L'infirmière n° 042 du 01/03/2024

 

ACTUALITÉS

FORMATION

Myriem Lahidely  

Pour assurer la sécurité des soins, le docteur Régis Fuzier, formé comme pilote professionnel d’avion, enseigne aux soignants les compétences non techniques (CNT) qui conjuguent des facteurs organisationnels et humains. Ils apprennent dans ce cadre à gérer des situations de stress à bord d’un simulateur de cockpit. La méthode, inédite, renforce leur capacité à réagir aux situations imprévues et à interagir en équipe pour mener à bien toute situation de soin à risque.

Pourquoi l’anesthésiste que vous êtes propose-t-il aux soignants en général, cette formation sur la sécurité des soins ?

Régis Fuzier : Depuis 25 ans, l’anesthésie réanimation n’a cessé de voir venir matériel toujours plus fiable et les procédures de sociétés savantes nationales et internationales. Or, il y a toujours des incidents ou des accidents et les chiffres ont du mal à s’inverser. La dernière Enquête nationale sur les événements indésirables liés aux soins (ENEIS) du ministère de la Santé évoque 160 000 à 375 000 incidents graves liés aux hospitalisations. Un tiers, voire la moitié, pourrait être évité notamment par une approche sur les facteurs organisationnels et humains. Si l’on veut améliorer la sécurité des soins, il faut appliquer des procédures comme il y en a dans l’aviation ou dans les industries à risque.

Quel a été votre cheminement ?

R. F. : Ces cinq dernières années, nous avons beaucoup œuvré dans le cadre de l’anesthésie réanimation, qui a souvent été en avance en matière de sécurité. En septembre 2022, la Société française d’anesthésie réanimation (SFAR) a collaboré avec notre association Facteurs humains en santé (lire encadré ci-contre) pour élaborer des recommandations de pratiques professionnelles sur les facteurs organisationnels et humains. Ceci pour améliorer la sécurité et la qualité des soins et apprendre à organiser leur fiabilité. Nous sommes convaincus qu’une partie de l’amélioration se fera par une implémentation des facteurs organisationnels et humains. Ils sont de plus en plus promus mais ne sont pas, ou peu, enseignés en santé.

Qu’entendez-vous par facteur humain ?

R. F. : Il faut comprendre tout ce qui constitue l’interface entre l’humain et son environnement. Quand je suis sorti de ma formation, j’étais très compétent dans le domaine de l’anesthésie et de la réanimation sur le plan technique. Je savais anesthésier un grand brûlé ou un enfant, faire une péridurale… Mais je n’ai jamais eu de formation sur comment je vais devoir interagir avec plusieurs collègues et avec du matériel spécifique dans un environnement complexe et des risques particuliers. En sortant de médecine, je suis devenu un docteur qui était censé tout savoir, ce qui est une aberration sur le plan cognitif cérébral. Ces facteurs organisationnels et humains permettent justement d’intégrer la notion de fiabilité.

Pouvez-vous préciser ?

R. F. : Un être humain normalement constitué, fait entre cinq et sept erreurs par heure. Notre cerveau nous permet de récupérer plus de 90 % de ces erreurs de sorte qu’elles n’aient pas de conséquences. L’erreur est humaine, mais il existe des outils pour fiabiliser les actes et éviter des conséquences néfastes pour les patients, que nous appelons compétences non techniques (CNT). Nous travaillons beaucoup sur cette notion.

Que sont ces compétences non techniques ?

R. F. : Elles regroupent la façon dont je vais communiquer, comment je vais répartir ma charge de travail, comment développer un leadership, dans une équipe où - contrairement au chef qui décide verticalement - le leader le fait en s’appuyant sur les compétences de chaque membre pour améliorer la compétence générale de l’équipe. On peut rappeler qu’aux États-Unis, par exemple, des études ont montré que 43 % des plaintes étaient liées à des problèmes de communication.

Comment éviter les erreurs, dans le domaine de la santé, en particulier ?

