L'infirmière n° 042 du 01/03/2024

 

ACTUALITÉS

CHANTIER

Adrien Renaud  

Conçu pour remplacer les hôpitaux Bichat (Paris 18e) et Beaujon (Clichy-sur-Seine), le futur hôpital de Saint-Ouen poursuit son histoire mouvementée. Dernier épisode en date : une nouvelle enquête sur le caractère d’utilité publique du projet.

Sur les dessins, comme toujours, tout est magnifique : un toit végétalisé, de splendides baies vitrées, de grandes galeries pour circuler librement… Conçu par le célèbre architecte Renzo Piano (auteur, à Paris, du centre Pompidou et, plus récemment, du Palais de Justice), le bâtiment donnerait presque envie de tomber malade pour pouvoir y être hospitalisé, quand il sera construit.

Voilà pour les rêves sur papier glacé. Mais si l’on s’éloigne des vues d’architecte, la réalité est quelque peu différente : pour l’instant, l’histoire du campus hospitalo-universitaire Saint-Ouen-Grand Paris-Nord, pour lui donner son nom officiel, relève surtout de conflits, et quelquefois d’ordre judiciaire. Le dernier rebondissement en date concerne la déclaration d’utilité publique du chantier.

Pour bien comprendre, il est nécessaire de remonter plusieurs années en arrière. Nous sommes en 2016, et il faut songer à fermer les hôpitaux Bichat et Beaujon, pièces maîtresses mais vieillissantes du dispositif hospitalier dans le nord de la capitale. Un site est rapidement identifié pour construire, dans la commune voisine de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), un nouvel établissement pouvant les remplacer. Il s’agit d’un terrain utilisé par la SNCF. Mais la mairie ne l’entend pas de cette oreille. Et pour tout compliquer, le site pose des problèmes d’aménagement, avec un coût des travaux initialement prévus ayant explosé. Après d’interminables tractations et des années de procédure, c’est finalement un terrain occupé par une usine Stellantis, en plein centre-ville, qui sera retenu, en 2021.

Une question de « capacitaire »

Las, les luttes autour de la localisation de l’hôpital n’étaient qu’un prélude à ce qui allait suivre. Car, dans cette affaire, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui se trouve à la manœuvre, aura réussi à susciter des oppositions déterminées, venant aussi bien de représentants des soignants que de représentants des patients. « Qu’on s’entende bien : nous avons fait une enquête auprès des équipes, nous ne sommes pas opposés à la création d’un nouvel établissement, car le moins que l’on puisse dire est que Bichat et Beaujon ne nous offrent pas des conditions optimales, précise Olivier Youinou, infirmier anesthésiste et cosecrétaire du syndicat Sud-Santé-AP-HP. Mais nous considérons que le projet initial ne permet pas de répondre aux besoins de la population concernée. »

Marie Citrini, qui était représentante des patients au conseil de surveillance de l’AP-HP quand les décisions ont été prises, confirme : « Ce qui nous a perturbés, c’est que nous nous retrouvions structurellement avec beaucoup moins de lits d’hospitalisation que dans les deux hôpitaux que nous fermions, avec un nombre de passages aux urgences qui nous paraissait largement sous-estimé », se souvient-elle. Pour répondre à ces inquiétudes, l’AP-HP - qui n’a pas souhaité répondre à nos questions et nous a renvoyés vers son site internet - a obtenu une rallonge pour financer 175 lits et 110 places d’ambulatoire supplémentaires. Une augmentation de ce qu’on appelle « le capacitaire » qui n’a pas réussi à convaincre les opposants. « Cela ne suffisait pas, et de plus, il n’y avait pas de recalibrage des urgences », critique Marie Citrini.

Procédure et contre-procédure

C’est ce qui a conduit le syndicat Sud, le Collectif inter-hôpitaux (CIH), le Collectif inter-urgences (CIU), ainsi que plusieurs personnalités à titre individuel (dont Marie Citrini) à attaquer la déclaration d’utilité publique du chantier du futur hôpital devant le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Celui-ci a rendu sa décision, en juillet dernier, qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Les magistrats ont décidé d’annuler la déclaration d’utilité publique, indispensable au lancement des travaux, au motif que « le projet litigieux […] diminue l’offre de soins hospitaliers proposée à la population du bassin de patientèle concerné, tant en nombre de lits, y compris de maternité, que de places, sans prévoir ou justifier les complémentarités ». Une série de manquements qui, selon la cour, « porte atteinte au droit fondamental à la protection de la santé ».

Bien sûr, l’AP-HP ne pouvait « se résoudre à une décision issue d’un raisonnement à la fois inattendu et contestable », comme elle l’a expliqué dans un communiqué publié sur-le-champ. Elle a donc décidé de faire appel. Pour justifier cette décision, l’institution pointait notamment le caractère nécessairement évolutif de l’appréciation des futurs besoins de santé en Seine-Saint-Denis, ainsi que le fait que, bien que conduisant à une diminution de 15 % du nombre de lits d’hospitalisation classique, le projet permettrait de prendre en charge « 25 % de patients de plus que ce n’est le cas aujourd’hui dans les deux hôpitaux en activité », notamment grâce à l’augmentation de l’offre en ambulatoire et en hospitalisation de jour.

