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L’alimentation à l’hôpital est un soin majeur dans la prise en charge globale du patient. Elle fait partie intégrante du traitement mais n’est pas toujours reconnue comme telle. Les menus et l’offre alimentaire ont souvent été le fruit de prescriptions internes peu ou pas revues en fonction des actualités scientifiques et les efforts faits dans les établissements restent encore inégaux voire insuffisants.
On n’imagine pas tout le personnel impliqué et les contraintes en amont d’un plateau-repas servi au chevet d’un patient. La fabrication, l’organisation, la sécurité sanitaire, les préoccupations écologiques et économiques, ajoutées à la mise en place d’un ou plusieurs régimes peuvent aboutir à trop de complexité et finalement à un plateau non-consommé par manque d’attrait.
La dénutrition concerne 10% des enfants hospitalisés, 30% des personnes hospitalisées et 40% des malades atteints de cancer (1). Ses conséquences sont multiples sur l’évolution de la maladie, les défenses immunitaires et la réponse aux traitements.
C’est pourquoi à la suite de l’état des lieux réalisé en 2017 sur les régimes à l’hôpital et sur les données de la littérature, un groupe de pilotage a été formé. Avec les « Recommandations sur les alimentations standard et thérapeutiques chez l’adulte en établissements de santé » réalisées conjointement par l’Association française des diététiciens nutritionnistes (AFDN) et la Société francophone de nutrition clinique et métabolisme (SFNCM), l’alimentation reprend toute son importance.
Vingt-trois recommandations ont été soumises et validées par cinquante experts nationaux (vingt-cinq diététiciens et vingt-cinq médecins), selon la méthode DELPHI définie par la Haute autorité de santé d’élaboration de consensus formalisé d’experts.
Couvrir les besoins nutritionnels et s’adapter à la situation physiopathologique du patient pour rendre à l’alimentation tout son sens, nutritionnel comme personnel : prise en considération des choix du patient, du temps de repas…
Rationaliser et harmoniser les pratiques liées aux prescriptions de régime alimentaire en diminuant les contraintes qui pourraient induire des restrictions sur la prestation repas : choix des aliments pour les préparations des plats, implications sur le prix des repas, conséquences sur la palatabilité (caractéristique du goût et de la texture des aliments agréables au palais) et la consommation des plats par les patients.
Ces recommandations sont à destination de l’ensemble du personnel impliqué dans la chaîne alimentaire, depuis l’écriture des cahiers des charges jusqu’à la consommation, comme du soin des patients. Le personnel soignant, témoin majeur de la prise du repas ou des effets liés à sa prise et à sa digestion, joue effectivement un rôle crucial dans la prévention de la dénutrition.
La recommandation générale qui introduit l’ensemble du travail effectué sur l’offre alimentaire est une recommandation d’ordre lexical. En effet le mot « régime » doit désormais être retiré du vocabulaire, déjà anxiogène, de l’environnement hospitalier. On parlera « d’alimentation ». La notion de régime normal, longtemps affichée sur les menus devrait être appelée alimentation standard, et les régimes sans sel, régime diabétique… devraient être appelés alimentations thérapeutiques.
Les vingt-trois recommandations suivantes ont un cheminement logique de l’alimentation standard à l’alimentation particulière. Elles visent à :
Définir l’offre alimentaire d’un point de vue quantitatif et qualitatif
Montrer les indications et l’importance de la prescription nutritionnelle
Préciser les modes alimentaires à mettre en place pour adapter l’offre
Délimiter les restrictions afin de ne conserver que les indications basées sur les preuves scientifiques
Pointer l’importance de la place de la dénutrition
Pour l’alimentation standard, le patient doit pouvoir trouver dans l’offre alimentaire la possibilité de manger à sa faim et selon ses goûts, ses croyances et les éventuelles gênes, observées par l’aide-soignant ou l’infirmier, impactant sa façon de s’alimenter (dentier mal ajusté, problèmes de déglutition…). Les recommandations générales du PNNS (Plan national nutrition santé) convenant à l’ensemble de la population, l’équilibre alimentaire devrait être visible sur chacun des plateaux proposés avec par exemple, une portion de féculents, un fruit ou une crudité, des légumes cuits, une portion de protéines de bonne qualité et un produit laitier.
