LA VOILE, UN MERVEILLEUX OUTIL POUR SE REMETTRE A FLOT
SOIN
JE DÉCRYPTE
SANTÉ AU TRAVAIL
Pour améliorer le bien-être des professionnels de la santé et prévenir les cas de burn out, l’association Guérir en mer a choisi de les embarquer dans diverses aventures maritimes. Partie de Marseille, l’initiative gagne du terrain.
Les soignants aussi peuvent avoir besoin de soin. Depuis 2019, l’association Guérir en mer(1), à Marseille, accompagne les professionnels de santé fragilisés ou en burn out à travers des colloques, des ateliers et des régates avec, pour résultat, un vrai temps de bien-être. L’initiative s’est exportée aux Sables-d’Olonne (Vendée). Portée par une vague de succès, elle va se concrétiser dans les prochains mois à Lorient, La Trinité-sur-Mer (Morbihan), Cherbourg-en-Cotentin (Manche), Monaco et Cannes (Alpes-Maritimes).
« Au départ, c’était une histoire de copains, mais après quatre années d’existence, le projet a pris de l’ampleur, il est devenu national », souligne Marine Crest-Guilluy, médecin généraliste spécialisée en micronutrition. Guérir en mer est née avant la crise sanitaire d’un échange entre cette professionnelle de santé dynamique et son ami Jean-Baptiste Bourlard, kinésithérapeute-ostéopathe libéral (et trésorier de l’association). Ce dernier, détenteur d’un bateau, l’a initiée à la pratique de la voile dont elle a découvert les bienfaits. « Au quotidien, nous sommes tous à flux tendu, pas forcément en burn out mais nous savons que cela peut nous arriver, précise Marine Crest-Guilluy, présidente de l’association. Or, après une sortie en mer, on ressent des bienfaits physiques et psychologiques. Nous avons donc voulu faire profiter les soignants des vertus thérapeutiques de la voile, que nous avions ressenties sur notre propre état psychologique et physique. » Guérir en mer s’est donc fixé trois objectifs majeurs : prendre soin des soignants car « un soignant qui va bien, ce sont dix soignés qui vont encore mieux », amener les soignants à prendre soin d’eux-mêmes avec « un spi pas un psy », et recréer du lien entre tous les soignants car ils sont « tous dans le même bateau ». Un beau programme, soutenu par la Société nautique de Marseille (SNM), la région Sud (Provence-Alpes-Côte d’Azur) et de nombreux partenaires.
Chaque année, un événement phare est organisé sur trois jours avec un colloque, une régate sur deux jours (en fonction de la météo) et deux soirées festives. Il est voulu et orchestré par des professionnels de santé (médecins, infirmiers, psychologues, kinésithérapeutes…) pour les professionnels de santé. « Cet événement corporate est l’occasion d’expliquer en quoi la voile est un merveilleux outil de soin, préventif et thérapeutique, et de faire de la prévention sur le risque de burn out des soignants », rappelle la cofondatrice de Guérir en mer, qui est chargée depuis le mois de mars de la mission « Santé des professionnels de santé » par la ministre déléguée Agnès Firmin Le Bodo. La troisième édition de l’événement annuel s’est déroulée du 30 juin au 2 juillet avec un programme très riche. Durant la matinée, consacrée au bien-être, ont été proposés des séances de yoga, des massages de shiatsu avec l’association Human Impact – présente dans toute la France et qui propose des séances gratuites aux soignants dans les établissements de soin –, un atelier découverte sur l’aromathérapie et une séance d’hypnose pour les volontaires. « Si vous êtes là, c’est que vous avez besoin de solutions, et la voile a tous les atouts pour aider à surmonter et dépasser les moments difficiles de la vie personnelle et professionnelle. » C’est en ces termes, que Benoît Théoleyre, ORL, médecin de la face et du cou, a commencé le colloque de l’après-midi, qui s’est déroulé à l’espace nautique quai de Rive-Neuve à Marseille (VIIe arrondissement). Il a fait salle comble, preuve que les soignants sont en demande d’outils et de solutions. Le médecin a poursuivi en argumentant : « La voile est un incubateur d’adaptation, une euphorie de stimulations motrices et sensorielles, une activité qui stimule énormément le système vestibulaire. C’est un apprentissage qui capte l’attention, stimule les zones mémorielles et cervicales. Au niveau musculaire, cette pratique n’entraîne pas de pathologies. Mais au-delà de ces aspects, pratiquer un sport permet d’apprendre sur soi-même, autrui et de se confronter à d’autres. Cela favorise la création et la fédération de projets. » Les effets positifs de la voile sur les capacités cognitives et la stabilisation de l’humeur sont eux aussi documentés.
