ITINÉR’AIR PREND LE SOUFFLE DU PUBLIC - Ma revue n° 042 du 01/03/2024 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 042 du 01/03/2024

 

DOSSIER

PRÉVENTION

Une campagne itinérante a été lancée, en décembre dernier, pour sensibiliser la population à la santé respiratoire et réunir institutions et professionnels de santé afin d’aborder la prévention et le dépistage de la BPCO. Première étape à Liévin, dans le Pas-de-Calais.

La préservation du souffle est une problématique majeure de santé. C’est dans cette optique que le laboratoire Chiesi (acteur de la santé respiratoire) et Tessan (start-up spécialiste de la téléconsultation) ont lancé, en 2022, la première campagne itinérante de dépistage de la santé respiratoire. Itinér’Air, c’est son nom, a fait escale dans cinq grandes villes de France (Lille, Lyon, Nice, Paris et Strasbourg), en 2022, et a permis la réalisation de 500 spirométries, dont 30 % ont nécessité des investigations complémentaires. L’initiative a été reconduite pour une deuxième campagne, qui a débuté à Liévin en décembre 2023, et qui s’achèvera à Caen en mai prochain*.

Mieux diagnostiquer

Ces journées s’organisent autour de deux temps forts : d’une part, l’implantation d’un village Itinér’Air en centre-ville qui propose des mesures du souffle et présente les pathologies respiratoires, et d’autre part, une soirée débat avec professionnels de santé, patients et collectivités pour informer sur les enjeux de la BPCO, ainsi que de l’asthme, et pour partager les actions mises en place et faire progresser la prise en charge et le parcours de soins des patients concernés par ces deux pathologies.

À Liévin, lors des deux jours de sensibilisation, mi-décembre 2023, 192 spirométries ont été réalisées, dont 68 se sont révélées anormales, soit un tiers des tests réalisés. « Nous ne sommes pas très étonnés de ces résultats, quand on observe la proportion de fumeurs dans la population testée, c’est malheureusement prévisible », déplore le Dr Christophe Zanetti, pneumologue à Lens, qui a participé à cette campagne sur le terrain. Parmi les personnes testées, certaines sont atteintes d’une BPCO et l’ignorent. « Le souci avec cette maladie, c’est que, bien souvent, les patients ne sont diagnostiqués qu’au moment d’une exacerbation, ce qui veut dire que la maladie a déjà progressé », explique le pneumologue lors de l’atelier-débat. Pour la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de Liévin-pays d’Artois, réunie pour l’occasion, la BPCO est un enjeu de santé publique. « Non seulement peu de patients sont diagnostiqués, mais lorsqu’ils le sont, le suivi n’est pas optimal », reconnaît le Dr Tayssir El Masri, président de la CPTS. D’où la volonté de coconstruire, avec d’autres professionnels de santé - pneumologues, infirmières, pharmaciens et kinésithérapeutes -, un groupe de travail sur la maladie qui vise, à la fois, à sensibiliser le grand public mais aussi à l’orienter vers les bons professionnels pour une prise en charge adaptée. « Nous pouvons imaginer des campagnes de dépistage dans les officines et améliorer la communication autour de la maladie : la BPCO est la troisième cause de mortalité dans le monde, mais elle ne fait pas peur, comme peuvent le faire le cancer ou les maladies cardio-vasculaires. Son nom n’évoque rien au grand public… », déplore de son côté Stéphan Gizzi, kinésithérapeute et référent du groupe de travail BPCO au sein de la CPTS. Selon lui, il faut aussi renforcer l’accompagnement des patients dépistés et mieux organiser les consultations spécialisées. « Si l’on dépiste mieux, on orientera mieux les patients, pour leur prise en charge », espère-t-il.

S’appuyer sur le réseau au sein des CPTS

Autre point crucial, la prévention par la vaccination, qui a malheureusement pâti, ces dernières années, d’une certaine défiance de la population, et le sevrage tabagique qui doit être encouragé par tous les moyens disponibles. Les infirmières et les officinaux doivent prendre leur part d’engagement dans la prise en charge des patients BPCO.

Pour Claire Villé, infirmière à Liévin, la profession infirmière a l’avantage de se rendre au domicile de ces patients, qui sont quelquefois devenus sédentaires et n’accèdent donc plus aussi facilement aux soins de ville. « C’est l’occasion de voir l’environnement dans lequel ils vivent, de voir s’il est possible de travailler sur certains aspects comme la ventilation, de faire de l’éducation thérapeutique sur les traitements ou de parler vaccination. » Différentes missions que les infirmières en pratique avancée ont prises à bras le corps (lire p. 26, l’interview de Marie-Hélène Bourdrel, IPA PCS).

« Il faut reconnaître que le système de santé s’est trop reposé sur le corps médical qui ne peut plus, seul, assurer toute la prise en charge des patients, explique le Dr El Masri. Et c’est là le levier qu’offrent les CPTS : s’appuyer sur d’autres professionnels qui ont les compétences ou que l’on peut former, pour réaliser certaines tâches que les médecins ne peuvent plus faire, notamment dans la prévention de la maladie, mais également, pourquoi pas, dans le dépistage. » La CPTS est aussi un levier financier, car si certains actes ne sont pas facturables par une infirmière, des solutions de financement peuvent être envisagées à travers le fonctionnement de cette structure.

Les IPA en soutien

Pour les pneumologues présents à l’atelier-débat, il y a matière à réflexion. « Est-ce encore à nous de suivre tous les patients une fois que leur BPCO est stabilisée par les traitements ? Les spirométries ne peuvent-elles pas, par exemple, être déléguées aux infirmières ? » s’interroge l’un d’eux, évoquant une réflexion sur une équipe de soins spécialisées qui permettrait de libérer du temps médical pour les spécialistes et mieux suivre les patients. « C’est tout à fait dans nos cordes, acquiesce Marie-Hélène Bourdrel, qui assure qu’une IPA a toutes les compétences pour prendre en charge des patients chroniques tout en connaissant ses limites. L’avantage de travailler dans une équipe avec un médecin, c’est d’avoir la ressource de se tourner vers lui lorsque cela dépasse nos compétences. »

Des mesures qui permettraient aux patients d’obtenir des rendez-vous plus rapidement, ceux-ci demandant actuellement une attente de 6 à 8 mois sur le bassin de vie de l’Artois. Une chose est sûre, l’appel a été entendu. « Savoir qu’il y a autant de professionnels qui se sentent concernés par la prise en charge des patients, comme en témoigne leur présence à cette soirée-débat, montre la volonté de chacun d’améliorer les choses », conclut Stéphan Gizzi. L’élan donné par la journée de dépistage menée à Liévin aura ainsi permis de réunir les différents acteurs de la prise en charge du patient BPCO pour trouver des solutions visant à améliorer la prévention, le dépistage et l’accompagnement de la pathologie.

* Après Liévin en décembre 2023 et Bordeaux en février dernier, Itinér’Air poursuivra sa route, en 2024, à Tours le 14 mars, Montpellier le 28 mars, Brest le 11 avril, pour terminer à Caen le 15 mai.