Il est plus rationnel de prévoir un apport calorique moyen qui convienne à l’ensemble des patients, puis de réaliser des ajustements de portion. L’évaluation de la qualité nutritionnelle des repas devrait passer par un calcul précis des valeurs nutritionnelles.
La prescription médicale est recommandée. Nombre d’erreurs de jugement peuvent être évitées avec un bon bilan d’entrée : état de la dentition, déglutition, transit, perte de poids récente…
Du reste on n’imagine pas un repas réalisé en suivant plusieurs restrictions alimentaires. Le risque de perdre l’attrait du patient à cause du goût ou de l’aspect de ses plats est trop important compte tenu du risque de dénutrition déjà bien présent durant une hospitalisation.
De plus, la consommation d’un plateau-repas entier peut être difficile pour certains patients. Les risques hygiéniques ne permettant pas de conserver « les restes pour plus tard », le patient voit son apport calorique diminué. Le recours systématique aux compléments nutritionnels oraux peut être évité en proposant des collations d’intérêt nutritionnel considérable.
Après la diffusion, fin 2019, de ces recommandations, un outil d’analyse des pratiques professionnelles, ayant obtenu le label en 2021 de l'AFDN et du Comité de liaison alimentation nutrition (Clan) et des délégués régionaux de la SFNCM, a été élaboré pour aider les établissements à mettre en route les recommandations à travers un plan d’action évolutif.
Le document a pour vocation de :
1/ aider les établissements à évaluer leur atteinte des recommandations sur les alimentations standards et thérapeutiques, afin de déterminer un plan d’actions prioritaires
2/ être réutilisé régulièrement afin de mesurer l’évolution dans l’atteinte des recommandations
3/ être partagé afin d’identifier les initiatives innovantes qui pourraient aider, par leur diffusion, les autres établissements
4/ fixer des objectifs minimaux dans le but d’avoir une cible facile à atteindre pour tous
La mise en place de ces recommandations sur les alimentations standard et thérapeutiques chez l’adulte en établissements de santé est en conclusion un évènement majeur dans la prise en charge globale du patient. On s’aperçoit que la plupart des déclinaisons de menus ne sont plus justifiées et qu’une alimentation équilibrée suffisamment contrôlée en amont, quant à la qualité nutritionnelle, convient à une majorité de patients et permet de prévenir la dénutrition. La révision du plan alimentaire ainsi que les actions correctives mises en place pour donner suite aux observations du personnel soignant devraient aboutir à un raccourcissement de la durée moyenne de séjour et à l’évitement de risques associés. Le patient voit sa qualité de vie augmentée et l’établissement de santé son fonctionnement général amélioré.
Il est recommandé que l’offre alimentaire propose plusieurs choix
L’alimentation doit être considérée comme une part essentielle du traitement des patients hospitalisés. L’hôpital devrait proposer aux usagers une possibilité réelle de choix personnel, par la mise à disposition d’une liste d’aliments aussi large que possible, en tenant compte des contraintes variables selon l’établissement de santé (ES). La possibilité de choix positif du menu semble être aussi une mesure efficace de diminution significative du gaspillage alimentaire.
L’alimentation en ES doit permettre de couvrir les besoins pour préserver un état nutritionnel et d’hydratation corrects tout en respectant dans la mesure du possible l’équilibre alimentaire.
Les besoins nutritionnels du patient doivent être fixés en fonction de son poids, de sa situation métabolique, de son appétit. Cependant la plupart des systèmes actuels de distribution des repas ne permettent pas de personnaliser les plateaux-repas en adaptant la taille des portions servies. Une détermination simple des besoins nutritionnels par l’application de 30 kcal/kg/j (même pour les personnes âgées, grade B) permet de fixer la cible calorique d’une journée alimentaire. Afin de couvrir les besoins nutritionnels d’un grand nombre de patients, nous recommandons un minimum de 2000 kcal/j apportés par les repas. Une attention particulière est à apporter aux alimentations à texture modifiée, pour lesquelles l’offre alimentaire doit également couvrir les besoins des patients.
