ACCIDENT D’EXPOSITION AU SANG : POUR UNE PRISE EN CHARGE OPTIMALE - Ma revue n° 042 du 01/03/2024 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 042 du 01/03/2024

 

EXERCICE LIBÉRAL

FICHE TECHNIQUE

Laure Martin*   Céline Poulain**  


*cadre supérieure de santé hygiéniste au CPias Pays de la Loire

Dans le cadre de leur activité, les infirmières libérales peuvent être concernées par un accident d’exposition au sang (AES). Comment s’en protéger ? Quelles démarches effectuer lorsqu’on est concerné ?

Un accident d’exposition au sang (AES) se définit comme tout contact de sang ou de liquide biologique contenant du sang avec une effraction cutanée, une muqueuse ou une peau lésée. Sont assimilés à des AES, les accidents survenus dans les mêmes circonstances avec d’autres liquides biologiques, tels que les sécrétions génitales, les liquides cérébrospinal (LCS), synovial, pleural, péritonéal, péricardique ou encore amniotique. La survenue d’un AES peut être favorisée par le comportement agité du patient lors de la réalisation de soins ou lors du retrait d’un dispositif contenant du sang ou des liquides biologiques (perfusion, drain, sonde urinaire, etc.).

AGIR EN PRÉVENTION

Pour éviter la survenue d’un AES, les infirmières libérales (idels) doivent adopter des bonnes pratiques à domicile.

1. Elles doivent se munir d’équipements de protection individuelle (EPI), dès lors qu’elles accomplissent un acte risqué. Le port de gants est indispensable en cas de risque de contact avec du sang, ou tout autre produit d’origine biologique, avec les muqueuses ou la peau lésée d’un patient, en cas de lésion cutanée de leurs propres mains, de contact avec des surfaces, matériels, linges ou déchets souillés et pour manipuler des objets piquants et tranchants. Il est également important de porter des lunettes de protection, ainsi qu’un tablier ou une blouse à usage unique pour se protéger et éviter toute transmission de patient à soignant et de soignant à patient. Ni les prises de sang ni l’aide à la toilette et, encore moins, la pose de dispositif invasif ou la réfection de pansement ne doivent être effectuées en tenue civile.

2. Les idels doivent respecter les bonnes pratiques lors de la manipulation d’instruments piquants ou coupants souillés, à savoir ne jamais recapuchonner ni désadapter à la main les aiguilles des seringues ou des systèmes de prélèvement sous-vide. Elles doivent jeter immédiatement, sans manipulation, les aiguilles et autres instruments piquants ou coupants dans un conteneur à déchets d’activités de soins à risques infectieux (DASRI), mis à proximité au moment de l’acte.

3. Enfin, les idels doivent transporter dans des emballages étanches appropriés et fermés, les prélèvements biologiques, les instruments souillés par du sang ou des produits biologiques. Par exemple, le contenant à aiguille doit être adapté à l’activité et présent dans la mallette, non dans le coffre de la voiture.

CONDUITE À TENIR EN CAS D’AES

En cas de survenue d’un AES, il est nécessaire pour l’idel d’identifier le risque, sans le sous-estimer. Si elle s’est coupée ou piquée, aucun doute, le risque est élevé. Ce dernier est essentiellement lié au VIH, VHC et VHB. Cependant, plus de 50 pathogènes différents peuvent être transmis lors un AES. Dans tous les cas, plusieurs étapes doivent être respectées afin d’éviter au maximum le risque d’infection.

1. La priorité de l’idel est, dans la mesure du possible, d’arrêter son travail en cours pour réaliser les premiers soins. En cas de piqûre ou coupure, il ne faut pas faire saigner la lésion ni accentuer le saignement, mais laver la plaie avec de l’eau et du savon afin d’enlever le plus de matières organiques possible, et désinfecter pendant au moins cinq minutes avec, de préférence, un dérivé chloré. Pour les yeux, il faut laver au sérum physiologique ou à grande eau.

2. Il convient ensuite de consulter le dossier patient, puis de l’interroger, à l’écart de sa famille ou de ses proches, sur sa situation sérologique, ses pathologies éventuelles ou tout comportement à risque qui peuvent potentiellement l’avoir contaminé. Même si le patient assure ne pas être porteur de maladies transmissibles, l’idel doit s’en assurer. Elle doit, avec son accord, lui effectuer un prélèvement sanguin en vue d’un dépistage des sérologies VIH, VHB et VHC. En cas d’impossibilité au patient à s’exprimer, il peut être opportun de demander l’autorisation à la personne de confiance ou à l’aidant.

3. L’idel doit contacter l’infectiologue référent AES de son territoire ou les urgences - les démarches sont territorialisées et non nationales. Pour une prise en charge optimale, elle doit avoir lieu dans les quatre heures qui suivent l’AES, notamment en cas de risque de contamination au VIH. Le professionnel de santé vérifiera sa situation vaccinale et immunitaire vis-à-vis des hépatites et évaluera le risque infectieux. La gravité d’un AES est définie en fonction de l’analyse d’un certain nombre de critères : la sévérité de l’exposition, la profondeur de la blessure, l’acte pratiqué, le matériel en cause, le port ou non de protections au moment de l’accident, le statut sérologique du patient source ou encore le liquide biologique responsable.

