Si elle a quitté l’hôpital pour se consacrer au domicile, Raphaëlle Jean-Louis n’en oublie pas moins ses pairs, qui exercent dans des conditions toujours plus dégradées. Un tour de France à pied lui a permis d’aller à leur rencontre.
Une expérience aussi enrichissante professionnellement que personnellement.
Raphaëlle Jean-Louis : Je suis hyperactive mais, bien que j’aie emprunté des chemins détournés pour y parvenir, infirmière est pour moi un métier passion. Ma mère l’était et j’adorais aller avec elle dans son service, la voir travailler en blouse. Je ressentais énormément d’admiration. Quand j’étais jeune, je faisais des stages en Ehpad pour gagner un peu d’argent pendant les vacances. C’est comme ça que j’ai décidé de devenir aide-soignante, puis infirmière diplômée d’État (IDE). Aujourd’hui, je me sens infirmière à part entière mais j’ai été lassée par les conditions de travail. J’ai opté pour l’exercice libéral car je n’en pouvais plus de travailler à la chaîne. À force de soigner vite, je ne voyais plus le visage de mes patients. Tout ce qui me passionne dans ce métier, à savoir le côté humain, avait disparu. C’était d’une violence incroyable. J’ai pensé abandonner mais avant, je voulais me donner une dernière chance en découvrant le domicile. Bien m’en a pris car j’adore le fait de pouvoir gérer mon temps comme je le veux. C’est d’ailleurs grâce à cette souplesse que j’ai pu me permettre de partir marcher.
R. J.-L. : Je voulais recenser des témoignages de soignants et comprendre le fonctionnement des établissements français pour me rendre compte par moi-même de la réalité du terrain. C’est un sujet qui me tient à cœur depuis longtemps. Dans mon premier livre , Diplôme délivré (e),(1) je raconte mon aventure d’étudiante infirmière jusqu’à mon stage de fin d’études, que j’ai vécu comme une véritable maltraitance. Depuis, les années ont passé, mais rien n’a vraiment évolué. Quant à l’idée de marcher, elle m’est venue après avoir découvert le profil Instagram d’un jeune homme qui, à la mort de son père, a fait Paris-Alger à pied pour retrouver son grand-père. J’ai l’habitude de marcher depuis toujours : comme ma mère n’avait pas de permis de conduire, nous faisions beaucoup de déplacements à pied. J’y ai tout de suite vu l’occasion d’allier plaisir et utilité. J’ai pris la carte de la France et je suis partie deux semaines plus tard dans le but de faire le tour des hôpitaux du pays.
R. J.-L. : Quand j’ai commencé mon périple en septembre 2022, je partais généralement entre trois et cinq jours d’affilée. Cela m’a permis de rallier à pied successivement Chartres-Orléans, Rennes-Nantes, Nantes-La Rochelle, Toulouse-Carcassonne, Saint-Étienne-Lyon, Châlons-en-Champagne-Reims, tout en continuant à faire des remplacements comme infirmière libérale (Idel). Pour me rendre au point de départ, je me déplaçais en train ou en faisant du covoiturage. Dans les villes que je traversais et où il y avait un hôpital, je me postais devant l’établissement, avec mon affiche accrochée au sac, et j’invitais les soignants à venir me voir pour me parler de leur travail. J’ai toujours été très bien accueillie. Certaines personnes m’ont même hébergée. Sinon, je me débrouillais en plantant ma tente dans un coin ou en dormant dans des gîtes. Après plusieurs mois à ce rythme, je me sentais prête pour la marche la plus importante et la plus symbolique : celle qui partait du palais de l’Élysée, à Paris, pour atteindre le Palais des Festivals, à Cannes. J’ai mis vingt-neuf jours, en marchant environ 30 à 40 kilomètres par jour. Mon objectif était d’arriver pendant le Festival de Cannes en mai dernier, et j’y suis parvenue !