La connaissance des valeurs nutritionnelles de l’offre alimentaire est un prérequis qui permet d’évaluer l’offre réelle proposée aux patients et d’en garantir la régularité. Le Comité de Liaison Alimentation Nutrition (CLAN) et le service diététique, ou à défaut de ces structures, le diététicien de l’établissement de santé, doivent valider l’offre alimentaire, afin de faciliter le travail des prescripteurs. Des analyses nutritionnelles régulières par des laboratoires d’analyses sont à intégrer dans les démarches de suivi et de qualité de la prestation alimentation.
La prescription inclut tout type d’alimentation : standard et thérapeutiques (alimentations thérapeutiques restrictives, enrichies et/ou alimentations à texture modifiée). L’acte alimentaire, c’est-à-dire la non contre-indication à la prise alimentaire, et le type d’alimentation doivent faire l’objet d’une prescription médicale. Bien que la responsabilité de la prescription nutritionnelle incombe au médecin, l’adaptation de l’alimentation à l’admission peut faire l’objet de l’expertise d’un(e) diététicien(ne).
La mise en place d’une alimentation thérapeutique en cas de trouble(s) nutritionnel(s) est un acte de soin qui ne devrait pas déroger au principe de réévaluation, s’inscrivant dans la démarche qualité développée par la HAS.
Derrière le terme « combiner », nous entendons l’association (manuelle ou informatisée) de plusieurs types d’alimentations prescrites. Cumuler plusieurs niveaux de restrictions alimentaires rend difficile et aléatoire la conception d’un plateau-repas en cuisine, expose à une moindre consommation et un risque accru de dénutrition. Il est important d’évaluer le rapport bénéfice/risque des régimes restrictifs, notamment chez certains patients les plus fragiles, comme les personnes âgées et selon la recommandation du Conseil national de l’alimentation.
La proposition de collations doit pouvoir faire partie intégrante des stratégies de lutte contre la dénutrition.
Les adaptations des aliments et boissons permettent de diminuer les complications des troubles de la déglutition, principalement la dénutrition et les infections pulmonaires. L’initiative IDDSI a permis d’aboutir à une terminologie universelle et standardisée des adaptations des aliments et boissons en cas de troubles de la déglutition. Il ne s’agit pas pour les établissements de proposer toutes les déclinaisons de texture, mais de savoir identifier leurs propositions selon la classification de l’IDDSI. L’utilisation d’une norme internationale tend à promouvoir les bonnes pratiques, l’efficience et à sécuriser les professionnels comme les patients.
Chez les patients obèses hospitalisés, le risque de dénutrition est élevé et souvent sous-évalué par les professionnels de santé. L’obésité sarcopénique est une préoccupation débutante avec peu de littérature à son actif. La prise en charge nutritionnelle des patients en obésité requiert une expertise et une prise en charge multidisciplinaire pour évaluer les apports et les adapter individuellement aux besoins calculés des patients.
Les apports en protéines sont à adapter en fonction du stade de la maladie (stade I à V). Les traitements par dialyse (hémodialyse et dialyse péritonéale) entraînent des pertes de protéines qui nécessitent de réadapter les apports à plus de 1 g de protéines/kg/j. Toute dénutrition protéino-énergétique au cours de l’insuffisance rénale et des dialyses chroniques nécessite une augmentation de l’apport en protéines de 1,2 à 1,4 g/kg/j, voire supérieure à 1,5 g en cas d’hypercatabolisme.
L’intérêt d’une alimentation hypolipidique (<35% des apports énergétiques) est remis en question dans ses indications classiques : prévention de l’obésité, prévention des maladies cardio-vasculaires. L’alimentation de type méditerranéenne (40-45% de lipides, riche en monoinsaturés et oméga 3) paraît plus efficace en termes de prévention du risque cardiovasculaire, de l’hypertension artérielle, du diabète de type 2, de NASH (stéatohépatite non alcoolique), etc.
Les recommandations de l’apport des macronutriments chez la personne atteinte de diabète sont les mêmes que pour la population générale, en l’absence de complications liées au diabète. Suivant l’avis de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), il s’agit plutôt de « contrôler » la consommation de sucre que de l’exclure.