« Depuis le démarrage, les demandes sont croissantes, les infirmières nombreuses et largement majoritaires », fait remarquer Marine Crest-Guilluy. Face à cette demande en hausse, le bureau de l’association a vite mis en place le parcours Guérir en mer (GEM), réservé exclusivement – pour des questions de logistique – à une trentaine de soignants libéraux ou hospitaliers qui ne vont pas bien. Ces derniers, repérés par l’association Med’Aide Inter URPS(2) (une permanence sociale téléphonique à destination des professionnels de santé en exercice libéral de la région Paca), venus par le bouche-à-oreille ou grâce aux réseaux sociaux, remplissent en ligne un questionnaire d’évaluation du burn out appelé « test de Maslach »(3) afin de déterminer leur score. S’ils sont retenus, ils viennent autant qu’ils le souhaitent en fonction de leurs disponibilités et sans prérequis en matière de voile. Le parcours GEM comprend six sorties en mer et plusieurs conférences (sur la période hivernale, quand la navigation est moins aisée) avant les retrouvailles, tous ensemble, pour la régate fin juin-début juillet. Lors de chaque sortie en mer, tout l’écosystème s’engage. Les propriétaires prêtent leur bateau, les skippeurs – rarement des soignants – sont assistés de bénévoles qui endossent le rôle d’équipier afin que les embarcations naviguent en toute sécurité. Depuis mars 2022, plus de 300 soignants ont bénéficié du parcours GEM.
C’est le cas d’Amélie Mounier, infirmière de 39 ans, qui a exercé plus de quinze ans à l’AP-HM, dont de nombreuses années en service de soins intensifs puis en salle de réveil. « J’ai choisi d’être infirmière et de travailler dans des services techniques, confie-t-elle. J’ai beaucoup appris et je m’y suis épanouie. Dans les services techniques et intensifs, la charge émotionnelle est très forte. Mais le burn out, je ne l’ai pas vu venir. En tant que soignant, on a vraiment une propension à ne pas s’écouter. Le burn out reste un sujet tabou à l’hôpital, il existe une forme de honte à en parler… Après neuf mois d’arrêt de travail et un accompagnement psychologique, j’ai intégré le parcours GEM en 2022. Cela m’a fait un bien fou d’accéder au bateau et à la mer, c’était une super expérience. J’ai toujours été sportive, j’aime la mer mais je ne connaissais pas la voile qui me paraissait inaccessible. Sur l’eau, j’ai appris à lâcher prise car on vit dans l’instant et on laisse tout le reste à quai. Cela m’a permis aussi de développer, dans un cadre bienveillant, de nouvelles compétences pour moi, et non pour le travail ou les autres. Et puis, on peut faire des parallèles entre la vie dans un hôpital et la vie sur un bateau. On retrouve notamment l’importance de la place et du rôle de chacun dans une équipe. Tout cela m’a redonné confiance et apporté de la force. » Forte de cette expérience et des liens d’amitié créés avec l’équipe, Amélie Mounier a eu envie de s’investir davantage. Elle a intégré l’association avec notamment une mission de communication sur le parcours GEM au sein de l’AP-HM. Son but est de faire passer le message auprès des infirmiers et des paramédicaux en leur montrant qu’ils ne sont pas seuls. « À l’association, j’ai l’impression d’être utile, entendue, de faire quelque chose de bénéfique, ajoute-t-elle. Et la voile fait désormais partie de ma vie. Cet été, nous avons fait le tour de la Corse en famille. » La voile a été une véritable révélation pour cette infirmière diplômée en 2008, qui s’interroge aujourd’hui sur la suite à donner à sa carrière professionnelle.
