L'infirmière n° 042 du 01/03/2024

 

Marie-Hélène Bourdrel

DOSSIER

INTERVIEW

Infirmière de pratique avancée pour les pathologies chroniques stabilisées (IPA PCS) dans le Pas-de-Calais, elle prend en charge des patients insuffisants respiratoires et nous détaille sa mission entre prévention, suivi et éducation.

Pourquoi avez-vous fait le choix de devenir IPA PCS ?

Marie-Hélène Bourdrel : Je suis infirmière diplômée depuis 1986 et je n’ai jamais cessé de me former. Je travaillais dans un secteur d’imagerie en cardiologie dans lequel je faisais des actes techniques, comme les épreuves d’effort, et j’avais parallèlement un statut de libérale. Je trouvais qu’il manquait un maillon entre l’infirmière et le médecin et ce statut d’infirmière en pratique avancée (IPA) me semblait intéressant pour faire ce lien. J’ai donc suivi la formation et passé le diplôme en pratique avancée en 2021. J’exerce en tant que libérale et je travaille en binôme avec des médecins dans des maisons de santé, sur trois villes : Arras, Liévin et Lens. Je suis parvenue à me faire connaître en tant qu’IPA au moment de la crise sanitaire, car j’ai beaucoup travaillé dans les centres de vaccination avec de jeunes médecins auprès desquels j’ai fait la promotion de ma qualification, ce qui m’a permis progressivement de trouver une patientèle. Aujourd’hui, je dirais que j’ai environ 450 patients dont une cinquantaine de patients BPCO.

Comment prenez-vous en charge les patients atteints de BPCO ?

M-H. B. : Je travaille à la fois au cabinet, dans les maisons de santé et à domicile, puisque je m’occupe de patients BPCO sévères, décompensés, qui ne sortent quasiment plus de chez eux. La différence par rapport à une infirmière libérale, qui suit aussi des patients BPCO, c’est que je dispose de davantage de temps pour mener une véritable consultation. À titre d’exemple, la première visite avec un patient BPCO dure une heure, les suivantes une demi-heure à trois quarts d’heure. Je leur demande s’ils ont des facteurs de risques associés, s’ils rencontrent des troubles du sommeil, je qualifie leur dyspnée, leur qualité de vie, j’essaye de voir s’ils ne sont pas dépressifs - c’est souvent une conséquence de leur maladie, le fait de se sentir diminués affecte beaucoup les patients chroniques - et je tente de savoir comment se déroule leur vie quotidienne, s’ils n’éprouvent pas trop de difficultés. Quand je suis au cabinet, je peux aussi réaliser une spirométrie, qui permet d’avoir une analyse précise de la situation. Si je ne peux pas le faire, je me mets en relation avec des collègues du réseau Asalée (lire encadré p. 23) qui pourront faire l’examen. Dans le suivi de la pathologie, je note aussi le nombre d’exacerbations que les patients ont connues, dans les derniers mois, pour évaluer l’évolution, voire l’aggravation de la maladie. À ce titre, je les éduque sur les signes précurseurs d’exacerbations pour mieux les prévenir : par exemple, je leur indique quand consulter face à un rhume ou à un essoufflement inhabituel. Je fais également le lien entre eux et le médecin qui suit le patient, quand ils n’arrivent pas à le joindre. Le fait d’être IPA facilite, pour les patients que je suis, l’obtention d’un rendez-vous auprès d’un médecin. J’ai ce rôle facilitateur, parce que j’ai au préalable évalué la situation, avec des indicateurs précis, notamment en ayant mené une auscultation pulmonaire qui me permet d’expliquer au médecin que le patient a besoin rapidement d’une consultation médicale.

Je joue également un rôle au niveau de la prévention, notamment avec la vaccination. Je m’assure que les vaccins soient bien à jour, que ce soit pour la grippe, le Covid et surtout le pneumocoque, qui a tendance à être un peu oublié. Si les patients le souhaitent, je peux procéder aux injections. Un autre aspect de la consultation est de m’assurer de l’observance thérapeutique : je peux prendre le temps de réexpliquer comment prendre les traitements broncho-dilatateurs et m’assurer que le patient a bien compris, car l’observance est très importante pour le patient mais elle n’est malheureusement pas toujours bien suivie. Comme il s’agit de patients souffrant d’une pathologie respiratoire, j’aborde la question du sevrage tabagique et, si c’est nécessaire, je les adresse à des spécialistes, ce que font aussi mes collègues du réseau Asalée. Par ailleurs, je peux demander une réhabilitation respiratoire ou encore prescrire des prises de sang pour évaluer la gazométrie, qui qualifie davantage la maladie.

Comment définissez-vous votre rôle ?

M-H. B. : Je pense qu’il faut voir mon rôle comme une mission au carrefour de la prévention et de l’éducation du patient. En disposant de plus de temps auprès du patient, je contribue à une meilleure observance des traitements, à une éducation globale du patient, sur sa pathologie mais aussi sur des règles hygiéno-diététiques qui contribuent à son mieux-être, je le sensibilise à la pratique d’une activité physique adaptée, selon ses possibilités. Aucune de mes missions ne se substitue au travail du médecin, elles sont complémentaires et permettent de lui faire gagner du temps. Certains pneumologues ne sont pas contre une délégation de tâches pour le suivi de patients chroniques stables. Il pourrait être envisageable qu’en tant qu’IPA, nous fassions le suivi, les spirométries de contrôle, le renouvellement de certains traitements de fond. Et, en cas de dyspnée aigüe ou de signes d’aggravation, c’est toujours vers le médecin que le patient doit s’orienter, ce à quoi nous contribuons.

Des infirmières Asalée en appui

Si l’IPA est une infirmière qui travaille en toute autonomie, elle peut également s’appuyer sur ses collègues d’Action de santé libérale en équipe (Asalée). Ces dernières, qui travaillent directement en collaboration avec des médecins généralistes, peuvent réaliser certains examens comme la spirométrie ou mener des actions de sevrage tabagique à destination des patients BPCO. Une thèse(1), publiée en 2016, a reconnu que les médecins étaient satisfaits de leur collaboration avec les infirmières Asalée dans le cadre de la prise en charge de la BPCO. Selon l’étude, « elles apportent une aide majeure dans la prise en charge des maladies chroniques ; par leur proximité, elles facilitent la réalisation de dépistage et permettent au médecin un gain de temps non négligeable. Il y a fort à parier que l’IPA, avec ses missions et son autonomie, ajoute un maillon fort à la prise en charge de ces patients.

1. Hau V. Ressenti des médecins généralistes quant à l’utilisation du protocole BPCO d’Asalée. Thèse d’exercice, Université de Poitiers, 2016.