L'INFIRMIERE n° 0039 du 22/11/2023

 

JE ME FORME

Dossier réalisé par Anne-Lise Favier

  

Ce trouble fonctionnel touche un grand nombre de femmes et d’hommes. Mais quels sont les mécanismes de l’incontinence urinaire et comment est-elle diagnostiquée ? Au-delà du tabou, la parole des patients doit s’ouvrir car des solutions thérapeutiques existent afin de retrouver un meilleur confort de vie.

L’incontinence urinaire peut toucher n’importe quelle personne, quel que soit son âge et sans distinction de genre. En France, elle concernerait entre 5 à 40% de la population. Des chiffres très variables et relativement peu récents qui pourraient indiquer le faible intérêt des autorités à se saisir du sujet. En effet, lors d’une étude menée en 2003 sur la prise en charge de l’incontinence urinaire de la femme en médecine générale, la Haute autorité de santé (HAS) déplorait déjà le manque de données épidémiologiques sur l’incontinence, citant deux études épidémiologiques qui rapportaient des chiffres semblables : « dans la première, l’incontinence urinaire concernait 12,8 % des femmes de 18 à 23 ans, 36,1 % des femmes de 45 à 50 ans, et 35 % des femmes de 70 à 75 ans. Dans la seconde la prévalence de l’incontinence urinaire était de 25 % pour l’ensemble de la population féminine étudiée et 8 à 32 % pour les femmes nullipares, prévalence croissante avec l’âge dans ce groupe ». En 2007, l’Institut national de veille sanitaire (absorbé depuis par Santé Publique France) et le réseau Sentinelles ont mené une enquête de prévalence (1) sur une population de 2183 patientes vues en consultation par leur médecin le jour de l’enquête : parmi elles, 26,6% des femmes présentaient une incontinence urinaire avec une augmentation significative de la prévalence de cette incontinence avec l’âge. De son côté, l’Assurance maladie considère que l’incontinence concerne au moins 2,6 millions de personnes de plus de 65 ans, précisant qu’elle peut également toucher les personnes plus jeunes.

« Sa fréquence est cependant difficile à estimer. En effet, peu de personnes consultent pour ce motif, considérant que l’incontinence urinaire est liée au vieillissement », précise-t-elle. Selon les données qu’elle dévoile, les fuites urinaires concernent environ une femme sur trois de plus de 70 ans, 7 à 8 % des hommes de 65 ans et plus de 28 % des hommes de plus de 90 ans. Ce n’est pourtant pas une maladie gériatrique puisqu’elle touche, comme le confirment les spécialistes consultés pour ce dossier, une population relativement variée en âge et chez laquelle l’incontinence urinaire peut avoir un retentissement social important. Pourtant, ce n’est que lorsque ce trouble devient gênant qu’il conduit à la consultation. « Encore faut-il définir ce que peut être la gêne ressentie chez une patiente : pour certaines, une fuite par mois sera vécue comme intolérable alors que d’autres s’accommoderont de petites fuites quotidiennes. Il y a donc le vécu qui est important à rechercher dans la prise en charge », remarque le Dr Xavier Biardeau, urologue au CHRU de Lille (Nord). Reste qu’il est parfois compliqué de verbaliser cette gêne tant le sujet de l’incontinence demeure tabou. « L’incontinence est la première cause d’institutionnalisation, ce qui renvoie inévitablement à l’idée de la vieillesse, à la honte de porter des couches ou d’avoir des soucis d’hygiène », estime le Pr Xavier Gamé, urologue au CHU de Toulouse (Haute-Garonne) et président du Conseil national professionnel d’urologie. Une enquête miroir (2) menée en 2019 auprès de patients concernés et de professionnels de santé (médecins généralistes, urologues et gynécologues) montre que la perception de l’incontinence reste un tabou chez les patients : « le niveau de gêne liée à l’incontinence est semblable à celui ressenti pour une pathologie cancéreuse pour respectivement 36% et 37% des participants. Fait marquant, cette gêne est plus prononcée que celle ressentie pour les infections sexuellement transmissibles, les troubles de l’érection ou la sexualité », note l’étude. Plus surprenant, les médecins surévaluent le tabou ressenti par les patients : « l’incontinence constitue un tabou pour 51% des patients interrogés alors qu’elle a été évaluée comme un tabou pour 85% des généralistes et 75% des spécialistes », poursuit l’enquête. « La question est tellement taboue que 49% des interrogés n’en parlent même pas à leur conjoint », ajoute le Pr Xavier Gamé [cf. encadré « L’incontinence chez l’homme : encore plus tabou ? »]. Alors que cette incontinence est vécue comme une contrainte au quotidien dans 44% des cas et que la moitié des patients évoque une perte d’estime de soi, les médecins généralistes interrogés pour cette étude estiment que « les patients ne leur parlent pas de leur incontinence parce qu’ils pensent que ce n’est pas une maladie mais plutôt une fatalité qu’ils arriveront à gérer seuls ». Message d’autant plus ancré dans les esprits que la publicité a longtemps laissé penser que l’incontinence était une fatalité avec laquelle il fallait composer [cf. encadré « Les protections ne sont pas la norme »]. Mais de l’avis du Dr Xavier Biardeau, il y a aussi une forte méconnaissance du sujet chez les généralistes. « Ils sont très bien formés et informés sur les pathologies cardiaques, le diabète, etc. mais sur l’incontinence, qui est loin d’être une pathologie de niche et qui touche une grande partie de la population, il y a vraiment un déficit de connaissances du sujet », se désole l’urologue. D’où l’importance de briser le tabou et d’en parler car des solutions existent.

