En France, l’inclusion des étudiants porteurs de troubles dyslexiques et autres troubles d’apprentissage n’est pas toujours une priorité. C’est sans compter sur le projet « Dys pour cent », mis en place en 2021 par l’Institut de formation des professionnels de santé (IFPS) du centre hospitalier Guillaume-Régnier à Rennes (Bretagne), qui accompagne ces futurs infirmiers en leur proposant des aménagements sur mesure pour faciliter leur parcours académique.
D’une main agile, Clémence fait glisser sa souris sur une feuille imprimée posée sur son bureau. En deux passages et un clic le tour est joué et sur son écran d’ordinateur apparaît la copie parfaite du polycopié. Depuis qu’elle utilise cet outil qui permet de scanner tous types de documents en temps réel, l’étudiante en 3e année à l’IFPS du CH Guillaume-Régnier à Rennes ne peut plus s’en passer. Et pour cause, cette vingtenaire au sourire candide et à la mine réjouie est porteuse de plusieurs troubles en « dys » (dyslexie, dyspraxie, dysphasie, dyscalculie), qui rendent complexes sa prise de notes et la sélection des informations importantes d’un cours.
Comme elle, Axelle, Emmy, Avril et près d’une vingtaine d’autres étudiants en soins infirmiers (ESI) de cet institut sont porteurs de dys. Un point commun qui ne doit rien au hasard puisque l’établissement rennais a fait de l’accueil et de l’accompagnement de ces personnes l’une de ses spécificités. « Environ 10 % des élèves présentent des troubles du langage écrit et oral, dont 4 % de façon sévère. Ces troubles constituent un handicap invisible qui perdure à l’âge adulte. Si les étudiants, qui parviennent au secondaire, ont pu mettre en œuvre des stratégies d’adaptation, l’entrée dans les études supérieures peut perturber leurs repères. C’est pourquoi nous souhaitons les accompagner pour qu’ils aient les mêmes chances que les autres étudiants », expose Véronique Laurent, formatrice et initiatrice de Dys pour cent. Voilà, en effet, l’objectif qu’avait en tête cette dernière lors du démarrage de ce projet qui a vu le jour en 2021. Son idée ? Proposer des compensations aux porteurs de dys pour faciliter l’élaboration de leur mémoire de 3e année. « J’ai commencé par soumettre une grille d’évaluation qui permettait plus de souplesse quant à la forme que devait prendre ce document : moins de rédaction sur certaines parties, présentation par points clés, possibilité de citer des sources autres qu’écrites, telles que des podcasts ou des vidéos. Sur la notation, je suggérais aussi de ne pas avoir de barème d’orthographe ou encore de noter en priorité l’oral », détaille la formatrice, par ailleurs maman d’un enfant dyslexique avec des troubles de la concentration. Passé la première année de test et la validation de la grille par l’agence régionale de santé (ARS) de Bretagne, le projet Dys pour cent a pu prendre son envol. Et c’est à la rentrée 2022 qu’a été mis en place le parcours tel qu’il se présente actuellement.
