Face aux déserts médicaux, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé son intention de faciliter le recours aux médecins étrangers. Un recrutement à l’international qui ne touche pour l’instant que peu les infirmiers.
Je vous l’annonce, je nommerai un émissaire chargé d’aller chercher à l’étranger des médecins qui voudraient venir exercer en France. » Voici, en matière de santé, l’une des mesures principales annoncées par le Premier ministre Gabriel Attal lors de son discours de politique générale, le 30 janvier dernier. « Nous procéderons à la régularisation des médecins étrangers sur notre territoire », a ajouté l’ex-ministre de l’Éducation nationale. C’est donc clair : face à une démographie médicale toujours plus tendue, le « réarmement » souhaité par le gouvernement, doit s’appuyer sur des compétences venues d’ailleurs. Mais qu’en est-il des infirmiers ?
La question est plus que légitime. L’année dernière, la Fédération hospitalière de France (FHF), représentant les hôpitaux publics, avait fait grand bruit en estimant que 15 000 postes d’infirmiers étaient vacants dans les établissements français. Un chiffre que les organisations syndicales, comme le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), n’hésitent pas à multiplier par quatre. On pourrait donc penser que la France aurait intérêt à aller chercher massivement hors de ses frontières les infirmières qui lui manquent.
Or, c’est loin d’être le cas. Un coup d’œil aux statistiques publiées par l’Organisation pour la coopération économique et le développement (OCDE) permet de s’en convaincre. La France a ainsi accueilli, en 2021, - dernière année pour laquelle les données sont disponibles dans un nombre de pays suffisant pour effectuer des comparaisons - 384 infirmières à diplôme étranger, soit à peu près 150 de moins que la petite Belgique (532), 20 fois moins que l’Allemagne voisine (8340) et 40 fois moins que l’insulaire Grande-Bretagne (15 224). Si l’on s’intéresse au nombre d’infirmières installées, et non au flux, la France fait là aussi figure de bastion imprenable pour les professionnelles étrangères : l’OCDE estime que seulement 3 % des infirmières qui y travaillent ont un diplôme étranger, contre 10 % en Allemagne, 13 % en Autriche, 26 % en Suisse et même 49 % en Irlande ! Bien sûr, ces chiffres sont critiquables, car les infirmières à diplôme étranger ne sont pas forcément des infirmières étrangères. Mais il reste à expliquer pourquoi, alors qu’elle connaît un besoin d’infirmières si criant, la France n’a pas recours aux mêmes moyens que les autres pays pour y faire face. À titre d’exemple, au Royaume-Uni, le National Health Service (NHS), organisation qui chapeaute l’ensemble du système de santé, s’était donné, en 2019, l’objectif de recruter 50 000 infirmières en cinq ans. Le gouvernement a annoncé, en novembre dernier, que l’objectif avait été atteint avec six mois d’avance, mais le NHS a introduit une nuance : 93 % des nouvelles recrues venaient de l’étranger. Il faut dire que l’organisation mène une politique de recrutement très active à destination des professionnels issus de pays en partie anglophones, que ce soit en Asie (Inde, Pakistan…) ou en Afrique (Nigeria, Ghana…).
Rien de tel de notre côté de la Manche. « Nous recrutons très peu d’infirmiers à l’étranger », répond ainsi un groupe de cliniques sollicité par nos soins, ajoutant que cela ne constitue « pas un sujet » pour lui. Comme tous les employeurs du secteur de la santé, ce groupe mène pourtant une politique très active de recrutement paramédical. Mais quelque chose le retient de s’aventurer hors de nos frontières pour parvenir à ses fins. Pour expliquer cet apparent paradoxe, il ne faut pas chercher du côté d’une quelconque méconnaissance des circuits qui permettent de recruter des professionnels de santé à l’étranger de la part des établissements de soins. Quand il s’agit de recruter des médecins, ils savent envoyer des cabinets de recrutement spécialisés en Italie, en Roumanie ou encore en Espagne pour écumer les « foires » organisées pour les praticiens en quête d’expatriation. « Nous nous concentrons sur les médecins, éventuellement les kinés, mais pas sur les infirmières, nous confie la directrice de l’un de ces bureaux. Et pourtant, je sais qu’il y a un grand besoin de ces professionnelles chez nos clients, notamment d’infirmières de nuit. »
La clé de ce paradoxe, à en croire cette spécialiste, tient dans la lourdeur du processus de reconnaissance des diplômes. « C’est extrêmement long, cela demanderait pour nous énormément de travail, et ce n’est pas assez rémunérateur », glisse-t-elle. Il faut dire que le chemin qui mène une infirmière d’un établissement étranger à un établissement français est loin d’être facile. De fait, bien que les procédures diffèrent selon que l’infirmière, souhaitant travailler en France, a obtenu son diplôme dans un pays de l’Union européenne ou non, dans un pays francophone ou non, sans parler des contrées faisant l’objet d’accords spécifiques (notamment le Québec), une constante demeure : la lourdeur. Les diplômes doivent être traduits, des attestations des anciens employeurs doivent être fournies à l’Ordre, à l’Agence régionale de santé (ARS), à la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets)… Contrairement aux Britanniques, qui tentent de faciliter le parcours des candidats à l’immigration infirmière, les autorités françaises semblent le freiner.
Une attitude qui, bien sûr, se justifie. « Trois critères sont importants : l’indépendance professionnelle, la moralité et la compétence », rappelle Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers (Oni) qui ajoute bien sûr, à cette liste, la maîtrise de la langue. Autant d’éléments sur lesquels « le régulateur doit avoir des garanties », insiste le premier représentant de la profession. Celui-ci préfère, par ailleurs, ne pas voir le sujet uniquement à travers le prisme de la pénurie infirmière. « Je suis persuadé que la mobilité est une richesse, et que ce qui se fait dans d’autres pays peut être une source d’inspiration pour nous, estime Patrick Chamboredon. Mais il faut veiller, d’une part, à ce que la mobilité n’aboutisse pas à une dévalorisation des professionnels français et, d’autre part, à ce qu’on n’organise pas le pillage des ressources infirmières d’autres pays. »
Car la fuite des cerveaux est, au niveau mondial, vue comme un sujet de préoccupation majeur. Pour preuve, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié, en 2010, un Code de bonnes pratiques pour le recrutement international de professionnels de santé. Ce code (non contraignant) prévoit, notamment, que les pays mettent en œuvre des stratégies visant à « réduire leur besoin de professionnels de santé migrants » et qu’ils « découragent le recrutement actif de professionnels de santé venant de pays en développement confrontés à des pénuries critiques de personnel. » Reste à savoir s’il existe, dans le monde, des pays sans pénurie d’infirmières.