L’incontinence urinaire est un trouble fonctionnel qui se définit par la perte involontaire d’urine par l’urètre, le canal qui évacue l’urine depuis la vessie vers l’extérieur. Les recommandations internationales de l’International Consultation on Incontinence (ICI) répertorient onze types d’incontinence, « mais pour simplifier et couvrir l’ensemble des situations, on les regroupe en trois grands types », résume le Dr Xavier Biardeau.

  • L’incontinence à l’effort, qui va survenir lors d’un effort de poussée abdominale, tel que la toux, l’éternuement, l’activité physique, la marche voire la verticalisation.
  • L’incontinence par urgenturie (également appelée impériosité), c’est-à-dire une envie urgente, brutale que le patient ne peut retenir.
  • L’incontinence mixte, qui regroupe les deux précédentes en proportion variable.

D’après l’Assurance maladie, la première représenterait 40% des cas d’incontinence urinaire, la deuxième 10% et l’incontinence mixte 50%.

  • Mécanismes de l’incontinence à l’effort :
    • L’insuffisance sphinctérienne. Le sphincter, muscle circulaire autour de l’urètre, se contracte insuffisamment au moment où il faut retenir les urines. Cela peut survenir avec l’âge, les structures sphinctériennes étant moins fonctionnelles mais aussi dans les maladies neurologiques périphériques (patients qui ont eu une chirurgie pelvienne avec dénervation, syndrome de la queue-de-cheval etc.) ou lorsque le périnée est devenu dysfonctionnel (mésusage). Chez l’homme, c’est le seul mécanisme impliqué dans l’incontinence d’effort et il est souvent dû à la chirurgie de la prostate.
    • L’hypermobilité urétrale. Avec la distension des tissus du plancher pelvien (due à l’âge, aux grossesses et accouchements), l’urètre ne trouve plus les structures de soutien sur lesquelles il doit s’appuyer pour empêcher son verrouillage.
    • Les deux mécanismes peuvent être présents dans l’incontinence d’effort.
  • Mécanisme de l’incontinence par urgenturie :
    • Causes neurogènes. Le système neurologique est directement impliqué dans le cycle mictionnel ; certaines pathologies telles que la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, les lésions médullaires et d’autres maladies neurologiques peuvent donc entraîner des perturbations sur le fonctionnement normal de la miction, que ce soit lors des phases de remplissage mais aussi lors de la vidange, occasionnant des fuites.
    • Causes non neurogènes. Elles sont multifactorielles et peuvent venir de troubles métaboliques (diabète, obésité) mais aussi d’un état anxieux dépressif (là encore le lien entre le cerveau et la vessie est en cause) qui peut entraîner une hyperactivité vésicale.

