L'infirmière n° 036 du 01/09/2023

 

JE ME FORME

PRISE EN CHARGE

Anne-Lise Favier  

Les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Pourtant, au-delà de ce constat factuel, les données épidémiologiques montrent que cette différence s’estompe si l’on s’attarde sur l’espérance de vie sans incapacité. Ainsi serait-il plus juste d’écrire que les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais pas forcément en meilleure santé. Pourquoi existe-t-il une telle différence et quelles sont les solutions pour réduire ces disparités ?

Selon les dernières données chiffrées de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee, janvier 2023)(1), l’espérance de vie des femmes françaises est de 85,2 années contre 79,3 pour les hommes, soit un écart de presque 6 ans. Celui-ci tend néanmoins à se réduire d’année en année, puisqu’il était de 8,3 ans en 1994, 7,1 ans en 2004 et 6,2 ans en 2014. Et lorsque l’on s’intéresse à l’espérance de vie en bonne santé, l’écart décroît franchement : ainsi, les hommes peuvent espérer atteindre sans encombre l’âge de 65,6 ans contre 67 ans pour les femmes, ce qui ne leur laisse plus qu’une légère avance. D’après ce constat, les femmes vivent donc plus longtemps, mais avec davantage de pathologies jusqu’à la fin de leur vie. Elles sont d’ailleurs globalement plus nombreuses en situation d’affection de longue durée avec une surreprésentation dans les maladies auto-immunes(2). Comment l’expliquer ? Selon le Haut conseil à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes (HCE), plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : « Les différences de santé entre les femmes et les hommes résultent d’interactions complexes entre des facteurs biologiques, socioculturels et économiques », résume-t-il dans une étude publiée fin 2020(3) sur la prise en compte du sexe et du genre pour mieux soigner. Ainsi, les seules spécificités anatomiques et physiologiques ne suffisent pas à expliquer les différences hommes/femmes, l’influence du genre est un important facteur d’inégalités entre les femmes et les hommes dans la santé et la prise en charge médicale.

CONDUITES À RISQUES ET INÉGALITÉS

Il faut également noter une évolution défavorable des conduites nuisibles à la santé chez les femmes, notamment en matière d’addiction, par exemple face au tabac et à l’alcool. Elles sont en outre davantage touchées que les hommes par certaines pathologies (dépression, anorexie, anxiété) et plus concernées par certaines vulnérabilités (violences faites aux femmes, physiques, psychologiques, sexuelles, sexistes, conjugales) et risques psychosociaux (santé au travail, harcèlement). Enfin, d’un point de vue de la prise en charge, elles sont plus vulnérables, la précarité entraînant une surreprésentation des femmes (54 %) parmi les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (ex-CMU) ; en conséquence, elles déclarent plus souvent un renoncement aux soins. Ainsi, comme le résume l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « Le fait d’être un homme ou une femme a des conséquences importantes sur la santé, qui résultent à la fois des différences biologiques et sociales. »

Nombreuses sont les études qui pointent un déséquilibre entre la santé des hommes et celle des femmes, en défaveur de ces dernières. Il n’y a qu’à regarder les scandales sanitaires qui ont éclaboussé le système de santé ces dernières années pour se rendre compte que les femmes en sont les principales victimes : Dépakine, Distilbène, Levothyrox, prothèses PIP, implants contraceptifs, etc., la littérature et les systèmes de vigilance sont peuplés d’alertes en tout genre qui ne concernent que la santé de la femme (lire à ce sujet Les Résistantes de Florence Méréo(4)).

MALADIES SOUS-CONSIDÉRÉES

Que dire de certaines maladies proprement féminines et dont le corps médical a eu du mal à reconnaître l’existence, entraînant chez de nombreuses femmes une errance médicale de plusieurs années, faite de souffrance, d’ignorance et de doute ? À ce titre, l’endométriose, maladie pourtant connue depuis l’Antiquité et définie comme une pathologie au xixe (c’est un médecin autrichien qui fut le premier à identifier la présence de muqueuse utérine en dehors de l’utérus) a été reconnue comme maladie chronique il y a peu de temps seulement (elle a été classée ALD en janvier 2022). Entrée officiellement dans le programme des études de médecine en 2020, l’endométriose a fait l’objet d’une stratégie nationale de lutte depuis l’année dernière : si elle touche en moyenne une femme sur dix, on a longtemps banalisé les douleurs qu’elle occasionne, entraînant un retard de diagnostic de sept ans chez les femmes impactées par la maladie. Désormais, des filières se mettent en place pour identifier la pathologie chez les femmes présentant certains de ces symptômes (voir encadré « EndoCHU… » ci-dessous).