La bataille judiciaire s’est donc poursuivie devant la cour administrative d’appel de Paris, qui, dans sa décision du 24 octobre dernier, a complètement rebattu les cartes. Considérant que le jugement des magistrats montreuillois était « insuffisamment motivé », leurs confrères parisiens ont notamment estimé que « le nouvel hôpital sera en capacité de mobiliser un nombre de lits d’hospitalisation au moins équivalent à celui transféré depuis les hôpitaux qu’il a vocation à regrouper et offrira un nombre de places en secteur ambulatoire supérieur. » D’autre part, il n’appartient de toute façon « pas au juge administratif d’apprécier l’opportunité du projet […] au regard d’autres projets possibles, non plus que d’apprécier le dimensionnement exact de chacune des activités de soins », ont estimé les juges.

Nouvelle enquête

Mais la cour administrative d’appel n’a pas non plus souhaité donner un blanc-seing à la construction du nouvel hôpital. Constatant qu’il manquait la contre-expertise dans le dossier d’enquête publique, qui s’est déroulée à l’automne 2021, elle a estimé qu’il y avait là un « vice de procédure ». Celui-ci n’était toutefois pas rédhibitoire, car il pouvait « être réparé par l’organisation d’une nouvelle consultation de la population », précisent les magistrats. Cette nouvelle consultation devait avoir lieu dans les six mois suivant la décision, ont-ils ordonné, et c’est l’étape à laquelle nous sommes actuellement rendus. La nouvelle enquête est organisée du 29 janvier au 3 mars, et la population de Saint-Ouen est invitée à venir donner son avis sur le projet, en ligne, via des formulaires papier, ou encore lors de réunions publiques organisées sur le territoire de la commune.

Et si l’AP-HP ne voulait voir, dans cette consultation, qu’une simple formalité administrative, les opposants au projet ne l’entendent pas vraiment de cette oreille. Tout d’abord, ils regrettent que la consultation soit limitée à la commune de Saint-Ouen. « Cette enquête va être cadrée par la préfecture de Seine-Saint-Denis, et ne sollicite que la commune où va être implanté le projet, alors que le territoire de santé couvert va bien au-delà, pointe Olivier Youinou. Pour le nord-ouest de Paris, pour Clichy, le recours sera le nouvel hôpital. » La crainte, avec ce découpage, est de voir la population de Saint-Ouen, majoritairement satisfaite de disposer bientôt d’une offre de soins plus accessible, exprimer un avis positif, tandis que les populations qui perdraient en accès aux soins dans les communes voisines seraient privées de parole. Reste que cette réserve n’est pas une raison suffisante pour voir les opposants bouder la procédure. « Quelque chose a interpellé les juges, sinon on ne devrait pas refaire une enquête, veut croire Marie Citrini. Nous allons naturellement entrer dans cette démarche et aller au-devant des enquêteurs. » L’ex-représentante des usagers au conseil de surveillance de l’AP-HP ajoute qu’elle remettra un mémoire sur la question aux autorités chargées de mener la procédure d’enquête.

Mais la nouvelle consultation est loin d’être la dernière étape envisagée par les différents syndicats et collectifs qui souhaitent faire évoluer le projet. « Nous sommes un peu coincés, car s’il n’y avait pas de projet dans les années qui viennent, Beaujon et Bichat fermeraient tout de même, constate Olivier Youinou. Nous avons toujours voulu du concret, et ce n’est pas avec une enquête publique que nous allons en obtenir. Nous allons donc continuer à négocier pied à pied avec la direction et les tutelles pour que le capacitaire de ce nouvel hôpital soit au plus près des besoins de la population, et ce pour les cinquante années qui viennent. » Mais du côté de l’AP-HP, ce n’est pas le prochain demi-siècle qu’on met en avant. Sur son site, le groupe continue à prévoir une ouverture en 2028… À moins que de nouvelles péripéties judiciaires ne viennent s’en mêler.

À Bichat et Beaujon, les infirmières ont la tête ailleurs

On pourrait croire que le futur déménagement de deux des établissements les plus importants du nord de la capitale occupe une bonne partie des pensées des infirmières qui y travaillent. Il n’en est rien ! Du moins si l’on en croit celles que L’Infirmière a pu interroger. « Je n’ai quasiment eu aucune information sur ce futur hôpital », avoue l’une d’elles, à l’hôpital Bichat. « La plupart des équipes paramédicales ne sont pas contactées par rapport au déménagement, confirme l’une de ses collègues. Au mieux, nous sommes consultés sur l’organisation et l’aménagement des locaux. » Même son de cloche de l’autre côté du périphérique, à l’hôpital Beaujon. « Il est encore beaucoup trop tôt pour avoir des informations sur ce déménagement », souligne une infirmière de l’établissement clichois, remarquant, que pour l’instant, l’essentiel des discussions concerne les chefs de service et tourne autour de « la répartition des services, des lits, etc. ». Mais cette soignante indique tout de même attendre positivement le futur établissement. « Nous allons avoir des locaux neufs, ce sera très agréable, et le regroupement nous permettra d’avoir des spécialités que nous n’avons pas à Beaujon », se réjouit-elle. Il n’y a plus qu’à espérer que ces attentes ne soient pas déçues. A. R.