d’acculturation, ils sont très contents de venir nous voir. »
Laurent Salsac, IPA à Joué-les-Tours (Centre-Val de Loire).
« Devenir infirmier en pratique avancée (IPA), je l’ai vu comme une continuité de mon exercice libéral, la possibilité de voir mon expertise reconnue. Diplômé en 2020, j’ai signé un protocole d’organisation avec deux médecins du cabinet où j’avais effectué mon stage. Nous allons prochainement devenir une équipe de soins primaires (ESP). Au quotidien, je prends en charge les patients, toujours avec une vision infirmière. Seulement, je détiens des compétences complémentaires pour lever certains obstacles notamment pour la prescription d’examens ou le renouvellement d’ordonnances. Mes consultations durent en moyenne une heure. En étant connecté au même logiciel que celui des médecins, je participe à l’amélioration du suivi des patients chroniques. De plus, comme mon intervention permet de libérer du temps aux deux médecins, ces derniers ouvrent, 12 heures en amont, dix créneaux pour des rendez-vous d’urgence dans la journée à venir. Les médecins défavorables à l’exercice des IPA pensent que nous prenons en charge les patients les plus faciles. En réalité, nous partageons avec eux les prises en charge difficiles, d’autant plus qu’ils ne peuvent pas tout prendre en compte en 15 minutes. Aujourd’hui, je suis environ 200 patients en file active. Financièrement, le nouvel avenant est appréciable. Auparavant, je gagnais 800 euros par mois. Désormais, j’atteins environ 1 500 euros mensuels, pour cinq jours de travail par semaine. Mais lorsque j’étais Idel, je gagnais 3 800 euros net par mois en travaillant dix jours. Nous ne sommes pas reconnus pour nos deux ans de formation supplémentaires et nos compétences. Pourtant, les médecins et les patients sont satisfaits de notre travail. Si les tutelles veulent fidéliser les IPA, cela devra passer par une meilleure rémunération, ce qui implique soit d’augmenter le montant des forfaits, soit d’augmenter le nombre de patients pouvant les consulter. L’accès direct octroyé par la loi Rist permet de répondre en partie à la problématique. L’exercice n’est pas facile, mais comme je suis satisfait, je continue. »