C’est aussi le cas des maladies cardiovasculaires, pathologies que l’on a longtemps classées comme typiquement masculines mais dont on sait maintenant qu’elles touchent aussi bien les femmes que les hommes, avec une expression symptomatique différente : ainsi lors d’un infarctus, un homme va ressentir une douleur dans le bras gauche, alors que la femme va plutôt ressentir des nausées et des vertiges. Ce qui reste méconnu, encore aujourd’hui, c’est que ces maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès chez les femmes, devant le très redouté cancer du sein, par exemple. 56 % des femmes meurent d’une maladie cardiovasculaire contre 46 % des hommes (données HCE). Si différentes hypothèses tentent d’expliquer la survenue de l’hypertension et des troubles cardiovasculaires, aucune ne fait réellement consensus. En revanche, les inégalités sociales et les stéréotypes liés au sexe jouent un rôle certain sur l’attitude des patients et du corps médical, et peuvent retarder la prise en charge. Une étude canadienne a par exemple montré que les femmes se présentant aux urgences pour une suspicion d’infarctus sont moins rapidement prises en charge que les hommes : à symptômes égaux, 29 % des femmes vont ainsi bénéficier d’un électrocardiogramme dans les dix minutes suivant leur admission contre près de 40 % des hommes. Heureusement, les lignes bougent et le fonds de dotation « Agir pour le cœur des femmes » créé par le Pr Claire Mounier-Vehier, cardiologue, avec le dirigeant d’entreprises Thierry Drilhon, fait évoluer la prise en charge (voir interview ci-contre du Dr Marilucy Lopez Sublet, ambassadrice).

DOULEURS FANTÔMES ?

Malgré cet éveil aux différences hommes/femmes du point de vue de la santé, des disparités persistent, notamment dans le champ de la douleur : comme on l’a vu plus haut, l’endométriose a longtemps été une « affaire de femme fragile et souffreteuse » pour citer l’historique qu’en fait le HCE. Et « puisque les règles étaient naturelles, alors les douleurs l’étaient également. Pas besoin d’en parler. Le sujet n’avait pas lieu d’être, on soupçonnait les femmes de les exagérer », rappelle le Dr Delphine Lhuillery, spécialiste de la douleur. Jusqu’à les taxer d’hystériques (étymologiquement, d’ailleurs, le mot hystérie vient du mot grec hysterikos qui signifie utérus). Dans son ouvrage Hystériques ? Histoire de la violence thérapeutique faite aux femmes(5), Thierry Delcourt, psychiatre, relate les étapes qui ont conduit à la négation de la douleur des femmes : d’un statut de sorcières, elles sont devenues des folles à interner au xixe siècle, jusqu’à avoir intégré que leur douleur était psychologique. « Nombreuses sont les femmes qui viennent consulter un psy, décontenancées d’avoir à le faire sur injonction du médecin qui leur a dit “tout ça, c’est dans votre tête, c’est fonctionnel, allez voir un psy : il vous arrangera ça” ou pire “rentrez chez vous, il n’y a rien de grave” alors que la souffrance est authentique », déplore le psychiatre. Une analyse que corrobore le Dr Pauline Belenotti qui s’est récemment émue du manque d’écoute dont souffrent les femmes dans une tribune du magazine Elle : « Toutes les patientes que j’ai rencontrées avaient le défaut d’être malades, mais de ne pas en avoir l’air », déplore-t-elle (voir interview « Trois questions à… » p. 20).

