PREMIER BILAN DE LA PRATIQUE AVANCÉE EN MILIEU HOSPITALIER
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Trois ans après le retour dans leur établissement des premiers diplômés en pratique avancée, quel regard porter sur l’implantation de ce nouveau métier ? Coup de projecteur sur les stratégies payantes et les obstacles rencontrés.
Quand elle apprend la mise en place de la pratique avancée, Sylvie Madrange, infirmière d’équipe mobile de gériatrie à l’hôpital Les Magnolias de Ballainvilliers (Essonne), est séduite par les perspectives qui s’offrent à elle. Son enthousiasme est partagé dans son établissement en particulier par la directrice des soins qui lui apporte son soutien. Le jour de la rentrée universitaire, l’infirmière apprend qu’elle suivra une formation de deux ans à temps plein. Plus question de faire demitour, la machine est lancée. Les deux années d’études sont intenses et rendues encore plus ardues par une mobilisation contre le Covid. Son diplôme en poche, Sylvie Madrange retrouve son établissement.
Très vite, il s’avère impensable d’exercer en pratique avancée dans les Ehpad, comme il l’avait été envisagé au départ. Sylvie intègre alors l’hôpital de jour où elle assure notamment la prise en charge de patients qui suivent des ateliers de remédiation cognitive. La directrice des soins qui l’a soutenue pendant sa reprise d’études a, quant à elle, quitté l’hôpital. L’infirmière en pratique avancée (IPA) fraîchement diplômée tente de trouver sa place, en l’absence de cadre et sans fiche de poste définie. Le protocole d’organisation rédigé avec la médecin du service lui permet de tenir le cap. « Avec le recul, remarque-t-elle , je crois qu’on peut dire que cela peut être parfois séduisant pour un hôpital d’envoyer une infirmière en formation pour avoir une IPA, sans projet précis, en se disant qu’on verra à son retour. Mais ça ne fonctionne pas toujours. Il faut qu’il y ait un poste un peu construit. C’est comme le bon médicament pour le bon patient, il faut mettre la bonne IPA au bon endroit. »
C’est ce qui s’est passé de manière assez naturelle pour Eva Ester Molina Beltran. Infirmière spécialisée dans la douleur au sein de l’équipe de soins de support de l’Institut Curie, elle a déjà suivi un master de clinicienne. Son établissement a participé à la préfiguration de la pratique avancée avec l’Agence régionale de la santé (ARS) d’ÎledeFrance [cf encadré]. À l’issue de sa formation d’IPA, après avoir discuté avec la cadre du service, elle est aiguillée vers la bonne unité. La spécialité digestive voit son nombre de patients augmenter régulièrement. L’intervention d’une IPA allégera donc la charge des médecins spécialistes qui y sont rattachés. Eva Ester Molina Beltran suit un coaching de près de six mois auprès d’eux afin de disposer des connaissances suffisantes pour pouvoir assurer ses fonctions.
Au Centre Hospitalier Isarien, Établissement public de santé mentale (EPSM) de l’Oise, une démarche proactive a accompagné la mise place des infirmières en pratique avancée. Avant même la création de la mention psychiatrie, Sylvie Marquet, directrice coordinatrice générale des soins, est dans les starting- blocks. Deux premiers candidats sont envoyés en formation dès la rentrée 2019. « Nous étions persuadés que les IPA allaient nous apporter beaucoup, soulignet-elle . Nous avons une pénurie de psychiatres. L’objectif est de mettre en place un dispositif dans le parcours du patient pour redonner du temps au psychiatre pour les “gros patients”. Nous avons mené une réflexion institutionnelle sur ce qu’on attend d’une IPA en psychiatrie et sur ce que l’on fait pour favoriser son implantation. » Le projet d’établissement ménage un axe sur le développement des compétences en psychiatrie. Deux à trois départs en master IPA sont prévus chaque année : il s’agit de disposer à terme de leurs compétences dans chaque CMP (Centre médicopsychologique) de l’établissement.