Si les médecins généralistes sont en première ligne pour orienter le patient, « ils restent insuffisamment formés à ces problématiques de l’incontinence », estime le Dr Biardeau, et ce d’autant plus que « les généralistes ont de nombreuses pathologies à identifier et traiter », ajoute le Pr Xavier Fritel, gynécologue-obstétricien au CHU de Poitiers (Vienne). Ils ont souvent tendance à orienter vers les spécialistes, à juste titre. Ces derniers misent de plus en plus sur la prévention et l’éducation thérapeutique qui sont deux volets importants dans la prise en charge des troubles de la continence. La Dr Pizzoferrato, gynécologue au CHU de Poitiers (Vienne) en a d’ailleurs fait son cheval de bataille [cf. « éclairage » - « Le périnée est un capital à préserver »].

Chez l’urologue, le diagnostic est essentiellement clinique chez le patient qui décrit des fuites urinaires. « Par urgenturie, l’incontinence est parfois difficile à objectiver, mais quand une patiente disparaît pendant la consultation car elle doit d’urgence se rendre aux toilettes, il n’y a pas de doute possible. L’incontinence à l’effort, elle, se voit : la patiente est placée en position gynécologique, vessie pleine, on lui demande de tousser, on observe si oui ou non il y a une hypermobilité urétrale, on essaye de comprendre le mécanisme, de voir la fuite d’urine, de voir si à la verticalisation il y a une fuite, donc tout cela, on peut l’objectiver », décrit le Dr Biardeau. Cet examen permet souvent d’avoir des réponses relativement claires pour pouvoir initier les premières thérapies.

Le bilan urodynamique, quant à lui, « permet d’objectiver l’équilibre vésico-sphinctérien, de voir ce qui se passe en termes de volume et de pression, quand la vessie se remplit, de combien elle peut se remplir et à quel moment survient la sensation de l’envie et enfin, ce qui se passe au moment de la vidange. C’est le seul outil qui permet de savoir de manière objective comment fonctionne la vessie, mais ce n’est pas un examen réalisé en première intention », nuance l’urologue. Seuls les patients présentant une pathologie neurologique (lésions médullaires, sclérose en plaques…) en bénéficient d’emblée car les contractions de leur vessie sont anormales, avec des pressions très élevées, ce qui peut constituer un risque uro-néphrologique (infections urinaires à répétition, calculs voire insuffisance rénale).

Une fois le diagnostic posé, la prise en charge thérapeutique peut être envisagée en fonction des différents cas de figure :