DES ESSAIS CLINIQUES DÉSÉQUILIBRÉS

Certaines pathologies, encore aujourd’hui mal connues et touchant plus largement une population féminine, produisent des douleurs que le corps médical peine à identifier : les maladies auto-immunes, dont font partie la fibromyalgie, la polyarthrite rhumatoïde ou le lupus, sont des maladies qui touchent jusqu’à huit femmes pour deux hommes. Si les mécanismes ne sont pas encore complètement élucidés, reste que l’expression de la douleur serait différente entre les deux sexes ainsi que la réponse aux traitements antalgiques : ainsi, des chercheurs ont montré qu’il existe un dimorphisme sexuel dans le métabolisme de la morphine… chez la souris. De là à extrapoler les travaux chez l’homme, il reste un sacré pas à franchir. Là aussi, dans le monde de la recherche, les essais cliniques ne sont pas toujours équitables entre hommes et femmes. En 1990, une sénatrice américaine, Olympia Snowe, avait même dénoncé des travaux étudiant le lien entre l’obésité et le cancer du sein ou de l’utérus, car ces travaux avaient, semble-t-il, été menés… exclusivement chez l’homme ! Même si un cas aussi extrême est heureusement rare, il arrive que certains médicaments prescrits plus fréquemment à des femmes soient étudiés plus largement sur une population masculine, comme c’est le cas pour la lévothyroxine. La molécule est en effet prescrite à 85 % à des femmes, là où les essais cliniques les ont intégrées à seulement 35 % dans leur protocole. Dans leur ouvrage Femmes et santé, encore une affaire d’hommes(6), Muriel Salle et Catherine Vidal rappellent que « l’exclusion des femmes des essais cliniques tient en particulier à la réglementation qui les protège des expérimentations médicales pour limiter le risque d’exposition au fœtus. Un autre argument repose sur le postulat que les organismes masculins, qui ne présentent pas de variations hormonales cycliques seraient plus simples à étudier. Inclure des femmes dans des protocoles de recherche fausserait les données, les résultats seraient plus difficiles à interpréter et le coût plus important. » Pour ces raisons, on part du principe que si un médicament fonctionne chez un individu masculin, il fonctionnera aussi chez la femme. Ce qui est faux, les médicaments sont éliminés selon une cinétique différente chez les hommes et les femmes et induisent plus d’effets secondaires chez la femme : par exemple, les statines prescrites chez la femme peuvent augmenter le risque de diabète après la ménopause, ce qui accroît les risques cardiovasculaires, ce contre quoi elles sont censées lutter. Heureusement, d’après le HCE, il semblerait que cette sous-représentation des femmes dans les essais cliniques en France commence à s’estomper, malgré la persistance ponctuelle de quelques essais où le ratio hommes/femmes reste déséquilibré.

DES PROGRÈS TÉNUS

La médecine différenciée avance peu à peu : « Aux États-Unis, elle a été impulsée par les associations féministes à la fin des années 1970, qui revendiquaient le droit à l’avortement et à la contraception, ce qui a conduit à une réflexion plus large sur la place des femmes dans la recherche biomédicale », relatent Catherine Vidal et Muriel Salle. Cette mobilisation a conduit à inclure les femmes (mais aussi les personnes issues de minorités) dans les projets de recherche et même dans les essais cliniques, à condition qu’elles aient recours à une contraception. L’OMS a emboîté le pas et créé le département Genre et Santé en 1995 ; ce n’est que dans les années 2000 que l’Union européenne a intégré cette notion de genre dans la prise en compte des données de santé. En France, l’approche médicale genrée reste marginale, il n’existe d’ailleurs pas de module spécifique à la santé des femmes dans les études de médecine, sauf à la faculté de médecine de Lyon (il existe néanmoins des modules sur la santé sexuelle et reproductive et sur les violences faites aux femmes dans les différentes formations des professionnels de santé). Comme le rappellent Delphine Bauer et Ariane Puccini, dans leur ouvrage Mauvais traitements, pourquoi les femmes sont mal soignées(7), l’Académie de médecine déclare que la médecine française a tendance à lisser ces différences sous prétexte de parité. Les deux auteures s’interrogent : « Alors pourquoi avons-nous l’impression que ce sujet, même évoqué avec les pincettes de la rassurante neutralité scientifique, semble crisper nos interlocuteurs et interlocutrices ? Peut-être parce que plusieurs écoles de pensées s’y affrontent, non seulement sur le terrain scientifique mais aussi idéologique. » Et de citer les arguments des uns en faveur du tout biologique là où les autres leur opposent l’influence du poids social et sociétal pour expliquer les différences hommes/femmes. Néanmoins, la réflexion progresse : de nombreux groupes d’études sur le sujet se sont constitués, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), mais aussi dans des institutions (Santé publique France, HAS, Sénat) pour réfléchir à la question. L’Ordre des sages-femmes et différentes instances de sages-femmes ont émis en mai une proposition de loi pour les sages-femmes et la santé des femmes dans la droite ligne de leur livre blanc « Et si on parlait d’elles ». Dans un communiqué commun, elles « défendent l’idée d’une véritable politique de santé sexuelle et reproductive et le renforcement de la prévention par la mise en place de trois rendez-vous de santé sexuelle aux différents âges de la vie ». Si une telle loi voyait le jour, elle permettrait d’envisager un traitement spécifique de la santé des femmes et une meilleure prise en compte de leurs spécificités d’un point de vue de la santé. Il faudrait alors renforcer la formation des professionnels de santé sur les caractéristiques propres à la santé des femmes, comme le suggère le docteur Marilucy Lopez Sublet. En attendant, la communication reste le seul moyen de sensibiliser à cette cause : chaque année, la journée du 28 mai est consacrée à la santé des femmes. En aviez-vous entendu parler ?