Pour les personnes qui n’adaptent pas leur dose d’insuline selon les apports en glucides (insulinothérapie fonctionnelle), la quantité de glucides consommée doit être régulière et à heure fixe. Ceci favorise l’équilibre glycémique et minimise les excursions glycémiques dont le risque d’hypoglycémie.
Les personnes qui bénéficient d’une insulinothérapie fonctionnelle doivent pouvoir estimer les quantités de glucides consommées et éventuellement de lipides et protéines, afin de définir la dose d’insuline prandiale adaptée au repas pour un meilleur contrôle glycémique
Un régime restreint en sel est souvent associé à une réduction des apports oraux et un risque de dénutrition ou d’aggravation de celle-ci.
L’objet de cette recommandation est de supprimer ce type d’alimentation n’ayant aucun fondement scientifique en dehors d’une sensibilité buccale, notamment pour certaines épices et pouvant être en lien avec des lésions de la muqueuse.
Nouvelle terminologie à utiliser : « sans résidu », « pauvre en résidus », « pauvre en fibres stricte (10-14 g fibres/j) », « pauvre en fibres stricte » = 10 à 14 g/j de fibres « pauvre en fibres » = 15 à 20 g/j de fibres ; L’alimentation « pauvre en fibres stricte » (10 à 14 g/j) doit permettre de satisfaire aux besoins quotidiens énergétiques et en macronutriments. L’exclusion classiquement pratiquée dans l’alimentation « pauvre en fibres stricte » du pain blanc, des pommes de terre, jus de fruits sans pulpe, lait et produits laitiers, ne repose aujourd’hui sur aucune argumentation rationnelle. À noter que l’alimentation « pauvre en fibres stricte » reste malgré tout restrictive et monotone. Elle peut induire un risque nutritionnel. Elle doit être prescrite sur une période limitée et être réévaluée régulièrement.
Lorsqu’il est à visée thérapeutique ou symptomatique, ce mode alimentaire vise à une amélioration des symptômes ressentis par le patient et par conséquent à une amélioration de la qualité de vie. Il doit être personnalisé et réévalué dans sa pertinence au décours de la prise en charge de la maladie sous-jacente qui l’a fait indiquer. La durée doit être la plus courte possible pour limiter le risque nutritionnel.
Cette alimentation vise à limiter le volume et le nombre de selles et de gaz à un moindre degré que celui de l’alimentation pauvre en fibres stricte. Elle repose essentiellement sur des expertises professionnelles. Ce type d’alimentation vise à préserver le confort digestif tout en limitant les restrictions, le bénéfice secondaire est donc d’améliorer les ingesta. Cette alimentation doit être prescrite sur une période limitée, être adaptée à la tolérance individuelle et réévaluée.
La déficience en lactase, fréquente chez l’adulte, ne signifie pas que l’on est intolérant au lactose. L’intolérance ne représente qu’une faible partie des malabsorbants, la grande majorité des malabsorbants étant asymptomatiques. Le lait et les produits laitiers sont source de calcium et de protéines, leur suppression constitue un risque pour la santé osseuse. Il ne doit donc pas y avoir de restriction inutile et ce d’autant plus que l’adaptation de la flore colique (acidité colique) à digérer le lactose est l’un des mécanismes de tolérance du lactose, et qu’il est possible de tolérer une quantité minimale de lactose.
La maladie cœliaque est une entéropathie d’origine auto-immune. On l’appelle également intolérance au gluten, ce qui peut porter à confusion sur la nature de la pathologie. Non seulement la suppression du gluten n’est pas indiquée en dehors du diagnostic de maladie cœliaque, mais cette suppression peut être délétère pour la santé avec un déséquilibre des apports nutritionnels.
Il faut donner la priorité à la prévention et à la prise en charge de la dénutrition, en permettant par des stratégies d’enrichissement et modification des volumes des repas, de couvrir les besoins de patients en difficulté pour s’alimenter (manque d’appétit, repas décalés ou sautés en raison d’examens ou de mise à jeun…).