Emportée par le dynamisme de sa présidente, l’association ne cesse de développer de nouveaux projets. D’abord en essaimant les rendez-vous dans d’autres villes que Marseille, là où les clubs l’accueillent (le 14 septembre dernier aux Sables-d’Olonne, le 14 avril prochain à La Trinité-sur-Mer, lors des Régates royales 2024 à Cannes…). Une approche qui permet de tisser des liens sur tout le territoire et de toucher de plus en plus de soignants. Autre nouveauté en 2023, la création d’une course 100 % féminine. « C’est une aventure dédiée à 15 femmes professionnelles de santé, sur l’eau, ensemble pendant dix jours, confiait avant l’événement Marine Crest-Guilluy, à l’origine de ce projet. Nous allons avoir trois week-ends de préparation au départ de Marseille, encadrés aussi par des femmes spécialistes de la voile, afin de pouvoir partir ensuite quatre jours en mer avec une déconnexion totale. Le but est de pouvoir s’inspirer des bienfaits de la voile sur la santé, d’acquérir des outils en termes de gestion des émotions, du sommeil, de l’alimentation afin que ces professionnelles de santé les réutilisent dans leur quotidien. C’est l’occasion de leur donner confiance en elles en dehors de leur milieu professionnel ou familial. C’est une invitation à prendre du temps pour elles, à s’inspirer d’un état sur l’eau et du partage avec les voileux pour pouvoir aller mieux dans leur quotidien et continuer à travailler. »
Le 30 septembre, ce sont donc 15 professionnelles du soin (médecin libéral, médecin hospitalier, médecin du travail, sage-femme, infirmière libérale, infirmière hospitalière, ambulancière, aide-soignante, manipulatrice radio, kinésithérapeute, psychologue, ostéopathe, orthophoniste…), venues de la France entière, qui se sont retrouvées à Marseille. Cette aventure, source de bien-être et d’apaisement, a été financée par la région Sud (Provence-Alpes-Côte d’Azur), des mécènes et le laboratoire Therascience, et accompagnée par les associations We Sail (école de voile conçue par des femmes pour des femmes) et Donner des elles à la santé (qui milite pour que le monde de la santé s’engage dans une démarche de mixité). Elle avait en prime, comme marraine, Mathilde de La Giclais, médecin généraliste, spécialisée en médecine du sommeil et skippeuse qualifiée pour la Mini Transat 2023 (course en solitaire). De quoi enchanter le corps et l’esprit.
3. Disponible notamment à l’adresse suivante : urlz.fr/fO0Q
Claire Sellier, médecin psychiatre, diplômée du DIU « Soigner les soignants », Universités Paris 7 et Toulouse 3, a animé pendant près de deux ans, au sein de l’unité des professionnels de santé de la clinique de Châtillon à Valserhône (Ain), des groupes thérapeutiques destinés à des patients soignants hospitalisés en utilisant l’écriture comme média.
« Le point de départ a été « Comment je me soigne ? Comment je prends soin de moi ? », puis cela s’est étoffé avec les séances*, précise-t-elle. J’ai animé plus de 50 groupes de huit à dix personnes. Chacun était là en tant que personne et se présentait par son prénom et non son métier. Je faisais une proposition d’écriture, et après le temps de rédaction, leur travail donnait lieu à des échanges très riches. Toute cette matière m’a permis de dessiner un (auto) portrait de ces soignants en souffrance. Dans le choix d’exercer ce type de métiers, on retrouve souvent un idéal humaniste ou une histoire familiale marquée par la maladie. Et pour les soignants, prendre soin de soi, s’apparente à une espèce de point aveugle. Ils en ont une idée théorique mais très peu pratique. Ils prennent soin des autres mais se négligent eux-mêmes. » w
* Autres questions abordées : comment je suis devenu soignant ? C’est quoi, pour moi, être soignant ? Puis-je être un bon soignant si je suis fragile, si je ne suis pas attentif à mes propres besoins ? Être soignant, si c’était à refaire ?