1. Insee, Bilan démographique 2022, Insee Première n° 1935, janvier 2023. Lien court : https://urlz.fr/mOLC

2. D’après les données 2021 de la direction de la stratégie, des études et des statistiques (DSES) de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam).

3. HCE, « Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique », rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2020. Lien court pour accéder au pdf : https://urlz.fr/mDKL.

4. Méréo F., Les Résistantes. 12 femmes qui font bouger la médecine, Harper Collins, 2019.

5. Delcourt T., Hystériques ? Histoire de la violence thérapeutique faite aux femmes, éditions Eyrolles, 2021.

6. Salle M., Vidal C., Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? éditions Belin, 2017.

7. Bauer D., Pucini A., Mauvais traitements. Pourquoi les femmes sont mal soignées, éditions du Seuil, 2020.

    Focus

    SEXE ET GENRE, DEUX TERMES DISTINCTS

    Le terme sexe est employé pour désigner le sexe biologique d’un individu : utilisé seul, il recouvre le sexe chromosomique, gonadique, anatomique et physiologique. Le genre se réfère quant à lui à la représentation sociale du sexe, tantôt l’expérience de genre, soit le genre avec lequel la personne est perçue en société, tantôt l’identité de genre, soit le genre avec lequel une personne se perçoit.

    Source : Haute Autorité de santé, « Sexe, genre et santé – Rapport d’analyse prospective 2020 », HAS, 2020. Lien court : https://urlz.fr/g1UL.

    EndoCHU, une filière pour l’endométriose

    Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille a lancé en mai une filière spécialisée dans la prise en charge de l’endométriose, EndoCHU. Elle est composée d’une équipe pluridisciplinaire « avec une IDE coordinatrice qui organise l’orientation et les soins, afin de proposer à chaque femme un parcours personnalisé », explique le Pr Chrystèle Rubod Dit Guillet, cheffe de service de chirurgie gynécologique à l’hôpital Jeanne de Flandre (CHU de Lille). L’infirmière coordinatrice guide la patiente à travers son parcours de soins et lui apporte une aide sur la prise en charge globale et sur les soins de support tels que l’acupuncture ou les séances de yoga. Un numéro de téléphone et une boîte mail dédiés permettent de prendre rendez-vous pour une consultation d’orientation qui décidera de la meilleure prise en charge pour la patiente, qu’elle soit médicale, chirurgicale ou en parcours de procréation médicalement assistée (PMA). Un hôpital de jour permet l’organisation, sur une seule journée, de la batterie d’examens nécessaires au diagnostic et des rendez-vous avec les différents professionnels de santé qui encadrent la prise en charge (chirurgiens digestifs, urologues, gynécologues, psychologues, anesthésistes, etc.).

