L'infirmière n° 038 du 01/11/2023

 

JE ME FORME

PRISE EN CHARGE

Éléonore de Vaumas  

À Nantes (Loire-Atlantique), l’unité psychiatrique de l’hôpital Saint-Jacques ne ferme jamais. Toutes les nuits, les infirmiers se relaient pour assurer la continuité des soins et accueillir les nouveaux patients. Plongée au cœur de leur quotidien nocturne.

Une pluie battante cueille Marion Brun à la sortie du bâtiment où se trouve son bureau. Blouse blanche surmontée d’un épais gilet de couleur identique, l’infirmière ne s’en émeut guère et file d’un bon pas, zigzaguant avec aisance à travers un dédale de cours pavées, escaliers et parkings plongés dans l’obscurité. Au bout d’une dizaine de minutes et autant de portes déverrouillées et reverrouillées à sa suite, la jeune femme franchit le sas de l’unité fermée Matisse, première étape de sa tournée nocturne. Là, elle retrouve Sophie et Frédéric, les deux infirmiers en poste ce soir-là, tandis que, dans les couloirs attenants où une trentaine de patients sont hospitalisés, règne un calme olympien. « Pour le moment, tout est tranquille mais cela peut basculer à tout instant. La nuit, les angoisses ressurgissent. Certains patients y sont particulièrement sensibles et ont besoin qu’on les rassure longtemps », décrit Marion, qui, lorsqu’elle voit des soignants assoupis, n’hésite pas à les réveiller. « Même au cœur de la nuit, les infirmiers doivent rester en état d’hypervigilance pour être prêts à réagir au moindre mouvement ou bruit suspect », poursuit la coordinatrice qui, depuis un an, fait fonction de cadre de santé à l’hôpital Saint-Jacques. En psychiatrie, la nuit est rarement un long fleuve tranquille, notamment autour de la pleine lune et au printemps, périodes où les soignants courent souvent d’un patient à l’autre. Voilà de quoi tordre le cou à un préjugé solidement ancré sur le travail de nuit des infirmiers. « Certaines personnes, y compris des professionnels, s’imaginent que nous n’avons rien d’autre à faire que de veiller sur le sommeil de nos patients. C’est bien mal connaître notre métier ! C’est vrai que le rythme est différent, moins bouillonnant que la journée, mais cette vision est loin de définir l’ensemble de nos tâches qui sont nombreuses », recadre Sophie.

ASSURER UNE CONTINUITÉ COÛTE QUE COÛTE

Préparer les patients pour la nuit, veiller à leur sécurité et à celle des autres, vérifier la prise de médicaments et en assurer les commandes, prévoir les bilans sanguins pour le lendemain, ainsi que les permissions pour ceux qui sont autorisés à sortir, accueillir les nouveaux patients transférés depuis les urgences, dresser le petit-déjeuner, sans compter les rondes à effectuer à au moins trois reprises… les missions nocturnes s’enchaînent, complémentaires au travail réalisé par les équipes de jour. « Dans ce genre de services ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, on participe à la continuité des soins. Si les patients ne sont pas correctement pris en charge durant la nuit, ils n’iront pas bien pendant la journée. À l’inverse, s’ils sont apaisés, les soins prodigués le jour seront d’autant plus efficaces », remarque Corinne, venue épauler l’équipe de cette unité. Depuis quelques mois, l’infirmière officie une à deux nuits par semaine en renfort. Sa mission ?

Prêter main-forte aux équipes soignantes, touchées, à l’instar de nombreux hôpitaux, par l’absentéisme. Comme elle, été comme hiver, des dizaines d’infirmières diplômées d’État (IDE) se relaient aux côtés des équipes de nuit pour éviter la fermeture de certaines unités faute de personnel. « Chaque service tourne normalement avec deux IDE entre 21 heures et 7 heures du matin. Cette nuit, j’ai dû en faire remplacer un sur deux à la suite de nombreux arrêts maladie », regrette Marion Brun, dont le rôle consiste à gérer la suppléance et le renfort des quinze services que compte l’hôpital psychiatrique nantais. Pour pallier ce sous-effectif récurrent, le CHU de Nantes expérimente aussi, depuis le Covid, deux types de prestations : la première, à l’attention du personnel de l’hôpital, vise à proposer un contrat « heures supplémentaires » dans lequel les volontaires s’engagent par écrit à réaliser deux nuits de plus par mois ; la seconde, appelée Hublo (le nom de la plateforme par le biais de laquelle elle est mise en place), permet aux soignants de s’inscrire en ligne pour faire des nuits à la demande. « Sans eux, nous n’aurions pas pu fonctionner jusqu’ici, mais il en faudrait encore plus car il arrive que je sois obligée d’envoyer cinq à sept soignants en même temps pour contenir un patient agité », résume la responsable.