  • Dans le cas des incontinences mixtes, l’urologue cherche à déterminer quelle est l’incontinence qui gêne le plus la patiente, celle d’effort ou celle par urgenturie, afin de lui proposer la thérapie la plus adaptée.
  • Dans le cas de l’incontinence par urgenturie, la thérapie repose sur :
      • Les médicaments anticholinergiques (qui agissent sur la sensibilité vésicale) ou les récepteurs ß-3 adrénergiques (antispasmodiques urinaires, non remboursés).
      • La stimulation tibiale transcutanée (un patch est posé sur la cheville et stimule vingt minutes par jour les centres nerveux de la moelle épinière qui commandent la vessie).
      • La neuromodulation sacrée. Un dispositif implantable (qui nécessite donc une chirurgie) est installé au contact d’une racine nerveuse qui contrôle la vessie, un peu sur le même principe qu’un pacemaker.
      • La toxine botulique. L’injection se fait sous anesthésie locale pour paralyser la vessie, mais dans ce cas, le patient est obligatoirement formé à l’auto-sondage vésical pour pallier les risques de rétention.
    • Dans le cas de l’incontinence d’effort,
      • La première ligne de prise en charge est la rééducation périnéo-sphinctérienne, qui se fait avec un kinésithérapeute ou une sage-femme. Elle ne consiste pas uniquement en un renforcement musculaire du périnée, mais en un ensemble d’exercices qui permettent de reprendre le contrôle de cette zone. Chez la femme, le praticien peut travailler manuellement, avec des sondes (biofeedback) voire avec des boules de geisha placées dans le vagin et qui aident la patiente à sentir voire à visualiser (sur un écran connecté à la sonde) les contractions du périnée. Une grande partie des incontinences d’effort peuvent être résolues avec une bonne prise en charge [cf. interview de Laurene Scheiber, kinésithérapeute spécialisée]. Chez l’homme, la rééducation périnéale est abordée par voie anale.
      • La prise en charge chirurgicale peut être proposée, via la mise en place d’une bandelette sous-urétrale. « Il en existe de deux types : les bandelettes par voie rétropubienne (TVT pour tension-free vaginale tape) et les bandelettes par voie trans-obturatrice (TOT pour trans-obturator tape) qui fonctionnent un peu comme un hamac pour l’urètre », cite le Dr Biardeau. Si ces dispositifs permettent de redonner une meilleure qualité de vie aux patientes, elles présentent aussi des risques de complications. Les indications doivent donc être bien posées par l’urologue et présentées à la patiente avec l’évocation des risques possibles [cf. « La délicate question des bandelettes sous-urétrales »].
      • D’autres chirurgies existent, pour les incontinences liées à une insuffisance sphinctérienne : les sphincters urinaires artificiels, « uniquement dans les centres de recours*, car ils restent tout de même compliqués à implanter chez la femme, pour des raisons anatomiques, alors que cela se pratique beaucoup chez l’homme », reconnaît le Dr Biardeau qui cite également le ballon, qui ne bénéficie même pas d’une cotation pour la femme. Ces opérations chirurgicales ne sont donc pas pratiquées partout du fait de leurs particularités techniques et de leur prise en charge.

*Les CHU sont des centres de recours ce qui signifie qu’ils pratiquent des activités que les autres centres hospitaliers ne dispensent pas parce qu’ils n’ont pas les savoir-faire médicaux ou les plateaux techniques. Dans le cas de l’incontinence, le CHU gère les cas complexes (échec de la chirurgie de la bandelette, par exemple).

(2) Gamé X. en collaboration. « Enquête miroir auprès de patients et de professionnels de santé portant sur l’incontinence urinaire par urgenturie ou mixte»,  Progrès en urologie, volume 31, octobre 2021, p. 747-754. Disponible sur : https://urlz.fr/oq1x

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui gère la matériovigilance, a reçu deux cent deux signalements de matériovigilance concernant les bandelettes sous-urétrales entre 2017 et 2022. Au CHU de Poitiers, le Pr Xavier Fritel, chirurgien-gynécologue, mène des études sur les complications de la chirurgie de l’incontinence (étude VIGIMESH) et reconnaît que « le signal de complications est faible en fréquence. Mais que lorsque les complications surviennent, elles sont intenses pour les femmes qui les subissent ». « L’étude pourrait nous permettre de mettre en évidence les complications et d’éventuels facteurs de risque, à partir du profil des patientes. Cela pourrait peut-être identifier des risques évitables », espère le Pr Fritel qui a déjà compilé les données de dix mille femmes opérées par cette chirurgie des bandelettes. Aujourd’hui, la réglementation autour de la chirurgie par bandelettes a été renforcée en France et reste, pour le moment, la référence en matière de chirurgie de l’incontinence urinaire d’effort. En revanche, l’utilisation des bandelettes est interdite en Australie et en Grande-Bretagne et dans plusieurs pays, comme aux Canada ou aux États-Unis, des patientes ont, elles aussi, déposé plainte. L’espoir pourrait reposer sur des bandelettes en matériau biologique qui seraient probablement plus tolérables pour l’organisme.

