DES PRATIQUES INNOVANTES POUR GARANTIR LE PARCOURS DES ENFANTS PLACÉS
RECHERCHE
Yevgueny Pagorsky* Sabrina Fournier** Caroline Serniclay*** Alexandra Usclade****
*infirmier en pratique avancée en équipe mobile ressource, centre hospitalier Cadillac
**chargée de projets, coordinatrice opérationnelle SO-RISP, département Santé publique/Bordeaux population health UMRS 1219/méthodes des interventions en population de recherches, université de Bordeaux
***cadre de santé, coordinatrice paramédicale de la recherche en soins, CHU de Reims, pilote de la Commission nationale de coordonnateurs paramédicaux de la recherche (CNCPR)
****infirmière puéricultrice, coordonnateur paramédicale de la recherche au CHU de Clermont-Ferrand
Les troubles externalisés des mineurs confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) sonnent bien souvent l’arrêt de leur accompagnement. Les auteurs de la présente recherche bibliographique ont pour but d’identifier les stratégies de soutien destinées aux professionnels des établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) permettant d’éviter ces ruptures de prise en charge.
Parmi la population d’enfants pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), une catégorie est décrite comme étant en grande difficulté. Se situant au carrefour des champs socio-éducatifs, judiciaires et sanitaires, ces jeunes sont qualifiés d’« adolescents difficiles », de « cas lourds », d’« incasables » ou de « patates chaudes »(1). Le recours aux services d’urgences par les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS) ou par les familles d’accueil (FA) est fréquent en cas de crises clastiques, et certaines hospitalisations en pédopsychiatrie viennent parfois signifier une rupture de prise en charge.
En 2007, les auteurs d’une étude sur les effets de la stabilité du placement montraient une corrélation entre les ruptures de placement et les instabilités comportementales, conséquentes à ces ruptures(2).
Les juges des enfants (JE) se succèdent au gré des mesures de placement et, à chaque changement d’ESMS ou de FA, les informations disparaissent, ne sont pas transmises. La mémoire des événements vécus par les enfants se perd au fur et à mesure des intervenants.
En 2017, le sénateur Amiel, dans son rapport d’information n° 494 sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France, souligne l’insuffisance de liens entre les services de protection de l’enfance et la pédopsychiatrie(3).
En 2020, les politiques publiques se saisissent de ces enjeux et la coordination devient un sujet inscrit au programme de travail de la Haute autorité de santé (HAS).
Ainsi, dans son programme pluriannuel « Psychiatrie et santé mentale 2023 », la HAS concrétise cette recommandation, donnant lieu à la création d’équipes mobiles pédopsychiatriques à destination des professionnels qui accompagnent des enfants confiés à l’ASE.
Les objectifs poursuivis par ces équipes mobiles résident dans la facilitation de l’accès aux soins pour ces jeunes, et également dans la minimisation des ruptures de prise en charge par les équipes socio-éducatives et médico-sociales.
Une revue de littérature a été réalisée afin d’identifier l’efficacité des stratégies de soutien, destinée aux professionnels des établissements sociaux et médico-sociaux concernant la limitation des ruptures de prise en charge de ces jeunes.
La majorité des études(6-9, 11) a démontré qu’il existait une prévalence des troubles mentaux plus élevée chez les enfants qui ont eu un contact avec un organisme équivalent à l’ASE. De plus, les résultats ont montré une association significative entre les troubles du langage et les garçons(11), ainsi qu’une association significativement élevée entre les garçons et les troubles externalisés(7), le retard mental et les troubles envahissants du développement (TED)(11).
Concernant le mode d’accès aux soins psychiques via les urgences, Chatagner et al.(9) ont décrit une surreprésentation des patients suivis par l’ASE, qui ont consulté davantage dans un lieu d’urgence psychiatrique que les sujets qui venaient du domicile (35,8 % vs 22,1 %, de façon statistiquement significative ; p = 0,026).
König et al.(10) ont évalué une formation allemande, créée en étroite collaboration avec la protection de l’enfance, via des cours en ligne destinés aux professionnels. Pour ces derniers, les connaissances et les capacités pratiques ont augmenté de manière significative (p < 0,001 et p < 0,05).