Alors que les deux premiers étudiants suivent encore leur cursus, un groupe de travail médicosoignant est mis en place, piloté par la présidente de la Commission médicale d’établissement (CME) et la coordinatrice générale des soins, avec les cadres supérieurs de santé. Un an et demi de travaux a permis de formaliser une fiche de poste institutionnelle et un protocolecadre d’organisation. Les étudiants ont été intégrés à ce groupe de travail. Une habitude s’établit : à chaque nouvelle prise de poste, Sylvie Marquet et la présidente de la CME rendent visite aux chefs et cadres de pôle pour expliquer la démarche IPA et accompagner sa mise en œuvre. Une réunion se tient au bout de quelques mois afin d’évaluer comment se passe cette intégration.
Une implantation réussie se fait également grâce à une bonne analyse des besoins. Marine Angot fait partie des premiers diplômés de l’EPSM de l’Oise. Après treize années d’exercice, dont quatre en tant que coordinatrice aux urgences psychiatriques, elle a besoin de progresser dans son métier. Dès son stage en unité psychiatrique mèrebébé au KremlinBicêtre (ValdeMarne), elle est confrontée à un dilemme. « Il y avait beaucoup de médecins et de soignants mais peu de lits. C’était compliqué à gérer. Je me demandais si je devais rester avec les infirmiers ou suivre les médecins. Il me fallait des apports sémiologiques, pharmacologiques, pour avancer, mais en même temps j’avais besoin aussi d’être avec mes collègues infirmiers. » Le bon positionnement se trouve assez rapidement. Les deux corps de métiers ayant peu d’occasions de communiquer, la stagiaire IPA participe aux visites médicales du matin et relate ce qui s’y est dit aux infirmiers lors des transmissions de l'après-midi. Marine Angot s’aperçoit également que rien n’est organisé pour les pères des enfants pris en charge dans le service. Elle propose de mettre en place un groupe « papas » avec une puéricultrice de l’unité. Pendant que celle-ci leur apporte des éléments sur l’interaction avec le bébé et ses soins, l’IPA évalue leur état de manière informelle et réalise des entretiens avec eux quand cela s’avère nécessaire. À l’issue de son stage, cette initiative sera maintenue, assurée par une nouvelle IPA.
De retour dans son établissement d’origine, Marine est affectée à temps partiel aux soins de détenus dans une maison d’arrêt et un centre de détention. Son arrivée a été préparée. Les collègues infirmiers ont dressé une liste de patients considérés comme stabilisés, validée par les médecins. Un livret d’information à destination des patients a également été élaboré au niveau institutionnel. Sa file active grandit, sans anicroches. Les psychiatres des Unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) où elle a débuté sa pratique avancée soutiennent le projet. Seul un médecin généraliste, intervenant dans cette unité, se montre réticent. Il n’adresse pas la parole à l’IPA jusqu’au jour où il doit faire appel à elle. Il s’agit d’évaluer la situation d’un détenu exprimant des idées suicidaires, or aucune autre infirmière de l’unité n’est disponible. Leur collaboration débouche sur la prise en charge des problèmes du détenu et renvoie aux oubliettes l’a priori défavorable du praticien envers Marine. En interne, des difficultés peuvent survenir avec le personnel infirmier ne saisissant pas en quoi consiste la nouvelle forme d’exercice de l’IPA. « Au début, je ne nouais des liens qu’avec les gens qui voulaient bien apprendre à me connaître, raconte-t-elle. Je n’ai jamais été frontale. Je me suis dit : “Mets ton énergie dans autre chose que dans des gens qui pour le moment n’ont pas envie de parler avec toi. Présente-toi à tes patients, vois tes patients et fais ce que tu as à faire”. Avec mes collègues, je me suis concentrée sur l’échange clinique. Peu à peu, tout s’est mis en place. »
À l’hôpital des Magnolias, Sylvie Madrange a rencontré les mêmes réticences de la part des soignants. « On part infirmière, on revient IPA. Ils ne comprennent pas toujours bien notre nouveau positionnement, explique-t-elle. Ce qui est difficile aussi, c’est qu’on est parfois associées aux cadres. On nous demande de régler des problèmes qui ne sont pas de notre ressort. De mon côté, les choses se sont améliorées au bout de quelques mois, quand j’ai commencé à mieux appréhender mon poste et que je me suis affirmée. Il y a eu également l’arrivée d’une cadre dans notre service, ce qui nous a permis de bien définir les périmètres de chacun et de clarifier les choses auprès des soignants. » Le travail, en complémentarité avec la médecin de son service, est beaucoup plus fluide. Pour ses entretiens de suivi, elle part du compte rendu de la praticienne, qui lui fait savoir sur quels sujets elle aurait besoin que Sylvie revienne avec les patients. Cette évaluation approfondie permet d’affiner la prise en charge. Un point hebdomadaire est fait avec la médecin afin d’aborder les difficultés qui ont pu apparaître et d’élaborer une stratégie leur permettant d’avancer.