R. J.-L. : Je n’étais pas seule : j’étais accompagnée de mon chien Pixel ! Et puis, je n’avais pas peur, ou plutôt j’avais décidé de ne pas avoir peur, ce qui ne m’empêchait pas de rester vigilante. Durant mes marches, j’étais par exemple géolocalisée au quotidien par mes proches. Une fois seulement, j’aurais pu avoir peur. C’était à l’entrée de la forêt de Fontainebleau, un homme me suivait. Pour qu’il cesse, je me suis retournée brutalement et lui ai parlé d’une voix très grave. Il est parti fissa. J’ai connu aussi d’autres embûches, comme la soif, les intempéries et parfois la difficulté à trouver un endroit pour poser ma tente. Reste que je n’ai rencontré que de belles personnes. Certaines ont même fait un bout de chemin avec moi. Sur le plan physique, je n’ai pas souffert. Le corps s’habitue vite à la marche. Je n’ai ressenti quasiment aucune courbature ni douleurs aux pieds. Il faut dire que j’appliquais quotidiennement une crème antifrottement, un conseil que m’avait donné mon frère, qui pratique le trail. En somme, c’était une aventure incroyable, à la portée de tout le monde.
R. J.-L. : Ce qui émane des nombreux témoignages que j’ai reçus n’est malheureusement pas rassurant. Surtout dans les zones rurales, où les maternités ferment les unes après les autres, mais pas seulement. Dans les grandes villes, la surcharge de travail est telle qu’elle fait fuir le personnel. Résultat : des services disparaissent, et certains craignent de ne plus pouvoir être soignés correctement. Pour les infirmiers libéraux, c’est un peu différent, mais des améliorations seraient tout de même nécessaires, comme d’être payé pour tous les actes effectués sans oublier le déplacement. En revanche, il existe des hôpitaux où cela se passe bien. J’ai reçu des messages de soignants qui se disaient très satisfaits de l’environnement dans lequel ils exerçaient. L’objectif de mon engagement consiste aussi à prendre le positif où il se trouve, et à en parler pour qu’il essaime sur le plan national.
R. J.-L. : Je vais les écrire, mais j’ai surtout l’intention d’en recueillir davantage. Si j’arrête les marches, je vais sans doute continuer différemment mon tour de France. Je ne sais pas encore quelle forme cela prendra. J’ai tellement envie de faire avancer le métier et de montrer combien les soignants méritent que l’on prenne soin d’eux. Je sais que le gouvernement s’intéresse au sujet car j’ai déjà été invitée à l’Élysée lors de la parution de mon livre. Durant mon périple, certaines personnes issues d’une association dédiée au bien-être des soignants sont aussi venues m’interroger. Le sujet fait parler, et j’ai contribué en partie à lui donner de la visibilité. Je suis fière d’avoir pu le faire à ma façon. Mon rêve désormais, c’est de trouver des financements pour mon long métrage, une fiction inspirée de faits réels qui mettra en scène des soignants. Elle est déjà écrite. Ne manquent donc plus que des fonds pour qu’elle puisse se concrétiser.
Aide-soignante, infirmière diplômée d’État (IDE), professeure des écoles, infirmière en libéral (Idel)… à 35 ans, Raphaëlle Jean-Louis a déjà eu plusieurs vies. Mais celle qu’elle préfère et qui la fait se lever le matin, c’est celle d’infirmière. Alors, quand elle comprend que les conditions qu’on lui offre ne lui permettront pas d’exercer correctement son métier, elle prend ses cliques et ses claques et s’embarque pour un tour des hôpitaux de France à pied. De ce voyage, elle revient chargée de témoignages d’autres soignants et débordante de projets pour faire avancer sa profession.
2011 Obtient son diplôme d’aide-soignante à Reims (Marne).
2015 Fin de sa formation d’infirmière à l’Institut de formation en soins infirmiers de Reims.
2015-2020 Exerce comme IDE dans le secteur hospitalier et du handicap.
2021 Décroche un master MEEF à Chartres (Eure-et-Loir), puis fait des remplacements comme professeure des écoles. À partir d’août, travaille comme Idel à Chartres, puis à Nantes (Loire-Atlantique).