S’INSTALLER : BIEN PRÉVOIR SES DÉPENSES
EXERCICE LIBÉRAL
ORGANISATION
Laure Martin* Laura Phelippon**
*manager chez Comptasanté
Ouvrir son cabinet implique des investissements. Bien que de nombreux frais soient déductibles des impôts, ils doivent être anticipés car ils nécessitent d’avoir une trésorerie de départ pour se lancer dans l’activité sans difficulté.
Qu’elles soient titulaires, collaboratrices ou remplaçantes, les infirmières diplômées d’État libérales (Idel) ont en commun un certain nombre de dépenses, à commencer par une cotisation de 85 euros à l’Ordre national des infirmiers (ONI). Elle est obligatoire, au risque d’être poursuivi pour exercice illégal du métier d’infirmier.
Exercer le métier en libéral implique, sans surprise, de disposer d’une patientèle.
Dans certains cas, les infirmières libérales peuvent être amenées à racheter celle d’une infirmière qui arrête son activité.
C’est notamment le cas dans les zones surdotées, c’est-à-dire disposant d’un nombre très important d’Idel, puisque depuis, l’avenant 6 à la convention nationale des infirmiers, il n’est plus possible de s’y installer sans le départ d’une autre Idel, cette dernière devant nommer son repreneur ou sa repreneuse.
Pour exercer en libéral, les Idel doivent souscrire à différentes assurances.
- La responsabilité civile professionnelle (RCP) est obligatoire. Elle est engagée dès lors que l’une des prestations de l’Idel ou l’un de ses équipements est à l’origine de dommages causés à un tiers dans le cadre de son activité. Ces dommages peuvent être d’ordre corporel, matériel ou immatériel. Différents niveaux de prise en charge sont proposés par les assurances. Une cotisation comprise entre 15 et 20 euros mensuels semble pertinente, à condition d’avoir préalablement vérifié le contenu des prestations incluses dans le contrat.
- La mutuelle santé complémentaire n’est pas obligatoire mais fortement recommandée. Elle doit être estampillée « Madelin » pour que l’Idel puisse la déduire de ses charges.
- Enfin, la prévoyance (arrêt de travail, invalidité, décès) n’est pas obligatoire mais permet aux infirmières libérales de percevoir une compensation financière en cas d’arrêt de travail.
Pour assurer leur tournée, les Idel se déplacent comme elles l’entendent à savoir à pied, à vélo, en voiture… Des moyens de locomotion qui n’impliquent pas tous les mêmes dépenses. La voiture, par exemple, peut être acquise en leasing ou à l’achat. Mais le choix du leasing pour une Idel est moins engageant que l’achat d’un véhicule à titre professionnel, car dans ce deuxième cas, le véhicule entre dans son patrimoine professionnel. De fait, en cas de plus-value à la revente de son cabinet, l’Idel peut être imposée. Le choix entre les deux options repose sur la durée d’utilisation prévue du véhicule.
En cas d’achat du véhicule à titre professionnel, l’Idel peut effectuer un emprunt professionnel. Elle pourra alors déduire de ses charges, les intérêts et l’assurance de l’emprunt.
Qui dit véhicule dit assurance, essence, réparations, entretien, lavage… Ces frais sont également à prévoir dans les dépenses. Ils sont, en revanche, déductibles en fonction de l’usage qui est fait du véhicule ; une quote-part étant à prévoir en cas d’usage professionnel et personnel du véhicule.
En s’installant en libéral, les infirmières doivent payer des cotisations à l’Urssaf et à la Carpimko. Ces cotisations font partie des charges courantes fixes qu’elles doivent intégrer dans leur gestion comptable au même titre que les impôts.
Attention toutefois : la première année d’activité, la cotisation est calculée sur des bases forfaitaires minimales. Il est donc fortement recommandé de mettre 50 % de son chiffre d’affaires de côté en attendant la régularisation l’année d’après. Les années suivantes, il sera possible, avec l’aide d’un l’expert-comptable, d’affiner le pourcentage.
Tous les frais sont à 100 % déductibles dans les charges. Une formation pour maîtriser la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) est fortement recommandée.
Chaque année, les Idel peuvent acheter une tenue et des chaussures professionnelles sur des sites professionnels, déductibles de leurs charges. Elles ont également droit à des frais de blanchisserie.
Ils dépendent du type de compte. En libéral, le compte professionnel n’est pas obligatoire. Dès lors que le compte particulier est dédié à l’activité, les frais peuvent être déduits.
Il s’agit d’un impôt local dû par les entreprises et les personnes exerçant une activité professionnelle non salariée.
Le local est obligatoire pour exercer une activité libérale. Les Idel peuvent l’acheter ou le louer.
En cas d’achat et éventuellement d’emprunt, les intérêts et l’assurance du prêt sont déductibles tout comme l’assurance du local.
D’autres frais sont également à anticiper : les factures d’électricité, de gaz, d’eau, la connexion internet ou encore la taxe foncière en cas de propriété.
Pour exercer, les infirmières diplômées d’état ont besoin du petit outillage, à savoir du matériel qui n’est pas consommable tel que la table de consultation, les dispositifs médicaux comme le tensiomètre réutilisable, le saturomètre, le stéthoscope, le défibrillateur. Elles doivent également investir dans du consommable pour dispenser les soins : pansements de base, bandes, compresses, gants, masques, alcool, solution hydroalcoolique, sondes, drains, ôtes-agrafes, ciseaux, pinces, seringues, collecteurs de seringues, aiguilles.