À l’Institut Curie, Eva Ester Molina Beltran travaille également en partenariat étroit avec les médecins de son service. Formée à leurs côtés, elle a pris son autonomie au fur et à mesure. « La confiance s’installe progressivement avec le temps. J’ai pu leur prouver que j’avais acquis suffisamment de connaissances et de compétences poussées, que je connais mes limites, que je sais jusqu’où je peux aller dans mes réflexions et dans mes prises de décisions. De mon côté, je sais que je peux leur faire confiance. Ils me soutiennent dans mes choix et je peux les solliciter à chaque fois que j’en éprouve le besoin. » Pour que l’implantation de la pratique avancée porte ses fruits au sein d’un service elle doit nécessairement se faire en complément de la pratique médicale. L’importance du binôme soignant-médecin se retrouve d’ailleurs à la tête des institutions. La directrice coordinatrice générale des soins Sylvie Marquet souligne que la clé de voûte de la mise en place de la pratique avancée dans son établissement est le soutien et la participation de la présidente de la CME.
La raison d’être de la pratique avancée est le bénéfice apporté aux patients. Très vite, Eva Ester Molina Beltran centre son suivi sur l’amélioration de la prise en charge des patients présentant des fragilités déterminées : cancers très avancés menaçant le pronostic vital, avec des chimiothérapies lourdes, mais aussi en cas de symptômes non contrôlés, d’altération du point de vue nutritionnel ou fonctionnel ou de score de fragilité oncogériatrique avancé. L’IPA voit les patients après la consultation d’annonce médicale pour établir leur parcours de soins, en fonction d’une évaluation globale. Ce parcours a rapidement été amélioré : « Même si nous trouvons que ce parcours fonctionne bien, témoigne l’IPA , ce n’est pas suffisant pour ce type de patients. Ils sont très fragiles et ont besoin d’un suivi plus soutenu. La littérature scientifique montre que c’est l’activité physique qui est susceptible de leur apporter le plus de bénéfices ». Le nouveau parcours prévoit trois séances hebdomadaires d’activité physique adaptée (APA), à distance. Un dispositif permis grâce à une application sur laquelle il sera possible de centraliser le suivi de l’APA, la toxicité des chimiothérapies, la perception d’effort et de fatigue des patients, ainsi que de suivre l’évolution de leur poids. Le patient pourra communiquer avec l’équipe soignante, alerter sur ses symptômes, recevoir des réponses rapides à ses questions voire obtenir un ajustement ou une modification de son traitement.
À l’EPSM de l’Oise, Marine Angot a également élaboré un parcours patient avec le chef de pôle de la permanence des soins, des collègues infirmières et diététiciennes et l’unité Sport et Loisirs de l’établissement. Le syndrome métabolique a été identifié comme touchant 66 % des usagers de la psychiatrie, qui meurent plus fréquemment que la population générale d’un arrêt cardiaque. Trois anomalies sur cinq (taux de triglycérides et de cholestérol élevés, taux de bon cholestérol bas, diabète ou prédiabète et un tour de taille trop important) sont à prendre en compte pour le prévenir. Parfois négligés par les médecins faute de temps, ces marqueurs peuvent être repérés à l’occasion d’une consultation IPA. En fonction de son évaluation et du désir du patient, Marine Angot élabore un parcours de soins personnalisé, pouvant comprendre un suivi diététique, allant de l’éducation à la santé, une remise en mouvement et la participation à des ateliers diététiques.