R. F. : Il faut savoir les détecter, cela veut dire avoir des connaissances et les compétences qui constituent un savoir-agir complexe, lequel prend appui sur la mobilisation et la combinaison efficace d’une variété de ressources internes et externes. Je ne peux pas être compétent partout. Mon expérience ne suffit pas. Je dois être capable de combiner mes connaissances et mon expérience avec les ressources internes, comme des aides cognitives, ou externes (des membres de l’équipe). La performance au travail n’est pas forcément la même tous les jours. Il faut accepter qu’elle ne soit pas constante, chaque jour, chez nos collaborateurs aussi. Dans un bloc opératoire, elle change en fonction de facteurs individuels - j’ai mal dormi, j’ai des problèmes personnels… - et en fonction de facteurs collectifs - il me manque un collègue, nous avons beaucoup d’interventions non routinières… -, ce qui peut altérer ma performance. Le niveau performant global de l’équipe, lui, doit rester le même par un vrai travail d’équipe. Mon collègue va empêcher que les erreurs que je vais faire entraînent une conséquence pour le patient.

Le stress des situations d’urgence contribue à faire des erreurs. En quoi un simulateur de cockpit peut-il aider ?

R. F. : Il y a une dizaine d’années, nous avons développé la simulation médicale qui met les soignants dans des situations qu’ils connaissent, en nous appuyant sur les bonnes pratiques techniques. Pour montrer l’importance des compétences non techniques dans une équipe, nous avons créé, en 2019, une formation mettant en pratique le “crew ressource management” d’un équipage appliqué au soin. Elle réunit différents professionnels de santé dans la copie conforme d’un cockpit d’A320, environnement dans lequel ils n’ont aucune compétence technique. Ils doivent assurer un vol d’un point A à un point B pendant lequel ils sont filmés, munis d’une oreillette pour communiquer avec la tour de contrôle. Sur les séquences vidéo, ils voient comment ils ont réagi face au stress. Ceux qui communiquent bien entre eux et se répartissent bien la charge de travail, ont une meilleure conscience de la situation générale et plus de chance de prendre la bonne décision. Au final, ils se rendent compte qu’à plusieurs ils réussissent à gérer des situations techniques dont ils auraient été incapables, seuls. Faire le bon geste, au bon moment, c’est exactement ce que doit faire un soignant confronté à une situation d’urgence, tout comme le pilote.

De l’humain dans la santé

Régis Fuzier a contribué à la création de Facteurs humains en santé, une association qui réunit médecins, soignants, vétérinaires, dentistes, orthodontistes, commandants de bord, instructeurs d’Air France, contrôleurs aériens, sociologues, écrivains… Cette association promeut l’implémentation des facteurs organisationnels et humains dans la santé. De courtes vidéos dont La Minute du docteur Captain, des podcasts, les Cahiers du facteur… permettent d’expliquer ce que sont ces facteurs.

www.facteurshumainsensante.org

ZOOM

Un livre pour comprendre et pour agir

Rendre le système de santé plus sûr, tel est le propos de cet ouvrage, le premier consacré aux facteurs humains en santé comme facteurs de la fiabilisation des soins. Deux ans de travail et la mobilisation de plus de 60 collaborateurs spécialisés sur la thématique ont donné ce contenu en 5 champs regroupant 46 chapitres courts. Sont abordés des sujets tels que les outils de la prévention et de la récupération - aides cognitives, communication fiabilisée, contrôle croisé, sécurité psychologique… -, l’organisation de la fiabilité et comment maintenir les compétences en facteurs humains - leadership, travail en équipe, gestion du stress et de la charge de travail… On y parle aussi des outils de l’atténuation pour réduire la souffrance d’un patient qui a subi un dommage associé au soin, et celle des professionnels. Un livre concret et pragmatique où les chapitres démarrent sur une histoire vraie, avec des clés pour comprendre, des clés pour agir et une synthèse.

Facteurs humains en santé, assurer la sécurité des patients et la vôtre !, de Régis Fuzier et François Jaulin, édition John Libbey, 384 pages, 35 €.