Comme tous les ans à l’automne, les parlementaires débattent du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, censé définir la politique de santé pour l’année à venir. Un millésime que le gouvernement a voulu axer sur la prévention mais qui est rattrapé par d’autres enjeux.
De la vaccination, des préservatifs, des bilans de santé réguliers et même des protections menstruelles. Voilà les éléments que le gouvernement avait souhaité mettre en lumière fin septembre lorsqu’il a présenté son projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), le mastodonte législatif qui, chaque année, fixe (entre autres) les grandes lignes des dépenses de l’Assurance maladie. De quoi alimenter le « virage préventif » que l’exécutif veut construire depuis plusieurs années. Reste à savoir, dans le contexte politique et budgétaire actuel, quelle sera la traduction concrète de ces bonnes intentions.
Car les intentions sont là et bien là. L’ambition est « de rendre irréversible ce virage de la prévention », avait affiché fin octobre le ministre de la Santé et de la Prévention Aurélien Rousseau lors de son audition devant les sénateurs, en amont de l’examen du texte par la chambre haute. Les réalisations sont-elles à la hauteur des ambitions ? À chacun d’en juger. Le PLFSS millésime 2024 prévoit, entre autres mesures en faveur de la prévention, la gratuité des préservatifs, sans prescription médicale, pour les jeunes de moins de 26 ans, la prise en charge à 60 % des protection menstruelles réutilisables pour les moins de 26 ans (un montant que les mutuelles pourront compléter) et à 100 % pour les bénéficiaires de la Complémentaire santé solidaire (C2S), ou encore le financement à 100 % de la vaccination contre le papillomavirus dès le collège.
Mais surtout, il entend donner corps aux trois bilans de santé aux âges clés de la vie, qui constituaient l’une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle de 2022. Pris en charge à 100 %, ces bilans doivent permettre de disposer d’un temps spécifique avec un professionnel de santé (infirmier, sage-femme, médecin, pharmacien…) afin de repérer et prévenir les comportements favorisant l’apparition de maladies telles que le diabète, certains cancers ou les maladies cardiovasculaires. Une phase test pour la classe d’âge des 45-50 ans a débuté début novembre dans les départements des Hauts-de-France avant une généralisation prévue en janvier 2024.
Mais malgré toutes les bonnes intentions que semble avoir le gouvernement en matière de prévention, ce n’est pas cet aspect qui a retenu l’attention de la plupart des observateurs. « C’est un PLFSS de petits pas, sans stratégie, déplore Jean-Paul Ségade, président du Cercle de recherche et d’analyse sur la protection sociale (Craps). Sur le sujet de la prévention, mais aussi sur d’autres comme celui de la prise en charge des personnes âgées ou du remplacement de la T2A [tarification à l’activité, ndlr] par un financement mixte, on ne voit pas en quoi il y a une rupture. » La T2A est en effet un exemple intéressant. Critiqué de longue date pour ses effets pervers (concurrence entre établissements, surconsommation de soins, etc.) ce mode de financement doit, selon le PLFSS, être complété par des dotations spécifiques pour les activités répondant à des objectifs de santé publique et pour les activités de soins aigus… dotations qui existent déjà en partie. Quant aux activités standards de médecine et de chirurgie, elles resteront financées par la T2A. En résumé, rien de très nouveau sous le soleil.
Reste que dans l’acronyme PLFSS, la lettre qui est scrutée avec le plus d’attention est le F de financement. Or avec une prévision de l’accroissement des dépenses d’Assurance maladie fixé à 3,2 % en 2024, soit un chiffre inférieur à celui de l’inflation, nombreux sont ceux qui considèrent que la prise en charge des besoins de santé d’une population vieillissante ne peut pas être assurée. On peut même dire que c’est un sujet sur lequel le gouvernement a réussi à faire l’unanimité contre lui. « J’appelle les parlementaires et le gouvernement à donner aux hôpitaux et Ehpad publics les moyens de leur mission. En l’état, le PLFSS est loin de fournir les leviers budgétaires nécessaires », a par exemple réagi dans un communiqué Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France, l’organisation qui représente les intérêts des hôpitaux publics, et qui est loin d’être la seule à s’être exprimée sur ce point.
En l’état, le PLFSS réussit donc le tour de force d’unir contre lui l’ensemble des acteurs dans la même dénonciation du manque de moyens, tout en continuant à creuser le déficit : pour 2024, les projections du gouvernement donnent, pour la branche maladie, un solde négatif de 9,3 milliards d’euros, chiffre qui devrait rester stable dans les années à venir. « Je suis inquiet de voir que tout le monde trouve les financements insuffisants, alors que les crédits augmentent », confie Jean-Paul Ségade, qui rappelle que pour lui et pour son « think tank », l’équilibre budgétaire est nécessaire pour assurer la pérennité de notre système de protection sociale. Il faut donc selon lui en passer par « une remise à plat des besoins, mais aussi des recettes » et notamment mettre en place une planification à un horizon plus large. « On ne résoudra pas les problèmes du système de santé avec un débat annuel, il faudrait un PLFSS pluriannuel », plaide-t-il.
Au bout du compte, peut-on trouver des acteurs du système de santé ayant quelques raisons de se réjouir de la cuvée 2024 du PLFSS ? Oui, si l’on regarde du côté des Idel. « Pour nous, il y a au moins une disposition intéressante, c’est la réforme de l’assiette des contributions sociales des professions indépendantes », se félicite Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Le sujet, on s’en doute, est technique, mais il s’agit selon le leader syndical d’une avancée de taille pour la profession : l’assiette sur laquelle la Contribution sociale généralisée (CSG) des libéraux est calculée va être revue, ce qui leur permettra de se constituer davantage de droits à la retraite. « Il y avait une iniquité, on payait de l’impôt sur de l’impôt, résume Daniel Guillerm. La fin de cette double taxation permettra d’augmenter nos cotisations retraites. » Et le président de la FNI d’insister sur le coût global de la mesure, de l’ordre d’1,5 milliard d’euros, mais aussi sur la complexité de sa mise en œuvre. « Il va y avoir des discussions régime par régime et on n’espère aboutir à des conséquences concrètes qu’à l’horizon 2025 », prévient-il.
Reste à éclaircir le rôle des parlementaires dans tout ça. À l’heure où nous écrivons ces lignes, on ne peut pas dire que celui-ci ait été primordial, l’examen du texte à l’Assemblée s’étant soldé en première lecture par un recours à l’article 49.3 de la Constitution qui permet d’adopter un texte sans qu’il soit voté par les députés. L’examen au Sénat a considérablement modifié certains aspects du projet de loi, mais il est probable que le texte soit rétabli dans sa quasi-intégralité pour une nouvelle lecture et une adoption (de nouveau avec le recours au 49.3) au plus tard le 31 décembre. Ce qui pose au moins une question : un tel fonctionnement est-il de nature à faire émerger le climat nécessaire à la « remise à plat » que Jean-Paul Ségade appelle de ses vœux ? « On a la chance d’avoir un président qui ne peut pas se représenter et qui peut impulser une dynamique », veut croire le président du Craps. Reste à savoir si le reste de l’échiquier politique est sur la même ligne.