La possibilité de travailler de manière plus autonome, en mobilisant des compétences cliniques élargies, tout en améliorant la prise en charge des patients fait partie des satisfactions que connaissent les IPA. C’est ce que ressent Sylvie Madrange pour son suivi en hôpital de jour « Les personnes âgées n’ont pas forcément de famille présente, elles n’ont pas toujours de médecin traitant ou il n’est pas facilement joignable. Le fait d’avoir cette consultation tous les trois mois leur donne un objectif. Elles ne sont pas livrées à elles-mêmes, après leur prise en charge en hôpital de jour. On ne peut pas résoudre tous leurs problèmes, on n’a pas de baguette magique, mais les écouter et leur apporter quelques réponses, cela les réconforte. C’est satisfaisant pour tout le monde, y compris les familles. » Pour sa part, Marine Angot se félicite des temps d’échanges cliniques qu’elle a instauré avec les infirmières de son service. En abordant avec elles des cas concrets, elle peut transmettre ses connaissances à de jeunes collègues très demandeuses d’informations plus approfondies et d’apports sémiologiques . « Elles rédigent à présent différemment leurs transmissions » se réjouit-elle.
Les prises de postes des nouveaux diplômés en pratique avancée ne se réalisent pas toujours dans les meilleures conditions, notamment s’ils ne sont pas suffisamment accompagnées par l’institution. Les premiers diplômés ont parfois joué un rôle de précurseur et ont dû convaincre de l’utilité de leur fonction. Certains se sont même résolus à quitter l’établissement pour lequel ils travaillaient initialement, pour en rejoindre un autre mieux préparé à les intégrer. Mais cet exercice tend à s’imposer comme un maillon de plus en plus précieux dans la prise en charge des patients complexes. Dans les hôpitaux, des groupes de travail regroupant les IPA se structurent, améliorant leur visibilité et facilitant l’intégration des recrues. Les réticences s’effacent. Sylvie Marquet souligne qu’au début de l’implantation de la pratique avancée dans son centre hospitalier, seuls deux médecins étaient convaincus de son utilité. À présent, la majorité des praticiens qui refusaient de travailler avec une IPA sont revenus sur leur position. Le problème principal qui se pose maintenant à la coordinatrice des soins est de faire face à l’afflux de patients pris en charge par des IPA. Et la prochaine étape qui se dessine est l’amélioration des relations avec les professionnels de santé en ville.
2014 L’ARS Île-de-France, en association avec huit hôpitaux, deux centres de lutte contre le cancer et sept universités, met en place le projet de préfiguration des infirmières cliniciennes spécialisées, futures IPA.
Janvier 2016 La loi de Modernisation de notre système de santé reconnaît l’existence du métier d’IPA, officiellement enregistré au Journal officiel en juillet 2018.
Trois mentions sont alors reconnues : « pathologies chroniques stabilisées », « oncologie et hémato-oncologie » et « maladie rénale chronique, dialyse, transplantation rénale ».
2018-2019 Lancement des premiers masters 1 en pratique avancée.
Août 2019 Ajout de la mention « psychiatrie et santé mentale ».
Octobre 2021 Reconnaissance de la mention « urgences ».
Jusqu’à cette rentrée, Eva Ester Molina Beltran consacrait un cinquième de son temps à la recherche. L’occasion pour elle de réaliser une étude rétrospective portant sur le parcours de soins auquel elle participe pour les patients vulnérables. « Nous sommes un métier extrêmement jeune en France, souligne-t-elle Je pense que pour montrer notre plus-value, il faut absolument passer par la recherche. À part la satisfaction des patients et des collègues, il faut mener des recherches pour pouvoir donner des chiffres. » Ses premières conclusions ont permis de cerner comment améliorer ce parcours. À cette rentrée, l’IPA de l’institut Curie démarrera un cursus de thèse pour lequel elle bénéficiera d’un mi-temps. Son étude prospective portera sur le nouveau parcours de soins qui est en train de se mettre en place et qui intègre l’apport intensifié de l’activité physique adaptée et le recours à une application pour un suivi plus fin et rapproché. De son côté, Marine Angot, à l’EPSM de l’Oise, se prépare à piloter un projet de recherche visant à mesurer l’impact du parcours de soins qu’elle a contribué à mettre en place pour le suivi du syndrome métabolique des patients de son établissement. L’objectif est de se présenter à l’appel à projet du ministère de la Santé, avec le soutien de la Fédération régionale de recherche en santé mentale et psychiatrie DRCI (Direction de la recherche clinique et de l’innovation) de son établissement. Ce projet pourrait englober le parcours de soins également mis en place par les IPA du CHU de Lille, qui se sont inspirés de l’expérience de l’EPSM de l’Oise pour mettre en place le même type de suivi. Ici encore, il s’agira de prouver scientifiquement les apports de la pratique avancée.