En mai 2023, la marque d’hygiène Intima a dévoilé les résultats d’un sondage mené par Censuswide sur la perception du plancher pelvien chez les femmes. Les résultats confirment une certaine méconnaissance de cette zone chez un grand nombre de femmes interrogées. Si 52% d’entre elles déclarent savoir où se trouve le périnée, plus de 33% le confondent avec la vulve. Cette méconnaissance induit une impossibilité de verbaliser le statut « bonne ou mauvaise santé » de cette zone : en effet, près de la moitié des sondées ne savent pas dire si leur plancher pelvien est en bonne santé, alors que 68% relatent l’existence de fuites urinaires. Cette enquête, menée auprès de 1015 femmes âgées de 25 à 75 ans de toutes les régions de France, indique que « la majorité des femmes ont entendu parler du périnée pour la première fois à partir de l’âge de 30 ans, lorsque les premiers symptômes peuvent apparaître, majoritairement après une grossesse ». Ces résultats démontrent que non seulement les femmes ne connaissent pas très bien cette zone, mais qu’elles ne la prennent en compte qu’à partir du moment où elle dysfonctionne. La prévention a plus que jamais son importance pour rétablir un certain équilibre.

La Dr Anne-Cécile Pizzoferrato est gynécologue-obstétricienne au CHU de Poitiers (Vienne). Très attachée à l’importance de la santé pelvi-périnéale, elle croit aux vertus de l’éducation pour sensibiliser et informer la population.

C’est une zone vraiment méconnue dont le rôle est pourtant important puisqu’il est de soutenir les organes pelviens : la vessie, le rectum, l’utérus et le vagin chez la femme, le rectum, la vessie et la prostate chez l’homme. Le périnée est un capital à préserver. Et pour cela, il faut bien le connaître. Or peu de personnes connaissent réellement son fonctionnement. Il existe de nombreux facteurs qui peuvent expliquer les dysfonctionnements pelvi-périnéaux, dont l’incontinence urinaire. Les plus connus sont la grossesse et l’accouchement. Beaucoup pensent que ces troubles sont une évolution normale dans la vie d’une femme. Les fuites urinaires seraient une fatalité et l’usage des couches, banalisé par la publicité, serait presque l’unique solution. Non seulement c’est faux mais c’est oublier que notre mode de vie impacte énormément sur la santé du périnée, notamment lorsque l’on adopte de mauvaises habitudes.

Ce sont souvent les fausses idées reçues qui conduisent à adopter de mauvaises habitudes. Par exemple : il est préférable de ne pas s’asseoir pour uriner. Beaucoup de personnes pensent éviter les infections urinaires en ne s’asseyant pas sur les toilettes. Alors que c’est tout le contraire ! Non seulement on ne contracte pas d’infection urinaire en s’asseyant sur les toilettes mais, en plus, en adoptant une position en squat pour uriner, on garde le périnée contracté ce qui est tout à fait contre-productif. Si le périnée n’est pas détendu, on ne peut uriner normalement, on pousse et on abîme à la fois sa vessie et son périnée. Malheureusement, ce sont des idées très ancrées et ce, dès le plus jeune âge : dès le collège ou le lycée, on ne s’assied pas aux toilettes car “c’est sale”. En revanche, le sac de sport plein de bactéries qu’on pose dans le gymnase, dans le bus et partout ailleurs, ça ne gêne pas ! Il faut vraiment sensibiliser sur ce point en combattant les idées reçues.