    ÉCLAIRAGE

    “Les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de décès chez les femmes”

    Le Dr Marilucy Lopez Sublet, interniste spécialiste de l’hypertension, responsable de l’unité de médecine interne au centre d’excellence européen en hypertension artérielle à l’hôpital Avicenne (AP-HP) est ambassadrice d’Agir pour le cœur des femmes. Elle nous explique pourquoi la santé des femmes doit être surveillée.

    Pouvez-vous nous présenter Agir pour le cœur des femmes, dont vous êtes l’une des ambassadrices ?

    C’est un fonds de dotation fondé par le Pr Claire Mounier-Vehier et Thierry Drihlon, dirigeant d’entreprises, avec l’intention d’aider au dépistage de toute maladie cardiovasculaire, via un plan d’action. On mène une campagne de dépistage gratuit en direction des populations précaires, celles qui sont moins informées sur leur santé. Le Bus du cœur des femmes(1), mis en place en 2021, sillonne le territoire en se rendant dans les villes où se trouvent ces populations de femmes et propose un parcours de santé – avec consultation de cardiologue et de gynécologue – d’une heure. L’objectif de cette campagne est de sauver la vie de 10 000 femmes à échéance de cinq ans. Cette démarche permet en outre d’alerter les pouvoirs publics et la population médicale.

    Agir pour le cœur des femmes est spécifiquement orienté vers la santé cardiovasculaire des femmes, pourquoi ?

    On est parti d’un constat de santé publique au niveau mondial mais aussi en France qui montre que les maladies cardiovasculaires sont plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. Pourtant, on a longtemps pensé qu’il s’agissait de maladies masculines. Aujourd’hui, les chiffres mettent clairement en évidence le fait que les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de décès chez les femmes, avec 75 000 décès par an en France. Simplement, cette réalité était méconnue. On constate aussi que lorsque les femmes consultent, elles le font moins pour elles : elles se préoccupent plus souvent de la santé des autres – conjoint, enfant – que de leur propre santé, ce qui peut facilement occasionner des retards de diagnostic et de prise en charge. Le risque cardiovasculaire a très longtemps été moins bien répertorié chez la femme, les signes ne sont d’ailleurs pas les mêmes que chez l’homme. À cause des changements hormonaux qui touchent régulièrement la femme, elle est exposée à une plus grande variabilité, à laquelle s’ajoutent la vie moderne, la contraception, le stress, le tabac, entre autres. La dernière étude de Santé publique France(2) est dans ce sens accablante : les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souffrir d’hypertension.

    La santé des femmes a-t-elle été négligée ?

    Je ne pense pas qu’il faille réfléchir ainsi, en différenciant le sexe ou le genre, mais plutôt en considérant que les choses ont évolué et que certaines données étaient méconnues à une époque, comme le poids des hormones. Aujourd’hui on le sait, mais maintenant, il faut agir. Notamment avec la formation médicale, en s’intéressant aux particularités physiopathologiques des symptômes de ces maladies lorsqu’elles touchent les femmes, en s’appuyant sur l’impact des hormones, spécifiques aux femmes. En effet, il existe trois périodes importantes dans la santé des femmes d’un point de vue hormonal : la prise d’une contraception, la grossesse et enfin la ménopause où très souvent, la femme rattrape l’homme sur la question des maladies cardiovasculaires. Maintenant qu’on le sait, il faut écouter la parole des femmes et rester attentif à certains signes.

    Quel peut être le rôle de l’infirmière dans la prise en charge de la santé des femmes ?

    Le rôle de l’infirmière est essentiel, et ce, pour plusieurs raisons. Généralement, ce sont des professionnelles qui parviennent à gagner la confiance des patientes plus rapidement que les médecins. Elles ont cette capacité à convaincre les femmes de parler, de s’occuper de leur santé, de prendre conscience de l’importance de se faire dépister. Les infirmières sont aussi celles qui peuvent montrer les gestes utiles au dépistage, par exemple, comment bien prendre sa tension artérielle. À ce titre, les infirmières sont un maillon primordial dans la chaîne de dépistage. Reste à valoriser les actes infirmiers, pour qu’ils soient davantage reconnus.

    1. Lors des manifestations qui ont touché la France fin juin, le bus du cœur des femmes a été incendié à Bobigny. Une collecte a été immédiatement lancée pour rassembler les 300 000 euros nécessaires à une remise en circulation à l’identique d’un bus entièrement équipé.

