CONCILIER DROIT DES RÉSIDENTS ET CONTRAINTES ORGANISATIONNELLES
VISITE EN EHPAD
JE DÉCRYPTE
POLITIQUE DE SANTÉ
La crise sanitaire n’a pas été sans conséquence sur l’organisation interne des Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Le droit de visite des proches des résidents a parfois été réduit à néant afin d’empêcher les contaminations. Pour éviter que de telles situations ne se répètent, une mission interministérielle réfléchit à des recommandations.
Toute restriction au droit de visite ne peut qu’être exceptionnelle et justifiée au regard du bénéfice qu’elle peut apporter au résident », soulignait la Défenseure des droits dans son rapport « Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad [des Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, NDLR] », publié en 2021(1). « La question du droit de visite au sein des Ehpad a été redécouverte au moment de la crise du Covid avec les contraintes sanitaires mais aussi le pouvoir des directeurs à restreindre les visites », souligne Laurent Frémont, enseignant en droit constitutionnel à Sciences Po et fondateur du collectif Tenir ta main(2) qui défend le droit de veiller ses proches hospitalisés. En charge de la mission interministérielle sur le droit de visite, qui lui a été confiée par l’ancien ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, Jean-Christophe Combe, et la ministre déléguée à l’Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, il est amené à s’interroger, aux côtés d’un neuropsychiatre, d’une spécialiste de la maltraitance et d’une spécialiste en gérontologie, sur le respect du droit des résidents. En théorie, un résident peut recevoir, quand il le souhaite, des visiteurs dans sa chambre d’Ehpad, considérée comme un lieu privé. Le Code de l’action sociale et des familles prévoit notamment (article L 311-3) que l’exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Les dispositions législatives et réglementaires en vigueur lui assurent le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité et de son droit à aller et venir librement. Une privation de ce droit n’est pas sans conséquence sur l’état physique et psychique de la personne âgée. « Il y a eu des abus pendant la crise sanitaire et même après, soutient Laurent Frémont. Il ne faut pas généraliser mais la limitation des visites est parfois un prétexte pour cacher des situations de maltraitance. Autoriser les visites, c’est accepter d’être transparent. »
« Ce sujet soulève de nombreuses questions, reconnaît Mickaël Chaleuil, directeur de l’Ehpad Saint- Dominique à Arcachon (Gironde). Pendant la crise du Covid, nous étions pilotés, dans nos décisions, par les Agences régionales de santé (ARS). Nous avons tout mis en œuvre pour concilier la vie de nos résidents et de nos employés avec les enjeux sanitaires. » Dans un contexte de « vie normale », le directeur d’Ehpad rappelle que deux enjeux doivent toujours être menés de front, à savoir le respect du droit des résidents à recevoir des visiteurs, et la qualité et la sécurité des soins dans un contexte de hausse de la dépendance et de vie en collectivité. « Il faut donc trouver le juste équilibre pour tous », insiste-t-il, rappelant que si les recommandations plaident pour la présence de 0,8 salarié pour un résident, la moyenne en France est de 0,65 salarié. Dans la pratique, la cohabitation entre le droit des résidents et le fonctionnement d’un collectif conduit les établissements à instaurer des règles. Au sein de l’Ehpad Saint-Dominique, avant la crise sanitaire, les visites pouvaient avoir lieu à tout moment de la journée, « ce qui était finalement assez désorganisé, pointe Émeline Boudigues, infirmière coordinatrice (Idec) au sein de l’Ehpad. Depuis le Covid, nous avons repensé notre organisation. » Les visites sont désormais préconisées l’après-midi. « Les soignants sont davantage disponibles pour répondre aux questions des visiteurs, car ils ne sont plus dans les soins », indique Mickaël Chaleuil. « Nous voulons que les situations soient adaptées, ajoute l’Idec. Certains résidents ne veulent pas que leurs proches les voient le matin en pyjama ou pendant les soins. Nous devons le respecter. » Bien entendu, pour des raisons personnelles ou dans les cas de fin de vie, les rencontres peuvent avoir lieu en dehors des horaires recommandés, les familles devant simplement prévenir les équipes de leur intention. La mise en place de cette organisation n’empêche donc pas les exceptions. « Nous avons par exemple une résidente qui sort deux fois par semaine avec sa dame de compagnie et rentre à 20 heures, raconte Émeline Boudigues. Nous nous sommes organisés dans le cadre de son projet personnalisé, mais nous ne pouvons pas non plus établir des règles différentes pour nos 99 résidents. Il ne faut pas oublier que nous vivons en collectivité. » De plus, le droit de visite mobilise du personnel, surtout lors de créneaux atypiques. En fin de journée, lorsqu’il n’y a plus de personnel administratif, ce sont aux aides-soignants d’accompagner les personnes extérieures. « Ce temps passé à ouvrir et fermer la porte à un visiteur est du temps en moins auprès des résidents », rappelle Émeline Boudigues.
Pour le moment, aucune recommandation de la mission interministérielle n’a été dévoilée. La réflexion est toujours en cours. Mais Laurent Frémont n’est pas fermé à partager quelques interrogations, tout
d’abord sur la loi. « Est-elle suffisamment explicite ? Faut-il la rendre plus contraignante ou, à l’inverse, se concentrer sur des recommandations ? Nous nous interrogeons », fait-il savoir. En attendant, deux propositions de loi, l’une portant des mesures pour bâtir la société du bien-vieillir en France (groupe Renaissance), sur laquelle le gouvernement a engagé la procédure accélérée, et l’autre visant à garantir le droit à vieillir dans la dignité et à préparer la société au vieillissement de sa population (groupe Socialistes et apparentés), renvoyée devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, suggèrent de consacrer ce droit de visite des résidents en Ehpad.
Les membres de la mission se questionnent également sur la formation des personnels à l’éthique et au droit des résidents, avec la volonté de proposer la création d’espaces de parole sur ces sujets. « Nous aimerions aussi qu’une plus grande place soit accordée au conseil de la vie sociale (CVS), et encourager davantage les familles et les équipes à avoir recours à la médiation en cas de désaccords sur le droit de visite », souligne Laurent Frémont. Et de poursuivre : « L’idéal serait, bien entendu, de permettre les visites vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais nous savons que les établissements ont des contraintes. Peut-être que les proches pourraient être davantage considérés comme des personnes pouvant participer à la vie de l’établissement. » Les conclusions de la mission devraient être remises aux ministres courant novembre.
1. Défenseure des droits, « Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad », rapport publié le 6 mai 2021. urlz.fr/nTD8
2. Laurent Frémont a créé ce collectif à la suite du décès de son père, hospitalisé dans une clinique et qu’il n’a pas pu accompagner en raison des restrictions sanitaires liées au Covid-19.
Défenseure des droits, « Suivi des recommandations du rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad », rapport publié le 16 janvier 2023. urlz.fr/nTD8