Infirmière puéricultrice depuis douze ans, Virginie Jeanmet a cofondé Famili’Bulle, au Havre. Cette association, qui propose des consultations individuelles ou collectives avec des infirmières puéricultrices, offre une réponse aux inégalités d’accès des familles aux soins de puériculture.
Virginie Jeanmet : La création de cette association est fortement liée à mon parcours. J’ai commencé ma formation d’infirmière dans l’idée de devenir infirmière puéricultrice (IPDE). Je voulais travailler auprès des enfants et de leur famille, en extrahospitalier, et j’ai toujours gardé ce cap. J’ai d’ailleurs tout fait pour me former à l’école de puériculture Paris Brune (14e arrondissement), qui adopte une philosophie particulière, loin du tout hospitalier, avec une volonté de mettre l’accent sur la guidance parentale. Après cinq ans d’exercice en région parisienne, je suis retournée au Havre, pour des motivations familiales et parce qu’un poste se libérait dans une structure de protection maternelle et infantile (PMI) d’un quartier défavorisé où j’avais déjà exercé en tant qu’infirmière. Là-bas, j’ai constaté un vide dans la prise en charge précoce des enfants et des familles. J’avais toujours le sentiment d’arriver trop tard, d’être face à des enfants ayant des carences majorées. Avec une prise en charge plus précoce, leur situation aurait pu évoluer plus favorablement. Les structures sont également très cloisonnées, manquent d’amplitude horaire, ce qui ne laisse pas vraiment de choix aux parents concernant les professionnels qu’ils peuvent consulter. C’est pour toutes ces raisons que j’ai décidé de fonder Famili’Bulle. Cette structure associative est aussi une réponse à l’émergence des coachs parentaux. En tant qu’IPDE, nous sommes dans le soin, nous maîtrisons le langage médical et socio-éducatif ; cela relève de notre formation et de nos compétences, ce qui n’est pas le cas des coachs.
V. J. : Pour lutter contre ce que nous considérons être une absence d’égalité d’accès aux soins de tous les enfants, nous avons créé, avec deux autres infirmières puéricultrices, un pédiatre, un médecin généraliste, un orthophoniste et des parents, cette association, avec une large plage horaire (du lundi au samedi de 8 heures à 20 heures) offrant différents services permettant une prise en charge globale des enfants. Nous proposons tout d’abord un service de consultation d’infirmière puéricultrice, avec cette volonté de nous inscrire dans le soin. Nous nous rendons au domicile des familles et des enfants, en cherchant à répondre le plus tôt possible aux questionnements des parents. Ils peuvent aussi participer à des ateliers collectifs parents-enfants, ce qui nous permet, à nous professionnels, de prendre soin de l’enfant chez lui et en groupe. Cette démarche permet de renforcer la prise en charge. Enfin, nous intervenons en tant que référent santé et accueil inclusif (RSAI) de l’enfant, au sein d’une quarantaine de crèches de la région. Ce rôle représente une réelle plus-value nous permettant de sensibiliser les adultes entourant l’enfant, en dehors de ceux de la sphère familiale, tout en observant l’enfant « sain » dans un autre environnement. Notre activité est innovante et nous utilisons tous les outils de communication à notre disposition, à savoir les réseaux sociaux ou les radios locales, pour informer les familles des services que nous leur proposons. L’orientation fonctionne aussi avec les sages-femmes libérales et les pédiatres, ou encore avec la maternité du Havre, dès lors qu’ils constatent une vulnérabilité parentale ou de l’enfant.