En éduquant et en faisant un travail comportemental sur ce point. Prenez l’exemple de la constipation. Elle est bien souvent à l’origine de troubles du périnée qui conduisent aux fuites : on est constipé, on pousse pour évacuer les selles et on altère chaque fois un peu plus son périnée. Alors que si on comprend comment cela fonctionne et qu’on utilise un marchepied pour surélever ses jambes en allant à la selle, on préserve cette zone. C’est quelque chose qu’il faut enseigner très jeune car la constipation est vraiment une plaie pour le périnée. C’est également tout à fait possible de faire de la rééducation périnéale et de modifier son comportement à tout âge. Et d’ailleurs sur ce point, attention : rééduquer ne veut pas forcément dire faire du renforcement musculaire !  Au contraire. Il arrive parfois que certains soucis surviennent parce que le périnée est trop tonique. En fait, il ne sait pas se détendre et ne peut se contracter plus en cas d’hyperpression abdominale. C’est le cas chez les très jeunes femmes ou les sportives, qui peuvent aussi rencontrer des soucis d’incontinence ou de douleurs périnéales.

Tout à fait. Face à la plainte d’une patiente pour ce type de troubles, il ne faut pas hésiter à la rassurer en lui disant que ce n’est pas une fatalité. Des solutions existent. Ces troubles sont fréquents et il ne faut pas hésiter à aller chercher du soin, à consulter. Certaines populations sont plus vulnérables, on pense aux femmes enceintes, mais pas seulement. Car généralement, le message passe assez bien à leur niveau. C’est partout ailleurs qu’il faut sensibiliser et aussi rappeler des règles de bonne hygiène de vie : boire régulièrement, marcher, avoir une alimentation équilibrée pour contrôler la consistance de ses selles et faire des efforts sans se mettre en apnée : cela provoque une poussée sur le périnée, ce qui n’est pas bon. La respiration et certains sports – Pilates, yoga – sont tout à fait indiqués.

Laurene Schreiber, kinésithérapeute spécialisée en rééducation périnéale, à Lille (Nord). Elle prend en charge des femmes souffrant d’incontinence urinaire mais également de certains troubles sexuels comme le vaginisme et la dyspareunie (douleurs lors des rapports sexuels).

Pas du tout et cela montre bien que tout le monde peut être concerné. On pense en effet souvent à la rééducation post-accouchement, mais je laisse ce travail aux sages-femmes. En tant que kinésithérapeute spécialisée, je prends en charge toutes les femmes qui ont un souci en dehors des suites de couches et j’ai donc des patientes de tous âges ! Dans ma patientèle j’ai par exemple une jeune femme plutôt sédentaire et en surpoids qui a de légères fuites et dont le périnée est relativement en bonne santé mais pas très endurant. Et j’ai également une gymnaste de 16 ans qui, au contraire, a un périnée très tonique mais qui n’arrive pas à se détendre. J’ai aussi des patientes qui ont fait beaucoup de télétravail et qui ont perdu certains réflexes : elles vont aux toilettes toutes les dix minutes et ne peuvent plus se retenir. J’ai même des patientes de plus de 80 ans qui ressentent une gêne lorsqu’elles toussent. Il n’est donc jamais trop tard ! Mais selon l’indication, le travail ne sera pas forcément le même avec chacune d’entre elles. Certaines femmes ont tendance à pousser lorsqu’elles toussent ou lorsqu’elles rient alors qu’elles devraient resserrer leurs sangles abdominales. Tout cela peut se rééduquer.

À chaque fois que je débute avec une nouvelle patiente, la première séance me sert à jauger ses connaissances en anatomie. Et c’est sidérant ! Les femmes n’ont globalement pas une bonne connaissance de cette zone. C’est vrai qu’elle n’est pas facile à observer, contrairement à celle des hommes. Quand je leur montre un schéma anatomique avec les différents orifices (méat urinaire, vagin, anus), les femmes ne savent pas forcément d’où sort l’urine, certaines pensent même qu’elle sort par le vagin ! Il faudrait vraiment leur apprendre à mieux comprendre comment fonctionne leur corps ! Majoritairement, les plus jeunes savent situer le clitoris puisqu’autour de cette zone du périnée se concentrent des sujets plus actuels liés au plaisir et à la sphère sexuelle. Mais en délaissant totalement la question de l’incontinence qui est ainsi devenue taboue. Les trois quarts des patientes en ont honte et ce d’autant qu’elles sont jeunes. Ce n’est pas un sujet qu’on évoque entre femmes, trop infantilisant, avec l’idée de porter des couches, et trop connoté vieillesse alors qu’en réalité, cela touche beaucoup de femmes.

