Malmené depuis plusieurs années, le secteur gériatrique, et en particulier les Ehpad, est aussi le théâtre de belles initiatives. Pour l’illustrer, le projet photographique « Gestes conscients d’apaisement », mené en 2023 dans la résidence Jeanne de Kervénoaël à Pontivy (Morbihan), s’est attaché à faire toute la lumière sur l’expertise gestuelle de ses soignants. Un projet qui a fédéré au-delà des espérances.
On dirait une danse. De celles qui arriment le regard tant elles dégagent de l’harmonie. En réalité, sur ce cliché où se mêlent le rouge et le noir, point de valse, ni de polka, mais un infirmier qui, de ses bras solides et rassurants, enlace sa patiente dans un geste empli de douceur. La même douceur que l’on retrouve dans la photo suivante, qui immortalise une soignante en train de recoiffer délicatement une résidente, ou encore sur la photo voisine où infirmière et dame âgée semblent s’unir dans une seule caresse… « J’ai vu des gens pleurer devant mes photos ; je n’en espérais pas tant, même si mon souhait était de transmettre l’émotion que j’ai pu ressentir en observant les professionnels pratiquer leurs soins », concède Cédric Martigny, auteur de l’exposition « Gestes conscients d’apaisement » qui s’est tenue au mois du 28 juin au 15 juillet à la résidence Jeanne de Kervénoaël située à Pontivy. Telle était justement l’ambition de ce projet qui visait à valoriser la prise en charge des résidents par les soignants, en faisant la lumière sur tous ces petits gestes qu’ils réalisent au quotidien. « Lorsque nous avons imaginé le projet en 2021 avec le photographe et Nathalie Robic, [cadre de santé au sein du Groupe hospitalier Centre Bretagne (GHCB), ndlr], le choix s’est rapidement porté sur un Ehpad, afin de de montrer qu’il se passe aussi de belles choses dans ce type de structure, et ainsi prendre le contrepied de l’image véhiculée par les médias actuellement », décortique Fabien Ferey, dirigeant de l’Atelier des pratiques, qui dispense des formations médicosociales.
Parmi les formations dispensées, celle intitulée « Gestes conscients d’apaisement » (GCA) a servi de point de départ du projet en décembre 2022. Son atout ? Proposer une approche inédite du toucher, à la fois douce et précise, conçue pour soulager une personne en souffrance et facile à mettre en pratique dans de nombreuses situations de la vie quotidienne, que ce soit pour se lever, se dire bonjour, ou avant un soin. Idéal donc pour illustrer un tel projet. « Cela fait longtemps que je voulais faire un travail sur le bon geste. Ce qui m’intéresse c’est de montrer le monde à travers les gestes que les professionnels accomplissent tous les jours. Celui du soin est à la fois sensible et sensuel mais beaucoup de gens l’ignorent », complète Cédric Martigny qui a également participé à la formation, en même temps que les douze soignants volontaires. La formation achevée, la phase de prise de vue a pu démarrer, alternant clichés capturés en studio et photos en situation ; les premières se focalisant sur les différentes parties du corps tandis que les secondes visaient à représenter les temps forts d’une journée. Aucune improvisation n’était de mise, mais le souci du détail et de la lumière : photos en clair-obscur pour mettre en valeur le geste ou clichés volontairement surexposés pour donner une ampleur théâtrale aux images. « L’idée était d’être dans une esthétique très picturale, à la façon du Caravage, dévoile l’artiste. Dans mon travail, je ne photographie rien de manière naturelle. Chaque photo est réfléchie et refaite si nécessaire. Pour ce projet, j’en a pris des centaines et des centaines. »
Plus habituée à rester dans l’ombre qu’à poser, Magali Bengon, infirmière redoutait cette étape. C’était sans compter sur la force du projet qui a achevé de lever ses appréhensions. « Au départ, ce qui m’intéressait c’était de participer à la formation car je considère que l’enseignement de ce type de gestes devrait faire partie de la formation initiale d’infirmière diplômée d’État (IDE) et d’aide-soignant. J’avais vraiment peur de passer devant l’objectif, je n’aime pas me mettre en avant, mais nous avons été mis en confiance », concède la soignante qui se dit aujourd’hui « honorée » d’avoir vécu cette expérience. Pour gagner sa confiance, celle des professionnels et celle des résidents, le photographe s’est installé pendant un mois dans l’établissement médicosocial. Trente jours d’immersion complète pour s’imprégner de l’organisation de l’Ehpad, des tâches associées aux différents métiers et ainsi obtenir des images traduisant les gestes aussi fidèlement que possible. Durant les prises de vue, un relai était assuré entre les soignants, de façon à permettre aux « modèles » de s’absenter sans perturber la prise en charge des résidents. « Cette étape était sans doute la plus délicate du projet. Cela supposait que les collègues soient d’accord pour se rajouter du travail alors qu’ils n’en manquent pas, mais aussi que la direction soit motrice. Parallèlement, il a aussi fallu que nous récupérions toutes les autorisations en lien avec le droit à l’image ; ce qui n’est pas évident quand on a affaire à des personnes qui n’ont pas forcément la capacité de dire oui. Mais, finalement, tout le monde a adhéré à 300 % », se réjouit Fabien Ferey.
À en croire leurs réactions lors du vernissage le 27 juin dernier, l’adhésion fut unanime de la part des spectateurs, officiels et anonymes, venus en nombre. « L’émotion était palpable, les commentaires, enthousiastes », confirme Nathalie Robic, fière d’avoir réussi à braquer les projecteurs sur un tel projet. A été notamment saluée la capacité à incarner, à travers des images, le non-verbal qui, en gériatrie, s’avère primordial. « Beaucoup de choses passe par ce biais. Ces photos réussissent l’exploit de saisir cela tout en dégageant une véritable humanité. J’en suis très contente », appuie Magali Bengon. Autre preuve de son succès : le projet, qui a coûté au total 11 000 euros (financés par des fonds associatifs et régionaux), fera l’objet d’une nouvelle exposition le 16 avril 2024 lors de la journée régionale de gérontologie, organisée par l’ANFH (Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier) et le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) de Bretagne à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor). « L’idée c’est aussi que l’exposition continue à vivre dans d’autres établissements de Bretagne et qu’elle fasse parler d’elle. Ce ne sera que positif pour ce secteur, espère Fabien Ferey. L’art a toute sa place en Ehpad. »
Définition des GCAÒ
La pratique des GCAÒ, ou gestes conscients d’apaisement, comprend toutes les interventions tactiles du soignant auprès des patients, des personnes en situation de handicap ou de dépendance – du simple contact à l’élaboration d’un geste plus relationnel. Ces gestes permettent aux soignants de soulager et de détendre les personnes[1].
Les GCAÒ proposent une approche par le toucher qui insiste sur la conscientisation du geste posé sur la personne et qui exige une vigilance et une attention particulière du soignant vis-à-vis de la personne souffrante.
Les GCAÒ
Gestes : Apprendre des gestes techniques décrits, précis et réfléchis.
Conscients : Développer mes qualités propres du toucher, être là, ni plus ni moins !
Apaisement : Créer une intention dans une dimension « psycho-relationnelle ».
Les GCAÒ font d’abord appel à la spontanéité et au désir de prendre soin.
[1] Hentz F., Muliez A., Belgacem B. et al., Évaluation. De l’impact du toucher dans les soins infirmiers. Résultats statistiques d’une étude multicentrique, prospective et randomisée, Recherche en Soins Infirmiers, n° 97, 2009, p. 92 (Annexe 6).