L'infirmière n° 038 du 01/11/2023

 

DÉONTOLOGIE

J’EXERCE EN LIBÉRAL

RÉGLEMENTATION

Laure Martin  

Un nombre croissant d’infirmiers libéraux se lancent dans des activités complémentaires. Pour autant, ce double exercice ne doit pas être pratiqué en dehors des règles fixées par les Codes de santé publique et de déontologie dont le Conseil national de l’Ordre des infirmiers (CNOI) est le garant.

Hypnothérapie, réflexologie, naturopathie, artthérapie, ostéopathie : les pratiques complémentaires, dans le domaine du soin et du bien-être sont nombreuses. Or, la législation sur le sujet est loin d’être limpide, et l’étendue des activités et des formations donne lieu à une pluralité d’exercices souvent peu lisibles pour les usagers.

DES OBLIGATIONS POUR LES PROFESSIONNELS

Dès lors qu’il est question d’exercer une pratique parallèlement à l’activité d’infirmier, l’article 10 du Code de déontologie est clair : « L’infirmier ne peut pas conseiller et proposer au patient ou à son entourage, comme salutaire ou sans danger, un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite. » « Dans ce domaine, il relève du Conseil national de l’Ordre des infirmiers (CNOI) de définir les pratiques complémentaires autorisées pour la profession », rapporte Laurent Salsac, infirmier en pratique avancée (IPA) et président du Conseil interdépartemental de l’Ordre des infirmiers de l’Indre-et-Loire et du Loir-et-Cher. À ce jour, une seule peut être exercée dans le cadre de l’exercice infirmier : l’hypnose. » Mais là encore, elle doit se dérouler à l’occasion d’un exercice coordonné, en lien avec un médecin. À titre d’exemple, les infirmiers formés peuvent recourir à l’hypnoanalgésie pour la réalisation de pansements. En revanche, ils ne peuvent jamais l’utiliser pour faire croire à un anneau gastrique hypnotique.

En dehors de l’hypnoanalgésie, si les infirmiers libéraux (Idels) souhaitent pratiquer des activités alternatives, ils se doivent de respecter des règles :

→ l’activité infirmière et celle non conventionnelle doivent avoir lieu dans deux cabinets distincts afin qu’aucun lien ne puisse être établi entre les deux pratiques ;

→ en aucun cas le professionnel ne peut mentionner son métier d’infirmier dans le cadre de son activité non conventionnelle.

LIMITES ET SANCTIONS

« Nous observons que de plus en plus d’infirmiers libéraux se forment à des pratiques complémentaires. Et nous pensons que cela s’explique en partie parce qu’ils n’ont pas d’opportunités d’évolution dans le cadre de leur profession, remarque Laurent Salsac. Aussi, lorsqu’ils souhaitent avancer dans leur pratique ou proposer un accompagnement plus large à leurs patients, ils se tournent vers d’autres disciplines. » Les infirmiers doivent préalablement bien se renseigner sur l’étendue des pratiques qu’ils peuvent exercer. « Certains suivent notamment des diplômes universitaires (DU) en aromathérapie, fait savoir l’IPA. Mais ils ne peuvent pas pour autant prescrire tous les produits issus de l’aromathérapie car cela relève de l’activité médicale ou pharmaceutique. En cas de non-respect des règles, l’Ordre des médecins peut décider de juger les infirmiers pour pratique illégale de la médecine. »

Une infirmière a ainsi été condamnée en 2018 par le CNOI pour avoir utilisé des huiles essentielles sur un patient sans en avoir vérifié l’origine ni la réglementation, alors que certaines d’entre elles relevaient du monopole pharmaceutique du fait de leur toxicité. De plus, l’infirmière n’avait suivi aucune formation spécifique pour l’usage de ces produits. L’Ordre a donc retenu que cela constituait une pratique illusoire. De même, en mai dernier, il a sanctionné une douzaine d’Idels pour avoir délivré des soins d’« hydrotomie percutanée », une pratique scientifiquement non validée. Comme il l’a rappelé, bon nombre de ces pratiques de soins non conventionnelles ne sont pas prouvées scientifiquement. « Le risque est donc de proposer un procédé illusoire au patient, qui peut, de surcroît, se trouver dans un état de fragilité, poursuit Laurent Salsac. Certains infirmiers vont même jusqu’à se servir de leur métier d’origine, à connotation scientifique, pour donner une caution à ces pratiques, ce qui est totalement interdit. » Ce, d’autant plus lorsqu’ils conseillent de remplacer les thérapies conventionnelles par d’autres approches qui ne le sont pas. De plus, ces pratiques généralement non prises en charge - ou en partie par des complémentaires santé - coûtent souvent relativement cher, ce qui conduit à une financiarisation du soin non prouvé.

DES PROTECTIONS POUR LE PATIENT

Ces pratiques n’étant pas conventionnées, les personnes qui les exécutent ne sont pas dans l’obligation de détenir une assurance en responsabilité civile professionnelle (RCP), ni d’informer les patients des « actes » réalisés ou d’éventuels effets secondaires, contrairement aux professionnels de santé qui en ont, eux, l’obligation légale. « Même si ce n’est pas obligatoire, je conseille aux infirmiers les exerçant d’informer leurs clients autant sur les attentes que sur les risques, ne serait-ce que pour une question d’éthique », recommande Laurent Salsac.

Avant de poursuivre : « Ce contexte encourage à travailler sur un statut protecteur pour le patient, afin de poser des règles sur l’information, les résultats attendus et la formation. » De même qu’il serait, à ses yeux, intéressant que les infirmiers mènent des actions de recherche dans ce domaine, afin de démontrer l’intérêt scientifique de ces pratiques. Le ministère de la Santé et de la Prévention a constitué au printemps un Comité d’appui pour l’encadrement des pratiques de soins non conventionnelles (PSNC). Selon Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, la finalité d’un tel travail est d’agir pour la qualité et la sécurité des soins des usagers du système de santé. La réflexion porte plus particulièrement sur la cartographie des pratiques et la notion d’évaluation, sur la formation des professionnels, et enfin sur la notion de parcours et les points d’accès aux pratiques complémentaires.