Pour mieux comprendre d’où vient leur incontinence, je leur demande d’établir un calendrier mictionnel c’est-à-dire de noter l’heure à laquelle elles vont aux toilettes ainsi que la quantité approximative d’urine émise. Cela indique à quelle fréquence elles urinent, la semaine, le week-end – cela peut faire une différence car on peut parfois être conditionné par les exigences professionnelles – et cela permet aussi d’observer si elles ont des mictions de précaution et si elles parviennent encore à solliciter certains arcs réflexes, notamment le réflexe A3 de Mahony qui fait que lorsque l’on serre le périnée, la vessie arrête de se contracter. J’avais une patiente qui urinait très souvent et qui n’arrivait plus du tout à se retenir. Je lui ai demandé ce calendrier mictionnel et en effet, jour et nuit, toutes les dix minutes, elle devait uriner. À l’examen palpatoire, je me suis rendu compte que son périnée n’était pas si faible et je lui ai demandé de faire un petit exercice d’inhibition en serrant le périnée. À chaque fois qu’elle ressentait le besoin d’aller aux toilettes, elle devait le faire, plusieurs fois de suite, en respirant bien et en essayant d’espacer progressivement les mictions. Et pour elle, l’exercice a fonctionné ! Elle est parvenue à espacer ses mictions.

C’est plutôt la prise de conscience de comment notre corps fonctionne. Je n’aime pas le terme d’hygiène, qui est un peu stigmatisant, comme si on reprochait à la personne d’avoir mal fait quelque chose ou d’avoir maltraité son corps. Parfois, c’est juste qu’on ne lui a pas expliqué. Dans le cas de la patiente que je viens d’évoquer, elle avait une vessie rétractée qui n’avait plus l’habitude d’être étirée. Parfois, il peut y avoir d’autres raisons à cette incontinence d’effort. Certaines femmes ont pris l’habitude de trop se retenir. Imaginez un ballon de baudruche rempli d’eau : si vous appuyez dessus, ça finit par fuir… Alors bien sûr, je ne suis pas là pour dicter une conduite à tenir et faire entrer les patientes dans une norme. Typiquement, beaucoup de femmes font des mictions de précaution et ça n’est pas forcément problématique. Là où ça peut poser problème, c’est lorsque ça se répète un peu trop car la vessie va se rétracter et donc son volume va diminuer. C’est un cercle vicieux dont il est difficile de sortir. C’est à ce moment-là d’ailleurs que certaines patientes commencent à porter des protections et le vivent comme une fatalité. Alors que si on travaille dessus, on parvient à faire revenir ce réflexe d’inhibition de la vessie. J’apprends aussi aux femmes à ne pas pousser lorsqu’elles toussent, éternuent ou rient ; la sangle abdominale doit se contracter et ne pas sortir, sinon, ça pousse les organes vers le bas et ça fragilise le périnée.

Non en effet. Il y a beaucoup d’aspects différents à explorer lors de la prise en charge d’une incontinence mais si c’est le périnée qui a besoin de se muscler alors on travaille dessus. Parfois on rééduque les boucles réflexes pour que la patiente retrouve un peu d’autonomie. Outre les sondes que j’utilise en biofeedback* pour renforcer les muscles du périnée, je travaille aussi avec des boules de geisha, qui permettent aux patientes de bien ressentir le poids et de continuer les exercices une fois chez elles. Il est également possible d’utiliser les sondes en électrostimulation, même si c’est une technique que j’utilise peu : elle stimule la contraction du périnée ou inhibe le muscle vésical, aussi appelé détrusor, en envoyant un micro-courant. À noter que certains exercices sont à faire debout, car ce n’est pas pareil de contracter un périnée debout ou allongé. Il y a vraiment plusieurs pistes à explorer en rééducation périnéale et en tant que kinésithérapeute, c’est très gratifiant de changer le quotidien de certaines femmes pour lesquelles l’incontinence est un réel handicap. S’il y a bien un message à retenir, c’est que rien n’est jamais perdu, il y a toujours des solutions, même s’il est vrai que cela peut induire une chirurgie en dernier recours !