L’analyse croisée des études de Wade et al. et de Chamberlain et al.(7, 9) a montré que le placement précoce en FA atténue les effets psychiatriques négatifs des enfants et, dans les deux études, les interventions permettent une amélioration de l’éducation des enfants par les FA(7, 9).
Selon Wade et al., le placement précoce en FA des enfants élevés en institution diminue les troubles(9) par rapport aux enfants restés en institution. à l’âge de 8 ans, les enfants placés en FA présentaient moins de troubles externalisés que les enfants restés en institution(7).
L’étude de Chamberlain et al. a examiné les effets d’un programme destiné aux FA(9) : le Multidimensional Treatment Foster Care (MTFC). Le lien entre les FA qui ont suivi le MTFC et la diminution des problèmes liés aux troubles de comportement des enfants était significatif (p < 0,05). L’intervention MTFC permet de diminuer les ruptures de prise en charge des enfants par les FA.
Ces articles ont mis en évidence des vulnérabilités que présentent ces enfants et/ou adolescents placés. Ils accusent des retards de développement avec une prévalence des troubles mentaux significative chez les enfants placés en établissements par rapport à ceux qui sont placés en FA. Les troubles externalisés, associés aux troubles du langage et aux retards mentaux, soulignent la nécessité d’une orientation en orthophonie.
Les résultats des études sur les interventions, en termes d’amélioration des prises en charge, sont concluants car les ruptures de celles-ci sont diminuées.
En France, les FA suivent une formation avant et après avoir obtenu leur agrément. Cependant, devant la forte proportion de troubles psychiques que présentent ces enfants, la question d’une intervention incluant une formation avec une approche psychopathologique de cette population se pose.
Les résultats de cette revue de littérature mettent en évidence la fréquence élevée de troubles mentaux chez les enfants et/ou adolescents placés, comparativement aux enfants en population générale, tout comme ils révèlent des manquements en termes d’accès et d’orientation vers les soins spécialisés correspondant à leurs besoins. La question de la prévention et du repérage des symptômes en amont d’une crise est essentielle afin d’éviter le recours systématique aux urgences par les professionnels des ESMS. La prise en charge de cette population requiert un abord interinstitutionnel.
Au vu de nos lectures, il nous semble fondamental que l’aspect préventif passe par la mise en place de formations spécifiques pour les professionnels. Des études étrangères démontrent qu’il existe des effets positifs des formations sur la stabilité des accompagnements et sur l’évolution favorable des troubles du comportement des enfants confiés à l’ASE. Cependant, ce sujet est peu documenté dans la littérature française.
Le rapport de la Dre Martin-Blachais(12) recommande de développer davantage, et ce à l’échelle nationale, des études randomisées basées sur des programmes d’intervention issues de données probantes en faveur de cette population. Il serait pertinent de mettre en œuvre des études spécifiques qui analyseraient les effets de dispositifs innovants, tels que l’appui proposé par les équipes mobiles ressources ASE (EMR ASE) auprès des ESMS.
Dans cette perspective, les infirmiers en pratique avancée (IPA), spécialisés en psychiatrie et santé mentale (IPA PSM), apparaissent comme des acteurs-clés, notamment dans le processus de recherche en santé mentale. En effet, ces professionnels disposent de connaissances méthodologiques afin d’initier des projets de recherche, d’intégrer les résultats et de les transposer dans la pratique quotidienne, dans une optique d’amélioration des pratiques professionnelles.
Les compétences acquises après une formation universitaire de 2 ans (leadership clinique, formation des équipes, analyse des pratiques, éducation thérapeutique du patient, renouvellement des traitements, innovation-recherche) permettent aux IPA PSM de mener un rôle essentiel dans le maillage interinstitutionnel. Le soutien de ces professionnels issus du monde sanitaire auprès des équipes des ESMS pourrait contribuer à résoudre les problèmes cliniques complexes inhérents à la population des mineurs confiés à l’ASE et à assurer la coordination du parcours de soins de ces jeunes, avec comme objectif d’éviter les ruptures.
La revue de littérature a été réalisée de septembre à décembre 2022.
La première étape a consisté à utiliser la méthode Pico (population, intervention, comparaison, résultats) puis à identifier les mots-clés à partir de la question posée, en français puis traduits via le site Health Terminology Portal (HeTOP) pour leur correspondance en anglais. Nous avons également trouvé les synonymes parmi la liste des Medical Subject Heading (MeSH).