V. J. : Dans environ 80 % des cas, les parents viennent nous voir pour des problèmes liés au sommeil de leur enfant (réveil nocturne, absence de sieste). Ils nous consultent aussi parce qu’ils se disent « perdus » en raison de toutes les injonctions qu’ils vivent. Aujourd’hui, les parents ne se font plus confiance et viennent chercher, auprès de nous, le curseur afin de s’assurer d’être bienveillants. Dans la majorité des cas, heureusement, ils le sont. Nous intervenons pour de la réassurance, pour leur redonner confiance en capitalisant sur leurs forces. Cela prend du temps, mais nous observons immédiatement les effets sur les enfants. Enfin, les parents viennent aussi nous voir pour des questions liées à la gestion des émotions de leurs enfants ou encore à l’alimentation. Nous répondons vraiment à un besoin. Pour preuve : sur les six derniers mois de 2022, nous avons réalisé 133 heures de consultations individuelles à domicile, au sein de 42 familles pour 50 enfants différents.
V. J. : Actuellement, nos ateliers collectifs sont financés par la Caisse d’allocation familiale (CAF), ce qui démontre, il est vrai, une volonté des pouvoirs publics de donner des moyens à des services comme le nôtre. Mais le financement n’est pas nécessairement à la hauteur du travail fourni. Pour les consultations individuelles au domicile des parents, le programme national « Cités éducatives » datant de 2019, nous permet de recevoir des financements pour les familles vivant au sein de deux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Nous suivons entre 15 et 20 familles, une à deux fois par mois chacune. Cependant, lorsque nous répondons à l’appel à projets – généralement en février –, nous n’obtenons pas de réponse officielle avant juillet et les financements sont versés en fin d’année. Nous travaillons donc sans savoir si nous allons réellement percevoir l’intégralité de la somme. Et pour les parents ne vivant pas dans ces quartiers, aucune prise en charge n’est proposée. Comme nous voulons rendre nos consultations accessibles, nous facturons un tarif de consultation en fonction du quotient familial, donc entre 35 euros et 50 euros, ce qui reste peu élevé pour nous. J’estime que le travail des IPDE sera reconnu le jour où leurs consultations seront accessibles à tous les parents, donc remboursées dans le cadre d’une nomenclature des actes adaptée à leur exercice, et où nous ne serons plus confrontés à des difficultés pour l’obtention de financements pour nos projets.
V. J. : Je suis arrivée à l’ANPDE un peu par hasard notamment parce que j’aime me nourrir des uns et des autres, partager nos connaissances et nos compétences. C’est ce que j’ai trouvé au sein de cette association. L’ANPDE porte de nombreuses revendications et plaide notamment pour le remboursement des consultations d’IPDE. Nous souhaitons aussi une reconnaissance de notre spécificité car nous tenons à nos compétences socles à savoir la guidance parentale, la prise en soins de la famille et de l’enfant. Cela implique une réingénierie de notre diplôme. Nous souhaiterions deux ans de formation – et non plus une seule année –, pour acquérir et obtenir davantage de compétences autour de la clinique, du diagnostic, de la pharmaceutique et de la recherche. Cette reconnaissance en tant que professionnels de santé de premier recours permettrait de réduire les inégalités de santé.
Virginie Jeanmet « Notre travail sera reconnu le jour où nos consultations seront accessibles à tous les parents »
Pourquoi elle Fortement engagée pour la reconnaissance des spécificités de l’exercice, Virginie Jeanmet a rejoint l’ANPDE en 2019, notamment dans le but de défendre la spécialité des infirmières puéricultrices. En parallèle, elle a cofondé une association afin de répondre précocement aux besoins des familles, et ainsi participer à la réduction des inégalités d’accès aux soins des enfants.
2005 Diplôme d’État d’infirmière à l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) du Havre.
2011 Diplôme d’État d’infirmière puéricultrice (IPDE) à l’école Paris Brune.
2013 Directrice adjointe de crèche à Paris.
2018 Coordinatrice de protection maternelle infantile (PMI) dans les Hauts-de-Seine.
2019 Secrétaire générale adjointe et coordinatrice des Journées nationales d’études à l’Association nationale des puéricultrices (eurs) diplômé (e) s et des étudiants (ANPDE).
2019 IPDE en PMI au Havre.
2021 Création de Famili’Bulle au Havre.