LE POUVOIR DE LA MUSIQUE EN SOINS PALLIATIFS
JE ME FORME
PRISE EN CHARGE
Entre deux concerts et leçons, l’artiste joue au chevet des malades. Pas une animation, un soin. Claire Oppert fait partie de l’équipe soignante du service de soins intensifs du centre hospitalier Rives de Seine de Puteaux en Île-de-France.
Pas de blouse, pas de matériel médical mais un imposant instrument : un violoncelle de près de 280 ans et une val i se rempl ie de par t it ions. Claire Oppert, violoncelliste, fait partie intégrante de l’équipe médicale du service de soins palliatifs du centre hospitalier Rives de Seine à Puteaux (Hauts-de-Seine), en Île-de-France, dans lequel elle joue auprès des patients une matinée tous les quinze jours, grâce à l’association Epilog qui finance sa venue. Diplômée du conservatoire de Moscou en 1994 et d’art-thérapie à la faculté de médecine de Tours en 2011, la musicienne s’intéresse depuis l’adolescence au soin : « La musique vient chercher une partie saine, vivante, non malade, une partie intacte de la personne à qui elle s’adresse. » « Tu es attendue par certaines familles », entame Mélanie Monribot, médecin de service, avec qui Claire Oppert effectue un temps de transmission. Et par l’équipe soignante. La musique les lie les uns aux autres et crée des connexions inédites avec leurs patients.
Sur les onze patients présents, Claire n’en connaît plus que deux. La tournée de l’artiste-thérapeute commence dans les couloirs, elle se renseigne auprès des soignants (deux infirmières [IDE] et deux aides-soignantes [AS] le jour, une IDE et une AS la nuit). Claire frappe aux portes, se présente, propose un peu de musique. C’est dans la chambre 53 qu’elle jouera la première fois. Une dame âgée, atteinte d’un cancer pancréatique avancé, accompagnée d’une proche. Elle s’exprime peu mais accueille Claire Oppert qui, tout en délicatesse, s’installe. Elle commence par des Ave Maria. « C’est moi qui joue pour vous, Madame, je vais vous redresser un peu. » Puis l’Adagio d’Albinoni. La séance dure une petite quinzaine de minutes. « Elle était agitée, avait besoin de présence, analyse la violoncelliste. Je lui ai joué des choses douces et connues, elle a souri, elle était apaisée. » « C’est exceptionnel la paix, la sérénité que vous apportez, salue la proche de la patiente. Il faut que la personne comprenne le patient. » Le regard et l’expérience de Claire Oppert lui permettent d’observer les effets immédiats de son travail et d’interagir : la respiration qui s’amplifie, « comme une attestation de leur présence », un membre immobile qui finalement s’anime…
Les équipes soignantes bénéficient, elles aussi, dans leur pratique quotidienne, de la musique de Claire Oppert. Cyprienne Bagnan, aide-soignante, décrit cet impact : « Lorsqu’on fait une toilette avec l’infirmière, si Claire joue, c’est comme un ballet à trois, sa musique s’adapte à nos gestes et les accompagne. Le patient est impliqué également. On en sort sans avoir l’impression d’avoir fait une toilette, on pourrait en faire vingt encore. » « On est transportées, coupées du temps », complète Noémie T., infirmière. De ces expériences, la violoncelliste soignante a tiré un ouvrage plébiscité, Le pansement Schubert (voir encadré Savoir+). Elle y raconte son cheminement et combien la musique vivante apaise les patients, porte les soignants et fluidifie les relations pendant les soins.
Dans une autre chambre, une patiente transfusée et son mari acceptent la venue de Claire Oppert. La médecin de service se joint à l’assemblée. Des moments privilégiés. « La patiente a essayé de retenir ses larmes, je l’ai invitée à laisser faire », commente la musicienne. Ce matin-là, elle ira aussi voir un jeune homme de 21 ans, en phase terminale de médulloblastome. Sa mère est à son chevet. « C’est bien qu’on ait pu partager cette vie qui reste », confie celle-ci.
Entre chaque intervention, Claire Oppert prend des notes : les paroles, les réactions physiologiques et relationnelles, avant de remplir le dossier médical auquel elle a accès. « C’est exceptionnel d’être inscrite dans le cercle des soignants comme ici. » Claire Oppert voit juste, les soignants en témoignent : l’atmosphère qui règne dans le service n’a que peu d’égal. Un travail d’équipe.
La musique fait l’objet depuis de nombreuses années d’études poussées et d’utilisations thérapeutiques dans de bien nombreux secteurs dans la santé comme la réanimation pédiatrique, en Ehpad, auprès de personnes atteintes de troubles du spectre autistique. Partout dans la médecine, la santé, le soin, des chercheurs, des soignants, des praticiens se sont penchés sur les effets de la musique. Il faudrait bien plus qu’un dossier pour couvrir l’ampleur des liens entre musique et soin. Heureusement, la littérature scientifique est aujourd’hui, comme l’ont confirmé nos interlocuteurs, riche et dense :
• Gepner B., Scotto di Rinaldi S., « La musique comme voie thérapeutique pour les personnes autistes », Enfances & Psy, 2018/4 (N° 80), p. 49-62. Lien pour y accéder : urlz.fr/mr3V.
• Labit J-F., « Entre texte et prétexte. Une création musicale intergénérationnelle en Ehpad », Empan, 2013/3 (n° 91), p. 105-113. urlz.fr/mr3Y.
• Hutinet M. Musique et trisomie 21 : influence de la musique dans la prise en charge orthophonique de jeunes trisomiques 21. Médecine humaine et pathologie, mémoire soutenu en 2006. https://hal.univ-lorraine.fr/ hal-01892379/document.
• Sacks O., « Un monde auditif : musique et cécité », dans Musicophilia. La musique, le cerveau et nous, Paris, Le Seuil, coll. La Couleur des idées, 2009, p. 217-222. urlz.fr/mr43.
• « La musique influence respiration, rythme cardiaque et pression artérielle », Psychomédia , 3 octobre 2005 : Lien court pour plus d’information : https://urlz.fr/msSm.
• Le Roux M., « La musicothérapie : outil d’amélioration du confort des patients lors de la toilette en réanimation pédiatrique ? Médecine humaine et pathologie ». Thèse soutenue en 2018.
• https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02986026.
• Mounier S., “MUSIDORÉ: pain management via music therapy during cleaning cares in pediatric intensive care unit. Human health and pathology”. Thèse soutenue en 2020. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03141777.
• Oppert c., Le pansement Schubert, éditions Denoël, 2020, 208 pages.