Infirmière depuis bientôt trente ans à Marseille, Haizia Moulai est devenue en 2022 cocoordinatrice de Med’Aide Paca, un dispositif unique en France qui fait de la prévention auprès des professionnels de santé.
Elle déploie son dynamisme pour sensibiliser les infirmiers libéraux à prendre soin d’eux-mêmes avec une bienveillance communicative.
Haizai Moulai : Aujourd’hui, je travaille en binôme dans le 13e arrondissement de Marseille, un quartier où subsiste une grande précarité. J’ai comme patientèle de nombreuses personnes âgées, qui souffrent de polypathologie, pour lesquelles je fais beaucoup de social. Il faut vraiment prendre en charge les personnes de manière holistique, au-delà des strictes compétences du soin. Quand je travaillais seule, j’ai très vite pris conscience de la solitude des professionnels. Ils donnent tout pour leurs patients, s’occupent de leur famille et s’oublient. Ce constat s’est amplifié encore pendant la crise sanitaire. Et pour la première fois peut-être, les infirmières libérales ont osé s’exprimer et faire part de leur mal-être. D’ailleurs, le but initial de la création de l’association La Maison de l’infirmière, à laquelle j’ai participé en 2020, était d’essayer de s’entraider et de mettre en place des actions de prévention pour les infirmières diplômées d’état libérales (Idel)… Le temps a filé, j’ai été élue au sein de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) Idel Paca et, en parallèle, j’ai découvert le dispositif Med’Aide URPS Paca. J’ai tout de suite pensé que c’est ce qu’il fallait pour la profession d’infirmière et je me suis engagée à le faire connaître sur le territoire, auprès du plus grand nombre.
H. M. : Son objectif est de prévenir l’épuisement professionnel par des actions sur le terrain, de proposer des outils de prévention et d’accompagnement aux professionnels en difficulté, et de sensibiliser des guetteurs-veilleurs. Il a été créé en 2016 par l’URPS ML Paca pour les médecins libéraux par des élus libéraux sensibilisés aux difficultés de l’entreprise médicale et du médecin. Depuis 2019, grâce au soutien de l’Agence régionale de santé (ARS) Paca, il s’est transformé en Med’Aide inter URPS : entraide par les soignants pour les soignants. Il s’adresse désormais aux médecins, aux infirmiers, aux sages-femmes, aux kinésithérapeutes, aux orthophonistes, aux orthoptistes, aux dentistes, aux biologistes, aux pharmaciens et aux podologues.
H. M. : Il est important de préciser qu’il ne s’agit pas d’une cellule d’écoute mais bien d’un dispositif qui apporte une réponse concrète et pertinente à tout infirmier qui rencontre un problème professionnel, personnel, administratif, psychologique… Le champ est très large et l’accompagnement est global. Le but est d’offrir une réponse au plus près de la demande et des besoins du soignant. Il lui suffit de composer un numéro de téléphone(1) et, après un préfiltrage, il est orienté en fonction de la problématique qu’il évoque. À ce stade, deux associations peuvent lui apporter une réponse. Synexial(2), service social du travail, lui permet d’avoir accès, en toute confidentialité vis-à-vis de ses pairs, à une assistante sociale pour l’informer et l’accompagner dans la résolution de ses problématiques sociales (santé, budget, législation, logement, vie privée, qualité de vie au travail). Il couvre aussi les problèmes financiers, les litiges ou les questions professionnelles. Et l’association Mots(3) (Médecin organisation travail santé) dispose, elle, de médecins effecteurs, qui préviennent, prennent en charge et évaluent le degré d’épuisement professionnel voire le burn-out. Ils peuvent mettre le soignant en contact avec un psychologue ou un psychiatre au plus proche de chez lui, ou en visio si cela n’est pas possible sur sa zone géographique. Et si un danger imminent est pressenti, ils peuvent déclencher une hospitalisation dans une unité dédiée aux soignants.
H. M. : Oui, tout à fait. J’ai suivi le diplôme inter-universitaire (DIU) « Soigner les soignants ». Cela m’a donné une certaine assurance et une expertise sur le sujet(4). Un soignant malade n’est pas un malade lambda. Il a besoin d’un accompagnement spécifique. Il faut trouver les mots pour l’aborder sans aggraver les choses et surtout faire comprendre aux soignants en général qu’ils ne sont pas des sauveurs. Ils ont le droit d’aller mal et il faut qu’ils apprennent à s’écouter et à prendre soin de leur personne. C’est un changement de posture important et un point que l’on n’apprend pas durant la formation initiale.
H. M. : Ma première mission est d’accompagner mes collègues, mes pairs, dans les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Et ma seconde mission est de faire connaître Med’Aide sur le territoire. Pour cela, je sillonne la région, j’interviens dans des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), je participe à des rencontres, des événements, des réunions d’associations pour le présenter et expliquer son fonctionnement. Lors de ces réunions d’information et de sensibilisation, nous incitons les professionnels de santé à rejoindre ce réseau d’entraide, ainsi qu’à devenir guetteurs-veilleurs. Ici, il ne s’agit pas de soigner, mais bien de savoir comment aborder et parler à un soignant que l’on sent ou sait en difficulté. Tous les jours, je vois sur le terrain des infirmiers libéraux concernés par ce sujet, de plus en plus de CPTS s’y intéressent et souhaitent intégrer le dispositif. Toutes ces missions sont très chronophages mais je trouve fabuleux de pouvoir apporter ma part dans cette évolution.
H. M. : Cela reste pour moi un métier magnifique. Si j’avais un message à donner aux jeunes qui viennent de s’installer, ce serait de cultiver et décupler la bienveillance entre pairs car s’entraider et être utile aux autres permet de s’enrichir mutuellement. Il faut aussi mettre à jour régulièrement ses pratiques et ses connaissances tout en sachant que cela nécessite un fort investissement sur son temps personnel. Enfin, il est primordial de se former pour s’ouvrir des portes et s’intéresser aux métiers possibles pour les infirmiers. Il existe un éventail immense de façons d’exercer ce métier, et il faut explorer toutes les pistes avant de baisser les bras. Pour ma part, je ne décrocherai pas !
1995 Diplôme d’état d’infirmière à l’Institut de formation de soins infirmiers Saint-Jacques à Marseille (14e).
1995-1999 Infirmière en service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) à Marseille.
2000 Installation en tant qu’infirmière libérale dans le 1er, 9e, puis 13e arrondissement où elle exerce toujours en binôme.
2020 Participe à la création de la Maison de l’infirmière.
2021 Élue au sein de l’URPS Idel Paca.
2022 Obtention du diplôme inter-universitaire « Soigner les soignants », Paris-Diderot et université Toulouse III-Paul Sabatier.
2022 Cocoordinatrice du dispositif Med’Aide en Paca.
2023 Double certification professionnelle : « Dirigeant d’établissement médico-social » et « Coordinatrice de structure d’exercice coordonné » au centre de formation certifié Espace Sentein, à Grabels (Hérault).