Un parcours ponctué de rendez-vous incontournables, à l’instar du premier, réalisé par le formateur référent (RSP) qui, bien qu’il s’adresse à l’ensemble des 1res années, peut être l’occasion pour l’apprenant porteur de troubles dys de faire part à l’équipe éducative de ses difficultés d’apprentissage. S’ensuivent deux autres bilans, effectués après chaque stage, auxquels peuvent s’ajouter des points complémentaires à la demande pour réévaluer les besoins de l’ESI et pouvoir y répondre de façon adaptée. « Aucun dys ne se ressemble. C’est pourquoi, il est important de pouvoir élaborer des solutions personnalisées. Pour cela, nous avons mis au point un panier dans lequel chaque étudiant peut piocher ce qui lui convient le mieux en fonction de ses difficultés », décrit Florence Matte qui, en tant de référente handicap au sein de cet institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), s’assure que la concrétisation des adaptations ait bien lieu dans la foulée. Dans ce panier, de nombreux aménagements, comme la mise à disposition de matériels spécifiques (crayons lecteurs, logiciels adaptés, dictaphones, livres audio, etc.), la priorisation des cours en présentiel, l’instauration du tiers-temps, la transmission des supports de cours à l’avance, l’autorisation des mouvements durant les cours pour relancer la concentration, la mise en place d’une aide humaine durant les examens…
Côté pédagogie, le projet a aussi conduit l’établissement à revisiter certaines méthodes pour les rendre plus accessibles aux personnes dys. Exit les consignes et les questions alambiquées, place à des formulations plus épurées, en police Arial agrandie, et à des images sélectionnées pour leur pertinence et non pour « faire beau ». « Il ne s’agit aucunement de baisser le niveau des enseignements, mais juste de permettre à tous les élèves de s’y retrouver. C’est le propre de l’inclusion », rappelle Christine Renon, pilote du projet. Lors des phases de stages, l’équipe pédagogique de l’IFPS peut également proposer de rencontrer le cadre de santé pour l’informer des difficultés de l’ESI. Le but ? Repérer ensemble les actions pouvant mettre à mal l’étudiant ayant des troubles dys (écrire une note de synthèse, calculer un dosage, refaire un geste de soins rapidement…) et les contourner en laissant, par exemple, le stagiaire avoir un téléphone portable dans sa poche pour prendre des photos de soins et s’entraîner ensuite chez lui, imprimer les plans de soins pour pouvoir les mémoriser plus tard ou encore en autorisant la remise des travaux pratiques sous format audio.
Nina, étudiante, a, pour sa part, besoin de temps et de calme pour pouvoir réfléchir. Sa parade afin d’éviter les remarques désobligeantes sur sa supposée lenteur ? Faire appel à son entourage professionnel. « Pour tout ce qui est transmission écrite, je fais toujours relire par des infirmières du service. En général, elles le font volontiers, mais cela suppose d’accepter de dire que l’on est dys », explique la jeune femme qui pourtant redouble sa première année. Libre en effet à chacun d’accepter d’en parler. À l’IFPS de Rennes, certains élèves mettent plusieurs mois à dévoiler leurs difficultés et d’autres ne les révèlent jamais. Ceux-là font toutefois de moins en moins le poids face au nombre de demandes de futurs infirmiers désireux d’intégrer le programme. « Le bouche-à-oreille fonctionne de mieux en mieux, à la fois du côté des jeunes comme des autres instituts de formation. À part nous, seuls deux Ifsi, à Montpellier et évry, proposent un tel dispositif destiné aux porteurs de dys », illustre Florence Matte, impatiente que le programme soit adapté ailleurs. D’autant que sa mise en œuvre est « plutôt simple », abonde Christine Renon, le plus épineux étant d’obtenir l’adhésion de la direction et des équipes pédagogiques. « Tout le monde a la capacité de faire ce que nous faisons, mais cela suppose un engagement institutionnel fort. Ce qui est le cas chez nous », applaudit la responsable pédagogique.
Distribution de tracts à la rentrée, organisation d’une journée de sensibilisation, formation de l’ensemble du personnel… l’établissement ne ménage pas ses efforts pour améliorer la connaissance autour de ce handicap. « C’est à nous de nous ajuster et non l’inverse. Ces étudiants méritent qu’on fasse ce pas de côté pour leur donner toutes les chances de réussir. Car, une fois sur le marché du travail, ce sont d’excellents professionnels, capables d’adaptation et de créativité », insiste Véronique Laurent. Depuis sa création, le programme Dys pour cent a pris en charge quarante-cinq élèves, dont dix-neuf nouveaux à la rentrée 2023. À quelques mois de l’obtention de son diplôme, Clémence, elle, touche presque du doigt son rêve de devenir infirmière. Une belle revanche sur son handicap qu’elle doit, elle le sait, en partie à l’IFPS de Rennes.