Enfin, elles doivent s’équiper de matériel de bureau, notamment informatique : téléphone, ordinateur, imprimante, logiciel de facturation et de télétransmission. Elles peuvent d’ailleurs bénéficier d’une aide financière, le forfait d’aide à la modernisation et informatisation (Fami), de la part de l’Assurance maladie, pour leur équipement informatique à condition toutefois de respecter un certain nombre d’indicateurs.
Ces dépenses peuvent être déduites fiscalement. Comptablement, il est possible d’y intégrer des achats effectués jusqu’à trois mois avant l’ouverture du cabinet. Il est également possible d’acheter des biens d’occasion, dès lors qu’un document justifie la dépense.
L’impression de cartes de visite, la plaque, une inscription sur les plateformes de prise de rendez-vous en ligne, la création d’un site internet, etc. ont certes un coût, mais elles offrent à l’Idel une visibilité non négligeable pour son activité.
Lorsqu’elle exerce en tant que remplaçante, l’infirmière perçoit ses honoraires de la part de la titulaire. Cette dernière garde généralement 20 % des sommes gagnées par la remplaçante pour couvrir les frais de cabinet.
En tant que collaboratrice, l’Idel reverse un pourcentage de ses honoraires à la titulaire, en moyenne entre 20 et 30 %, pour couvrir les frais engagés par la titulaire pour le cabinet dont profite la collaboratrice.
Emmanuel Neboit, Idel remplaçant dans le Grand Est
« J’ai vendu ma patientèle, l’année dernière, mais je suis remplaçant encore occasionnellement. L’un des points d’attention à l’installation en libéral repose sur le rachat de patientèle. Il faut être extrêmement vigilant sur les prix, surtout dans les zones surdotées, d’autant plus qu’il n’existe aucune règle légale pour le calcul. Finalement, le prix repose souvent sur la loi de l’offre et la demande. Or, il ne faut pas oublier que, même en rachetant une patientèle, rien n’oblige les patients à continuer de faire appel à l’Idel nouvellement installée. Ils sont libres de solliciter les soignants qu’ils souhaitent. Le prix d’une patientèle est en moyenne compris entre 20 000 et 30 000 euros. Au-delà, il faut être prudent. Par ailleurs, si l’Idel fait le choix de ne pas racheter de patientèle et de créer son activité, je lui conseille de faire un business plan afin de savoir à partir de combien de temps d’activité, il lui sera possible de se dégager un salaire. C’est indispensable de connaître la réserve financière dont elle doit disposer avant de se lancer, voire si elle doit se rapprocher d’une banque pour disposer d’un minimum de trésorerie. »
Sébastien Marechal, Idel en Occitanie
« Au-delà de l’achat de la patientèle, qui semble inévitable lorsqu’on s’installe dans une zone surdotée, l’une des principales dépenses que les Idel ne doivent pas oublier d’anticiper, ce sont les charges. Il est impératif de mettre 50 % de ce que l’on gagne de côté pour payer les charges fixes à savoir l’Urssaf, la Carpimko, les impôts, mais aussi la retraite complémentaire et d’autres assurances qui, de plus, ont tendance à augmenter. L’enveloppe à prévoir est en moyenne comprise en 40 000 et 50 000 euros par an. Les Idel les gagnent généralement dans l’année. Pour autant, les premières années d’exercice, il ne faut pas engager trop de dépenses annexes, par exemple prendre un leasing pour une voiture à 1 000 euros par mois, ce serait trop risqué, lorsqu’on ne connaît pas encore le chiffre d’affaires que l’on va pouvoir générer avec son activité. Il faut apprendre à être prévoyant d’autant plus qu’on peut avoir des périodes creuses. Je pense que les Idel devraient toutes se rapprocher d’un expert-comptable pour se faire conseiller, car face à toutes les charges, on peut vite se retrouver en difficulté. »
Guillaume Fongueuse, Idel dans les Hauts-de-France
« Lorsqu’un infirmier souhaite s’installer en libéral, il doit préalablement se renseigner sur le territoire sur lequel il souhaite exercer, via l’Ordre des infirmiers ou l’Assurance maladie, qui attribuent l’autorisation d’exercice. Des outils sont disponibles tels que le portail d’accompagnement des professionnels de santé (PAPS). En fonction de ses objectifs, à savoir créer une patientèle, rejoindre un cabinet ou racheter une patientèle, les démarches et les coûts vont varier tout comme son futur chiffre d’affaires. Il faut y réfléchir dans son projet car l’expert-comptable ne va pas effectuer le même prévisionnel en fonction de ce choix. Il faut également être vigilant sur le rachat de la patientèle, car finalement on rachète du vent, mais tout en ayant conscience que la créer de toute pièce est également un pari risqué. Je l’ai fait il y a dix ans, et après cinq ans d’exercice, j’ai dû racheter une patientèle pour avoir une activité plus lucrative. Il ne faut pas se priver de demander conseils à ses pairs et à un expert-comptable. Il faut aussi déterminer les revenus que l’on souhaite se dégager tous les mois et le rythme de travail que l’on est prêt à avoir. Cela permet d’anticiper et d’éviter le surmenage. »