L'infirmière n° 041 du 01/02/2024

 

Claude Finkelstein

DOSSIER

INTERVIEW

La Fédération nationale des patients en psychiatrie a rédigé, en 2000, une édifiante charte de l’usager en santé mentale et participé aux lois de 2002 et 2005 pour l’accès aux dossiers médicaux, la création de groupes mutuels d’entraide et la reconnaissance du handicap psychique. Sa présidente, Claude Finkelstein, continue d’interpeller professionnels et pouvoirs publics.

Quelle est votre expérience en tant que patiente, votre parcours ?

Claude Finkelstein : J’ai 76 ans. Et je peux dire que j’ai 76 ans de confrontation avec la psychiatrie. Je suis née dans une famille « un peu touchée ». J’ai été élevée par une tante diagnostiquée schizophrène, internée assez longtemps. Ma maman, fantasque, travaillait, puis elle a été diagnostiquée bipolaire. Je me sentais bien en forme, très active, j’étais le plus jeune agent immobilier de France, à l’époque. Puis sont arrivés des problèmes dans ma vie qui m’ont fait tomber vers 40 ans.

Qu’est-ce que le soin en psychiatrie, à vos yeux ?

C. F. : De l’humain. 50 % de médicaments, je peux l’accepter, mais il me faut 50 % d’humain. En tant qu’usager, on passe dix ans de vie à attendre un diagnostic. Ensuite, il faut comprendre qu’on est malade, puis l’accepter. Quand on est bien soigné, c’est cinq ans. Quand on n’est pas très bien soigné, dix ans. Quand on est mal soigné, on ne l’accepte jamais. Le seul soin qu’on peut recevoir, dans ces cas-là, ce sont des médicaments. Ça aide, je ne suis absolument pas contre. Mais il faut obligatoirement un accompagnement humain. Or, depuis vingt ans, je vois grignoter l’humain, au fur et à mesure. Les professionnels ont choisi la psychiatrie parce qu’ils ont une sensibilité, un amour de l’autre. Parce qu’ils veulent faire quelque chose de leur vie. La gagner, bien sûr, mais avec une reconnaissance et une raison de travailler. On la leur enlève, chaque jour. Et s’ils perdent le sens de leur travail, nous sommes mal soignés. Dans une journée, il peut y avoir sept heures auprès du malade, d’écoute, d’attention, de petits cafés…

Ces principes ont-ils inspiré la rédaction de la charte de l’usager ?

C. F. : C’est évident. Le mot choisi, c’était « respect ». Respect de l’usager. Or, vous ne pouvez respecter l’usager que si vous le considérez comme votre alter ego. La charte pourrait être actualisée. Mais je n’en ai plus le courage…

La charte avait-elle été envoyée à tous les établissements ?

C. F. : Nous l’avons distribuée dans tous les hôpitaux. J’ai été appelée et insultée par certains professionnels. On se mêlait de ce qui ne nous regardait pas. Ils estimaient très bien savoir ce qu’ils faisaient et qu’ils n’avaient pas de conseil à recevoir des usagers. D’autres, au contraire, l’ont affichée.

À l’image des disparités entre établissements…

C. F. : Oui ! Mais, en réalité, on ne peut pas parler d’un hôpital. Il faut parler de service, c’est le chef de service qui donne l’impulsion, la culture. Et ça peut être très différent d’un service à l’autre.

Que conseiller aux infirmières en psychiatrie ?

C. F. : De chercher l’endroit où elles auront du succès. Qu’elles n’hésitent pas à changer, à partir quand elles ne sont pas bien dans le service. Vous vous rendez compte, elles viennent là avec l’espoir de faire quelque chose et on les pousse à craindre les gens, les patients. On leur enlève le fondamental de leur métier.

Que demandez-vous aux pouvoirs publics ?

C. F. : D’évaluer. Souvent, les professionnels ont peur de ce mot, parce que, derrière, la Haute autorité de santé (HAS) et l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap) débarquent. Je suis pour l’autoévaluation. S’autoévaluer, voir, demander et donner de l’argent, ne serait-ce qu’une reconnaissance, à ceux dont les initiatives sont positives, aux établissements dans lesquels on retrouve satisfaction et humanité.