La protection de l’enfance peut se traduire par « child protection » ou « child welfare », le placement en famille d’accueil « foster care » et les acteurs de protection de l’enfance « child protection workers ».
Le deuxième axe concerne les interventions auprès des acteurs socio-éducatifs, sous-entendu par l’apport de connaissances, de formations, qui peut se traduire par « interventions », « learning program », « training program » ou encore « best practices ». Enfin, pour ce travail se situant dans le domaine de la santé mentale auprès des enfants et adolescents, nous avons retenu les termes « child psychiatry » et « adolescent psychiatry ».
La recherche bibliographique : bases de données et équations ont été effectuées dans trois bases de données : PubMed, Scopus et PsycInfo.
Concernant la base de données PsycInfo, nous avons étendu la recherche aux bases de données « APA PsycArticles », « APA PsycInfo », « Psychology and Behavioral Sciences Collection », « SocINDEW with Full Text » qui lui sont rattachées.
Toutes les recherches ont été effectuées à l’aide de l’outil « recherche avancée ». Nous avons utilisé la recherche par titre et résumé. La restriction des 20 dernières années a été utilisée pour avoir des données récentes. La combinaison des mots-clés a permis de créer trois équations réutilisables en fonction des bases de données choisies.
Résultats de la recherche bibliographique
Sur la base de données PubMed, 41 articles ont été recensés, 262 dans Scopus et 96 dans PsycInfo.
Lors d’une première lecture intégrale, nous avons exclu les articles selon les 5 critères d’exclusion préétablis (Diagramme de flux selon recommandation Prisma [Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses], voir p. 47). Ainsi, 6 articles ont été inclus dans la présente revue de littérature.
Nous avons eu recours à la grille Mixed Methods Apparaisal Tool (MMAT)(5) et à la grille de lecture critique simplifiée établie à partir de celle proposée par Salmi LR(6).
La date de parution des études sélectionnées s’étend de 2008 à 2020. L’origine des études est internationale et, parmi les schémas d’étude, nous retrouvons des essais randomisés (n = 3), une étude analytique rétrospective, une étude descriptive rétrospective et une étude cas-témoin.
Trois types de populations sont étudiés : les enfants et/ou adolescents placés en FA, en institution ou connus des services de protection de l’enfance équivalent à l’ASE à l’étranger(7, 8) ; les enfants et/ou adolescents placés et hospitalisés en pédopsychiatrie ou ayant eu recours à des consultations en ambulatoire(7, 9, 10, 12) ; les acteurs de la prise en charge des enfants et/ou adolescents placés(8, 9, 11).
Les études qui traitent directement des interventions ou stratégies visant à soutenir les FA et/ou les équipes socio-éducatives sont retrouvées dans 3 études(8, 10, 11). Les 3 autres articles(7, 9, 12) ne traitent pas directement des interventions qui pourraient être efficaces dans le soutien aux FA et/ou aux équipes socio-éducatives. Ils sont axés sur l’analyse des pathologies psychiatriques et des troubles du comportement que présentent les enfants et/ou adolescents placés, ayant été hospitalisés. Cependant, les discussions et les conclusions de la totalité des articles(7-12) sous-tendent des perspectives d’interventions et stratégies innovantes à mettre en place pour la prise en charge des enfants et/ou adolescents placés. Même si la totalité des études n’avait pas comme sujet principal l’évaluation des interventions visant à soutenir les FA et/ou les équipes socio-éducatives, l’analyse des articles inclus a été concluante pour atteindre l’objectif principal de la présente revue de littérature.
L’ASE est un dispositif français de protection des mineurs en danger ou en risque de le devenir. En 2018, sur les 354 000 mesures d’ASE réalisées, 52,3% ont été des mesures de placement en dehors du domicile familial(*). Ces enfants ont été confiés à des établissements publics relevant de l’ASE, à des maisons d’enfants à caractère social (MECS) ou à des familles d’accueil (FA). La décision de retirer l’enfant de sa famille est une mesure de protection judiciaire ordonnée par le juge des enfants (JE) sans accord préalable des parents.
* Tidiane C., Leroux I. (2020). L’aide et l’action sociales en France - perte d’autonomie, handicap, protection de l’enfance et insertion. Panorama de la DREES.