LE CHANTIER EST LANCÉ, LES ATTENTES SONT FORTES
REFONDATION DE LA PROFESSION
JE DÉCRYPTE
SYSTÈME DE SANTÉ
François Braun a engagé en mai les travaux de la refondation de la profession infirmière. En ligne de mire : le fameux décret d’actes de 2004. Un pas dans la bonne direction, juge-t-on chez les représentants infirmiers, qui attendent des mesures tangibles et rapides.
Faire de 2023 « un jalon important » de l’histoire de la profession infirmière. Voilà l’objectif ambitieux que s’est fixé le ministre de la Santé et de la Prévention François Braun, dans le discours d’ouverture du séminaire organisé fin mai par ses services sur ce qu’il est convenu d’appeler la refondation du métier infirmier. À cette volonté de s’inscrire dans l’histoire, l’urgentiste de l’avenue Duquesne a ajouté un calendrier ambitieux : le travail de refondation « devra aboutir en septembre 2024 », a-t-il affirmé dans son allocution de clôture du même événement. Reste à savoir ce que recouvre exactement le terme de refondation, et ce que les premiers concernés en pensent.
Dans les plans ministériels, tout semble clair. La refondation doit, selon les mots du ministre, « transformer le métier dans ses trois axes structurants : les compétences, la formation et les carrières ». En d’autres termes, il s’agit de réformer le décret d’actes, dont la dernière révision date de 2004, d’adapter les cursus des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) en conséquence, et de travailler sur l’attractivité du métier, éternel talon d’Achille qui risque, si rien n’est fait, de réduire en miettes tous les efforts faits sur les deux premiers volets. Quant à la méthode, « C’est résolument celle de la concertation », a annoncé François Braun. Au menu donc, des consultations « auprès des infirmiers, des étudiants et des patients », mais aussi « avec les organisations syndicales, les partenaires institutionnels, etc. », a-t-il précisé.
Reste à donner un contenu concret à ces annonces ministérielles. Pour ce qui est du volet compétences, l’idée serait de « transformer l’approche actuelle, qui est essentiellement construite autour des actes, en une approche par mission », indique-t-on dans l’entourage du ministre. Il s’agirait ainsi d’étendre à d’autres domaines la logique qui a été à l’œuvre en matière de plaies et cicatrisations dans le cadre de la récente loi Rist. « Cette loi permet à l’infirmière de gérer l’ensemble de la prise en charge des plaies chroniques, de la détection jusqu’à la prise en charge thérapeutique, détaille la même source. C’est une approche qui permet beaucoup d’agilité. »
Un langage qui ne peut que séduire Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers (ONI). « C’est l’aboutissement d’un travail commencé il y a des années », constate le premier représentant de la profession, qui ne compte pas pour autant s’arrêter là. « Il faut qu’on soit vraiment ambitieux pour permettre la prise en charge des Français, poursuit-il. Il s’agit de couvrir les besoins de tous les patients : ceux qui sont sans médecin traitant, ceux qui sont en ALD [Affection de longue durée, NdlR]… »
Les propositions que défendra l’Ordre dans le cadre des consultations organisées par le ministère ne surprendront d’ailleurs pas ceux qui se souviennent des multiples concertations que l’institution a elle-même organisées au cours des dernières années. « Il faut que les infirmiers soient inclus dans la permanence des soins, dans les soins de premier recours, il faut travailler sur l’accès direct, il faut qu’ils puissent prescrire davantage, modifier des posologies, etc. », énumère Patrick Chamboredon. Il s’agirait donc pour lui d’aller bien plus loin qu’une simple révision du décret infirmier. « Il faut une loi infirmière », insiste le président de l’Ordre.
La réforme des compétences n’est toutefois qu’un volet de la refondation voulue par le ministère. À des compétences élargies doit en effet correspondre une formation renouvelée. « Ce sont bien sûr de nou veaux enseignements, correspondant aux besoins populationnels - tels que la pédiatrie, la psychiatrie - que nous intégrerons dans le nouveau référentiel », a promis le ministre dans son discours. François Braun a également insisté sur les modalités de sélection des étudiants : « Nous ne devons plus entendre […] que passer par Parcoursup ne nous amène plus les bons candidats dont nous avons besoin », a-t-il insisté, tout en se félicitant de l’augmentation du nombre d’étudiants infirmiers que les Ifsi ont accueillis au cours des dernières années.