    2. Hypertension artérielle en France : 17 millions d’hypertendus dont plus de 6 millions n’ont pas connaissance de leur maladie.

    TROIS QUESTIONS À…

    “Il faut écouter, sans jugement, ne jamais nier le symptôme”

    Dr Pauline Belenotti, médecin interniste à Marseille (Bouches-du-Rhône)

    Indignée par la différence de prise en charge médicale entre les hommes et les femmes, elle est l’auteure d’une tribune dans le magazine féminin Elle, pour crier son ras-le-bol.

    Fin mars, vous envoyez au magazine Elle un message qui condamne les errances médicales subies par les femmes du fait de leur genre. Pourquoi ce ras-le-bol ?

    Comme je le dis dans cette tribune, combien de fois ai-je rencontré des femmes, souvent jeunes, à qui on a dit « vos examens sont normaux, vous n’avez rien » ? Et cette fois encore, je rencontre une patiente de 20 ans qui était en souffrance et dont on a nié les douleurs de rhumatisme. C’était trop, je devais le crier. Alors j’ai choisi de m’adresser aux femmes, et pour cela, j’ai ciblé un magazine que j’aimais bien et qui s’adresse à elles. C’est un fait, certaines maladies touchant les femmes, et notamment les maladies auto-immunes, occasionnent plus de fatigue, de douleurs sans laisser de trace aux examens. Avec pour conséquences, souvent, d’attribuer tout cela à une cause psychologique, « c’est dans votre tête, vous êtes folle », s’entendent-elles dire. Non seulement cela discrédite les maladies mentales qui sont tout aussi dignes de soins et de considération, mais cela condamne ces femmes à une errance médicale, parfois de plusieurs années, car on ne veut ni les voir ni les écouter.

    Pourquoi, selon vous, ce traitement différencié de la prise en charge des femmes ?

    Lors des études de médecine, mais aussi dans les études infirmières, l’expression des symptômes est traitée de manière générale, non genrée. Or, il existe une différence, on le sait maintenant, c’est notamment le cas pour les maladies auto-immunes. Dans l’enseignement, on a souvent relayé l’idée que les femmes souffraient davantage de troubles psychosomatiques, ce qui n’a pas aidé à prendre au sérieux certaines alertes. Et pourtant, il faut écouter ces personnes : ça paraît idiot de le dire, c’est évident, et pourtant… si ces patientes consultent, reviennent parce qu’on n’a pas trouvé de solution, c’est qu’elles sont en souffrance. S’entendre dire qu’on n’a rien, qu’on est stressée, qu’il faut se détendre est encore plus douloureux pour elles. Presque une double peine. Il faut rétablir la balance : de plus en plus d’études cliniques pointent les différences entre les hommes et les femmes du point de vue de l’expression des symptômes.

    Vous citez la cardiologue Bernadine Healy en disant que rares sont les hommes qui subissent cette discrimination face aux soins. Qu’en est-il ?

    En effet, cette cardiologue américaine avait pointé du doigt les différences hommes/femmes lors de la prise en charge de troubles cardiaques. Ce qu’elle avait appelé le « syndrome de Yentl » (voir ci-dessous). Toutes les patientes que j’ai rencontrées avaient le défaut d’être malades, mais de ne pas en avoir l’air : elles étaient jeunes, courageuses, parfois maquillées, bien habillées, souriantes. Alors, il n’était pas possible qu’elles soient malades. Pourtant, elles essayaient de faire bonne figure et méritaient qu’on les écoute et qu’elles soient prises en charge. Pour toutes ces femmes, aujourd’hui, il faut écouter, sans jugement, ne jamais nier le symptôme, de toute manière, ça ne va pas apporter la solution.

    Le syndrome de Yentl

    En 1991, la cardiologue américaine Bernadine Healy montre l’existence d’un biais sexiste entre les hommes et les femmes : en cas de syndrome coronarien aigu, les femmes sont moins souvent hospitalisées que les hommes. Elle nomme ce biais sexiste « syndrome de Yentl », du nom d’une héroïne d’un roman d’Isaac Bashevis Singer, Yentl, qui doit se déguiser en homme pour être admise dans une école talmudique.