Dans tous les cas, dès lors qu’elle est prise en charge, l’idel va avoir une prise de sang pour définir les sérologies initiales à J0 du VIH, VHB et VHC ou autres infections. Le médecin référent AES pourra ensuite rédiger un certificat médical initial d’accident de travail pour la prise en charge assurantielle.

Cependant, pour être financièrement prise en charge, l’idel doit souscrire une assurance volontaire couvrant les accidents professionnels (accidents du travail, maladies professionnelles) dont les AES. Il lui est également recommandé de souscrire un contrat de prévoyance. L’idel sera de nouveau suivie avec des prélèvements sanguins effectués six semaines puis douze semaines après la survenue de l’AES. Si le risque est élevé, au vu de la situation et/ou du statut connu ou non du patient, le médecin peut proposer à l’infirmière le traitement post-exposition (TPE), après avoir mesuré les risques et les bénéfices, ces traitements étant relativement lourds.

Une plateforme de déclaration des AES dédiée aux libéraux

Le Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) de Bourgogne-Franche Comté a mis en ligne en décembre 2022, à la demande de l’Ordre national des infirmiers (Oni), la plateforme WebAES-Ville (aes-ville.chu-besancon.fr) dédiée aux déclarations des AES chez les infirmières libérales. « Les AES sont parmi les accidents les plus fréquents dans les établissements hospitaliers, si bien qu’une surveillance prioritaire a été déployée de 2002 à 2015, permettant de faire diminuer leur survenue », explique le Dr Nathalie Floret, médecin de santé publique et hygiéniste, responsable du CPias. Depuis, les surveillances annuelles ont été remplacées par des enquêtes afin de continuer à documenter les AES pour ainsi guider au mieux les stratégies et les actions de prévention. « En ville, le dernier travail d’ampleur a été mené en 2017 par l’Oni, révélant un taux d’AES important, probablement dix fois supérieur à celui des établissements de santé, avec une évitabilité très élevée, souligne le Dr Floret. Les axes d’amélioration possible sont importants. Et de poursuivre : Actuellement, nous ne pouvons que partager des recommandations en partant du postulat que les AES survenant en ville sont identiques à ceux de l’hôpital. Or, nous n’en avons pas la certitude. »

La plateforme WebAES-Ville a donc un double intérêt. Tout d’abord individuel, car elle permet au professionnel qui se blesse de documenter et d’analyser l’événement afin d’en comprendre le mécanisme de survenue pour éviter sa reproduction. « Puis un bénéfice collectif, puisque chaque déclaration alimente une base nationale que nous allons analyser pour comprendre la typologie des AES et proposer des actions pour une mise en sécurité, indique le Dr Floret. Mais pour le moment, seules une cinquantaine de déclarations ont été effectuées. Les idels doivent se saisir de l’outil pour leur sécurité. »

Les contacts

Les centres d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) ont collaboré avec certains comités de coordination régionaux de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l’immunodéficience humaine (Corevih) à l’élaboration d’une liste nationale de contacts. Tous les CPias se sont engagés à relayer le QR code permettant d’accéder à leur liste régionale via notamment les unions régionales des professionnels de santé (URPS) infirmiers.

En savoir plus

• Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants aux agents infectieux (Geres). www.geres.org

• Réseau national de prévention des infections associées aux soins (CPias). www.cpias.fr

• Réseau de prévention des infections liées aux soins (RéPias Primo) : prévention et contrôle de l’infection en établissements médico-sociaux et en soin de ville. antibioresistance.fr/prevention_infections

ÉTHIQUE ET SOINS AU QUOTIDIEN par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale

Le respect de la confidentialité quand des « tiers numériques » s’invitent dans la relation.

À domicile, les professionnels de santé sont soumis à des injonctions qui peuvent paraître paradoxales, comme partager les informations utiles à la qualité des soins et à leur continuité, et respecter le secret professionnel protecteur de la confidentialité et de l’intimité de ce qui se vit dans ce lieu de soins si particulier. L’objectif éthique étant l’instauration et/ou le maintien d’une relation de confiance et l’absence de révélations qui pourraient nuire à la personne soignée. Ainsi, c’est souvent la question des limites qui s’invite dans le débat. L’utilisation de solutions numériques, telles que les applications de collaboration entre professionnels, du fait qu’elles sont dites sécurisées, renferment beaucoup d’informations et même des photographies. Le consentement du patient, notamment celui qui est vulnérable, est-il toujours recueilli ? Son droit d’opposition dans le partage d’informations de santé le concernant lui est-il suffisamment expliqué ?

Si ces outils permettent la traçabilité des projets de soins et des interventions professionnelles, jusqu’où tracer sans être intrusif ? Quel équilibre trouver entre « pas tracé, pas fait » en termes de responsabilité du professionnel et la relation de confiance qui ne s’en satisfait pas toujours ? Ces solutions numériques, si elles peuvent être utiles, s’invitent comme des tiers dans la relation soignant-soigné et ne peuvent remplacer l’indispensable colloque singulier. Celui-ci est fondamental et s’appuie sur des compétences professionnelles (écoute, capacités relationnelles…) permettant de différencier les confidences, qui relèvent strictement du colloque singulier, et les éléments qui ont un intérêt pour la qualité des soins et du suivi.

Respecter la confidentialité revient à attacher de l’importance à la vie privée d’autrui, à son autonomie, à sa liberté d’action tout en s’appuyant sur ses paroles pour construire, en équipe, les réponses les plus pertinentes à sa problématique.