Du côté des étudiants, justement, ces annonces sont accueillies avec des sentiments mitigés. « La réingénierie du référentiel, c’est quelque chose que nous attendons depuis longtemps, la dernière réforme date de 2009, ce qui est assez ancien, juge Manon Morel, présidente de la Fédération nationale des étudiant.e.s en sciences infirmières (Fnesi). Il faut prendre en compte de nouvelles matières, de nouvelles unités d’enseignement. Il faudrait par exemple que nous puissions davantage travailler via la simulation, via les nouvelles technologies, c’est quelque chose que nous apprenons trop peu et qui nous manque une fois diplômés. » En revanche, la représentante étudiante juge sévèrement la volonté affichée par François Braun de former toujours davantage d’infirmières. « On est dans une idéologie qui veut qu’on forme toujours plus pour pallier le manque de soignants, mais la réalité, c’est qu’on les forme moins bien, pointe-t-elle. Il y a des problématiques qui ne sont toujours pas résolues : comment fidélise-t-on les étudiants qui sont déjà en formation, comment donne-t-on des moyens pour qu’il y ait une véritable politique d’encadrement sur les terrains de stage ? »
Des trois volets que souhaite aborder la refondation engagée par François Braun, c’est certainement le troisième qui trouvera devant lui les obstacles les plus conséquents : celui des carrières, qui draine avec lui le serpent de mer de l’attractivité souffreteuse du métier d’infirmière. Lors de son discours, le ministre a déclaré vouloir donner « de nouvelles possibilités de progression et d’évolution professionnelle » aux infirmières, notamment en « poursuivant le déploiement » de la pratique avancée ou encore en « prenant le temps de discuter » des spécialités infirmières, etc. « Ces perspectives de carrière facilitées, élargies et renforcées sont un élément central pour l’attractivité du métier infirmier, veut croire l’ex-patron des urgences de l’hôpital de Metz. C’est essentiel pour fidéliser les professionnels, comme pour donner envie aux jeunes. »
Et c’est peut-être là que le travail de refondation pourrait se heurter à la dure réalité du terrain. Car si les multiples enquêtes publiées depuis des années sur la crise de la profession infirmière identifient bien la difficulté d’évoluer au cours de sa carrière comme l’un des principaux points noirs, cette difficulté n’est que l’une des dimensions d’un problème qui en comporte beaucoup : rémunération, pénibilité, intensification, violence, perte de sens, management… La refondation risque donc de buter contre la réalité budgétaire, et rien ne dit que les prochains Objectifs de dépense d’Assurance maladie (Ondam) votés par l’Assemblée nationale permettront d’appuyer les évolutions législatives et réglementaires souhaitées sur des moyens sonnants et trébuchants.
Autre écueil possible : la réaction des autres professions, à commencer par les médecins, dont certains représentants se montrent très sourcilleux dès qu’il s’agit de donner davantage de responsabilités aux autres porteurs de blouses blanches. « Il n’y a pas de volonté de pousser la profession infirmière contre les médecins, démine Patrick Chamboredon. Il faut que nous travaillions ensemble pour voir les possibilités, et pour voir comment couvrir les besoins des Français. » Un travail en commun qui risque d’être quelque peu houleux si l’on en juge à l’aune des échanges d’amabilités qu’a occasionnés la loi Rist au printemps, lorsqu’il s’est agi d’octroyer l’accès direct aux infirmières en pratique avancée (IPA).