*la technique permet de visualiser les contractions en temps réel via une sonde vaginale

En 2020, un collectif de femmes françaises auxquelles on avait posé des bandelettes a porté plainte contre X pour tromperie aggravée et blessures involontaires. L’objet de leur colère ? La bandelette sous-urétrale qui leur a été posée pour soigner une incontinence urinaire et qui leur cause, jour et nuit, des douleurs insoutenables, sans que ce dispositif ne puisse leur être retiré. Dispositifs implantables en polypropylène, ces bandelettes n’ont en effet pas été conçues pour être enlevées. « On estime les complications autour de 3% sur la base des données du Programme de médicalisation des systèmes d’information ; cela veut dire que dans 97% des cas, ça fonctionne. Mais il est vrai que lorsqu’il y a des complications, elles sont très délabrantes pour les patientes qui peuvent se retrouver avec un urètre fendu, un périnée détruit, des douleurs chroniques intenses, car le matériau dont sont faites les bandelettes s’accroche dans les tissus » explique le Dr Biardeau. Certains chirurgiens ayant posé ces bandelettes se refusent à les retirer, arguant qu’une fois implanté, il est impossible de les enlever. « Ce qui est faux, explique le Dr Biardeau. Ici, au CHRU de Lille, nous les prenons en charge mais il est vrai que la chirurgie est très complexe et nous devons travailler en accord avec les gynécologues et les algologues pour des bandelettes qui ont finalement été posées avec excès ». Ce qui énerve d’ailleurs le praticien. « Aujourd’hui, quand le sujet de l’incontinence urinaire est abordé, ce n’est que pour parler des risques liés aux bandelettes, se désole-t-il. La question à se poser est de savoir pourquoi on a opéré autant de patientes ? Je pense que si on avait eu plus de kinésithérapeutes formés on n’en serait pas là. On a parfois véhiculé l’idée que l’opération des bandelettes était une opération rapide, facile, qui réglait tout, alors que ce n’est pas le cas. La réalité est qu’on a peut-être posé un peu trop de bandelettes, à la moindre goutte d’urine, là où une prise en charge différente aurait été possible. »

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui gère la matériovigilance, a reçu deux cent deux signalements de matériovigilance concernant les bandelettes sous-urétrales entre 2017 et 2022. Au CHU de Poitiers, le Pr Xavier Fritel, chirurgien-gynécologue, mène des études sur les complications de la chirurgie de l’incontinence (étude VIGIMESH) et reconnaît que « le signal de complications est faible en fréquence. Mais que lorsque les complications surviennent, elles sont intenses pour les femmes qui les subissent ». « L’étude pourrait nous permettre de mettre en évidence les complications et d’éventuels facteurs de risque, à partir du profil des patientes. Cela pourrait peut-être identifier des risques évitables », espère le Pr Fritel qui a déjà compilé les données de dix mille femmes opérées par cette chirurgie des bandelettes. Aujourd’hui, la réglementation autour de la chirurgie par bandelettes a été renforcée en France et reste, pour le moment, la référence en matière de chirurgie de l’incontinence urinaire d’effort. En revanche, l’utilisation des bandelettes est interdite en Australie et en Grande-Bretagne et dans plusieurs pays, comme aux Canada ou aux États-Unis, des patientes ont, elles aussi, déposé plainte. L’espoir pourrait reposer sur des bandelettes en matériau biologique qui seraient probablement plus tolérables pour l’organisme.

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