COHÉSION ET AUTONOMIE

S’il lui a laissé une petite heure de répit, le téléphone, que cette dernière emporte partout, se remet à sonner. À l’autre bout du fil, un IDE demande du renfort pour calmer un patient très agité se trouvant en chambre de soins en isolement (CSI). Quatre appels à des membres de son personnel et deux minutes plus tard, l’affaire est réglée. Il est alors 2 h 30 du matin, et l’infirmière coordinatrice reprend sa tournée. Direction, cette fois, l’unité ouverte Maupassant, où la responsable est accueillie, comme à chacun de ses passages, avec de grands sourires par le personnel de garde. « C’est ce qui me plaît dans le travail de nuit, l’ambiance y est plus cosy et feutrée, propice aux confidences. On est très soudés et je sais que je peux me reposer sur mes équipes. La nuit, on n’a pas non plus de pression de la part des cadres et des médecins. De quoi se sentir plus libres ! » confesse-t-elle. Avec un interne en psychiatrie, un autre dédié au versant somatique et un directeur administratif de garde, les infirmiers de nuit sont en effet plus autonomes. Un aspect qu’apprécie également Frédéric. « Globalement, lorsqu’on accueille les patients dans nos services, on gère tout seul. Les internes n’interviennent que si nous avons déjà épuisé tous les ressorts. Souvent, ils nous font confiance, d’autant plus quand les admissions sont nombreuses », reconnaît l’infirmier chevronné. Pour l’heure, seules trois personnes ont été hospitalisées depuis le début de la nuit. Marion Brun, à qui revient la charge d’orienter les patients entrants en fonction des données transmises par les services d’urgences psychiatriques, espère que le calme se maintiendra jusqu’au petit matin.

À DURÉE LIMITÉE

À son arrivée dans l’unité Dalí, dernier stop avant la fin de sa tournée, ses espoirs semblent se confirmer. À peine perçoit-on le léger cliquetis d’un clavier, signe de la présence des deux infirmiers concentrés face à leur écran. Encore alerte malgré l’heure tardive, le duo offre un visage avenant lorsque leur responsable paraît. « Passé 1 heure du matin, on est toutefois forcément plus fatigués, et, entre 3 et 4 heures du matin, il faut souvent lutter contre l’endormissement », tempère Ludivine, qui a été appelée ce soir-là pour remplacer un troisième arrêt maladie. « Je fais ça occasionnellement, surtout pendant l’été, car je préfère travailler le jour. Pour avoir déjà essayé de travailler la nuit, je sais que cela ne me convient pas. Cela me rend irritable et je suis épuisée tout le temps. » S’il arrange surtout les parents qui peuvent ainsi profiter de leurs enfants le matin et la journée, rares sont ceux qui projettent de maintenir ce rythme durant toute leur carrière professionnelle, y compris les personnes qui semblent s’en accommoder comme Sophie. « Je suis complètement insomniaque, donc quitte à ne pas dormir autant être payée, ironise l’ancienne aide-soignante reconvertie en 2019. L’inconvénient, c’est que le corps prend cher sur la durée. Il faut arriver à trouver un équilibre pour ne pas être sans cesse dans la réadaptation. » Le jour pointe lorsque Marion Brun rejoint finalement son bureau. Les yeux légèrement embués par le sommeil, l’infirmière conserve pourtant suffisamment d’énergie pour traiter encore quelques mails et peaufiner le planning. Dehors, il pleut toujours à fines gouttes étonnamment fraîches pour ce mois de juillet.