En attendant, reste la question du calendrier. « Nous souhaitons qu’à la rentrée 2024, les étudiants fassent leur rentrée avec un nouveau référentiel de formation, et que les textes en lien avec l’exercice soient modifiés », annonce-t-on au cabinet de François Braun. À la Fnesi, on est encore plus pressé : « Il faudrait que tout soit prêt au moment des choix sur Parcoursup », soit au plus tard au tout début de l’été 2023, avance Manon Morel. Il faudrait donc mettre les bouchées doubles, car l’avenue Duquesne a prévu de consulter très largement. « Des consultations nationales vont être lancées envers les infirmiers, les étudiants, les citoyens, car chacun a des attentes différentes vis-àvis du métier, détaille notre source ministérielle. Nous avons également des consultations avec nos interlocuteurs privilégiés que sont les représentants du personnel, les ordres, les CNP [Conseils nationaux professionnels, NdlR], les associations de formations, les fédérations étudiantes, etc., qui ont déjà commencé. » Mais ce n’est pas tout. La méthodologie envisagée prévoit également de « tester l’ensemble de ce que proposent les interlocuteurs sur le terrain pour vérifier comment cela pourrait fonctionner concrètement, voir si cela correspond aux attentes des usagers, du personnel, etc. », indique le cabinet de François Braun. Des tests qui ne prendraient pas forcément la forme d’expérimentation, mais plutôt de dialogues « sur le format du CNR [Conseil national de la refondation, NdlR] », précise la même source, en référence aux réunions qui ont eu lieu sur l’ensemble du territoire depuis l’automne dernier. Voilà qui fait craindre d’éventuels retards. « La réingénierie de notre référentiel a déjà été décalée d’un an, constate Manon Morel. Nous espérons qu’on ne va pas vers un nouveau report, mais au vu du temps que prend la constitution des différents groupes de travail, les choses ne commenceront vraiment qu’à la rentrée, donc on n’est pas à l’abri. » Rome ne s’est pas faite en un jour, et ce ne sera probablement pas non plus le cas de la refondation de la profession !
Qui dit refondation dit vision commune de l’avenir. Or, chaque branche de la profession infirmière aspire à son propre futur, dont il faut prendre en compte les spécificités. Exemple avec les infirmières en pratique avancée (IPA), d’une part, et les infirmières de l’Éducation nationale, d’autre part. Développer une spécialité d’infirmière conseillère de santé. Voilà l’une des principales attentes que nourrit Saphia Guereschi, présidente du Snics-FSU qui représente les infirmières de l’Éducation nationale, vis-à-vis de la refondation du métier. Mais celle-ci se fait peu d’illusions sur la possibilité de voir cette attente devenir réalité dans un futur proche. « La logique actuelle consiste à transférer des actes, qui sont actuellement des actes médicaux, aux infirmières, comme on le voit avec la pratique avancée, constate-t-elle. Or cela ne correspond pas à ce que nous demandons, car nous ne sommes pas dans un milieu de soins, la majorité de ce que nous faisons relève du rôle propre, que nous souhaiterions développer. » La représentante syndicale estime en effet que « les consultations infirmières qui sont faites à l’Éducation nationale, et qui relèvent du premier recours, pourraient être développées dans beaucoup d’autres lieux ». Mais elle regrette de « se heurter à un mur » quand elle avance ces propositions, en raison de « l’organisation toujours très médicocentrée du système de santé ». De son côté, Julie Devictor, présidente du Conseil national professionnel des IPA (CNP IPA), a des attentes très différentes vis-à-vis de la refondation engagée par le ministère. « Il va falloir qu’on réfléchisse à la façon dont on pense les mentions en pratique avancée, car on a jusqu’ici appliqué le modèle des spécialités médicales au métier infirmier, pointe-t-elle. Or cela a ses limites : pourquoi un patient atteint de VIH, ou encore d’une maladie dermatologique, ne pourrait-il pas être pris en charge par une IPA sous prétexte que ce n’est pas dans les huit pathologies prévues dans la mention “pathologies chroniques stabilisées” ? » Et l’IPA de souhaiter « au-delà d’une montée en compétences », une plus grande flexibilité dans le cadre réglementaire. « Aujourd’hui, beaucoup d’infirmières ne peuvent pas faire certaines choses non pas parce qu’elles ne savent pas les faire, mais parce qu’elles n’en ont pas le droit, regrette-t-elle. Il faut leur permettre de les réaliser dans un exercice plus sécurisé, plus confortable. »