ZOOM

Quelques principes extraits de la charte cosignée par les représentants de la Fnapsy et ceux de la Conférence des présidents de CME et de CHS de l’époque :

- L’usager en santé mentale est une personne qui ne doit pas être infantilisée ou considérée comme handicapée physique ou mentale.

- L’usager en santé mentale est une personne qui ne se réduit pas à une maladie, mais qui souffre de maladie.

- La prise en compte de la dimension douloureuse, physique et psychologique des usagers en santé mentale doit être une préoccupation constante de tous les intervenants.

- Compte tenu des liens organiques entre sanitaire et social dans le domaine de la santé mentale, les projets élaborés au bénéfice des usagers ne doivent pas pâtir de divisions artificielles des champs d’intervention.

- La participation active de l’usager à toute décision le concernant doit toujours être sollicitée en le resituant au centre de la démarche de soins, dans un processus continu d’adhésion.

- Les équipes soignantes ont le souci, tout au long du traitement, de mobiliser le patient de façon positive autour de ses capacités, ses connaissances, savoir-faire pour les exploiter afin qu’il puisse se reconstruire, en favorisant une réinsertion sociale par paliers.

Bibliographie

- Comité plénier du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (2022, 22 octobre). Avis 140 - Repenser le système de soins sur un fondement éthique. Leçons de la crise sanitaire et hospitalière, diagnostic et perspectives. ccne-ethique.fr

- Fédération nationale des associations d’(ex)patients en psychiatrie (Fnapsy) et Conférence nationale des présidents des commissions médicales d’établissement des centres hospitaliers (2000, 8 décembre). Charte de l’usager en santé mentale.

- Haute autorité de santé (2018, mis à jour en 2020). Programme pluriannuel - Psychiatrie et santé mentale 2018-2023.

- Lanquetin J.-P. et Tchukriel S. (2013). L’impact de l’informel dans le travail infirmier en psychiatrie. Recherche en soins infirmiers, 3 (114), p. 95. Rapport de recherche réalisé dans le cadre du Conseil scientifique de la recherche du centre hospitalier Le Vinatier.

- Rohr L. (2020). Le moindre recours… à l’isolement et à la contention. GRSI.

- Delion P. (2014). La psychothérapie institutionnelle : d’où vient-elle et où va-t-elle ? Empan, 4(96).

- Franck N. (2021, décembre). Principes et outils de la réhabilitation psychosociale. Annales médico-psychologiques, 179(10), p. 953-958. Elsevier Masson France, Paris. http://www.sciencedirect.com/

- Brière J.-L. (2022). Le pôle Centre rive gauche : un secteur orienté rétablissement - entretien avec le professeur Nicolas Franck. Pratiques en santé mentale, 4, p. 7-9.

- Pr Franck N. (dir.) (2018). Traité de réhabilitation psychosociale. Elsevier Masson France.

- Pr Franck N. (2022). Protéger sa santé mentale. La santé en action (461), p. 16-18. Protéger sa santé mentale après la crise.

- Desmons P. et Roelandt J.-L. (2002). Manuel de psychiatrie citoyenne. L’avenir d’une désillusion ; Des pensées et des actes en santé mentale. Éditions In Press.

- Oury J. (2001). Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle. Les Éditions du Champ Social.

- Oury J. (2016). La Psychothérapie institutionnelle, de Saint-Alban à La Borde. Éditions d’une.

- Zarifian E. (2000). Les jardiniers de la folie. Odile Jacob Poches.

- Delaporte I. (2023). Écoute les murs parler. L’Iconoclaste.

- Sorman J. (2021). À la folie. Flammarion.

- Macé Dubois A. (2023). À en devenir fou. Dans la peau d’un schizophrène. Phébus.

- Jauffret M. (2020). Le fumoir. Éditions Anne Carrière.

Sites

www.centre-ressource-rehabilitation.org

www.soclecare.fr

www.refor.fr