Qu’est-ce que le soin en psychiatrie ? Comment soigner mieux ? Quelle culture de la psychiatrie défendent les établissements de santé mentale ? La psychiatrie publique souffre, les équipes comme les patients. Guidés par des courants aux résultats salués depuis des décennies, des professionnels s’activent au quotidien pour revenir aux fondements du soin : la parole, l’échange, la relation.
Encore trop peu considérée par les autorités publiques et toujours victime de clichés de la part du grand public, la psychiatrie avec ceux qui la représentent sur le terrain se démène pour survivre. Les professionnels cherchent à maintenir le sens de leur mission, quand les patients ne trouvent pas aisément de solutions adéquates. Dans le secteur public, qui reste majoritaire en France - 63,1 % de lits de prise en charge à temps complet au 31 décembre 2019 et 74,3 % des places de prise en charge à temps partiel, selon des données de la Statistique annuelle des établissements de santé (SAE) traitées par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) -, des lits ferment, des postes tous métiers confondus restent vacants ou font l’objet d’un turnover important. Une situation critique de la psychiatrie, amplifiée par la crise sanitaire.
Selon une enquête menée par la Fédération hospitalière de France (FHF), entre avril et mai 2023 auprès de 110 établissements publics autorisés (soit la moitié de ceux que compte la France), 24 % avaient fermé 10 à 30 % de leur capacité au 31 décembre 2022. Dans 40 % de ces établissements, entre un quart et trois quarts des postes de médecin étaient vacants. On dénombre un quart de postes d’infirmier dans les murs vacants pour 14 % des participants. Conséquence, les soignants ne parviennent plus à soigner, les accueils à accueillir et les patients sont contraints de patienter, parfois bien longtemps, sans solution face à leurs troubles.
Toujours selon cette enquête, en psychiatrie adulte, le délai moyen d’accès à l’ambulatoire est de 1 à 4 mois pour plus de la moitié des établissements (53 %). Dans 59 des établissements concernés sur 61, les patients font face à des délais de plusieurs années pour accéder aux structures médico-sociales. Afin de surmonter les difficultés, les établissements ont évoqué une réorganisation de l’offre de soin ou le développement d’alternatives à l’hospitalisation. Ils ont été plusieurs à aborder, également, l’allègement de la gestion des normes d’isolement et de contention.
À ce propos, en mai 2022, Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, dénonçait, en pleine crise de la psychiatrie liée au confinement mais aux origines plus profondes selon elle, une augmentation des mesures d’isolement et de contention. En 2021, sur les 95 000 personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement, plus de 29 000 d’entre elles ont été placées en chambre d’isolement et 10 000 ont été attachées. Des mesures contre lesquelles certains professionnels du soin, malgré le manque d’effectifs, cherchent à agir et visent le moindre recours, voire l’absence totale de recours. Ce, malgré un manque de culture du soin en psychiatrie dont l’essence - rappellent de nombreux soignants - repose sur l’échange, la relation humaine.
Cette insuffisance est en grande partie liée à la disparition, il y a trente ans, du diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique (la formation est passée de 1700 heures à 40 à 80 heures fondues dans l’ensemble de la formation généraliste) et, avec lui, la capacité à identifier la culture du soin qui guide l’exercice quotidien. Comme le propose l’infirmier-chercheur Loïc Rohr à travers la formation (lire p. 18 à 21), ils sont quelques-uns à avoir défendu corps et âme, depuis le début de la seconde moitié du XXe siècle, une psychiatrie plus humaine. François Tosquelles (1912-1994) en tête, psychiatre catalan qui, à Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère), dans ce qui s’appelle aujourd’hui le Centre hospitalier François-Tosquelles, inventa les clubs thérapeutiques : patients et soignants gèrent main dans la main, sur un pied d’égalité, les affaires journalières et développent les activités d’un lieu qu’ils font vivre ensemble. Les patients, responsables d’organiser la vie quotidienne, y sont acteurs à part entière.
C’est cet état d’esprit qui anime le centre de jour flottant l’Adamant à Paris (lire p. 26-27). L’équipe s’appuie sur les principes de la psychothérapie institutionnelle (voir encadré p. 21) dont Tosquelles est le pionnier. Le psychiatre Jean Oury (1924-2014) l’a mise en œuvre dans l’établissement qu’il a fondé en 1953, toujours en activité, la clinique de La Borde, à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher). La blouse a disparu, rompant le possible rapport hiérarchique entre soignants et patients. D’autres courants, également portés par un humanisme engagé, ont motivé la transformation en profondeur d’établissements et de pôles. Des évolutions majeures défendues par des figures comme le professeur Jean-Luc Roelandt, dès les années 1970, dans la métropole de Lille avec le secteur G21, qui ne compte que dix lits pour six communes regroupant environ 88 000 habitants.
Rétablissement et réhabilitation psychosociale - soit comme le définit Laura Bon, neuropsychologue en Centre ressource de réhabilitation psychosociale : « L’ensemble de procédés visant à aider les personnes souffrant de troubles psychiques à se rétablir, c’est-à-dire à obtenir un niveau de vie et d’adaptation satisfaisant par rapport à leurs attentes » - guident les équipes comme celles du professeur Nicolas Franck au centre hospitalier Le Vinatier, à Bron (Rhône) (lire p. 24-25). Ici, l’hospitalisation est loin d’être une fatalité.
Tous ces professionnels du soin, à l’époque, et ceux d’aujourd’hui, ont milité et militent pour une psychiatrie plus humaine où les personnes remplacent les murs. Tous défendent une certaine culture du soin qu’ils cherchent à transmettre au quotidien pour lutter contre les disparités. Et soigner mieux..